"L'actualité politique rend l'extrême droite plus visible"
La mort à Paris d'un militant d'extrême gauche lors d'une bagarre avec des skinheads est-elle le signe d'une renaissance des extrêmes droites en France ? Eléments de réponse avec la chercheuse Magali Balent.
"L'agression porte le marque de l’extrême droite." Pas de doute pour le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls : ceux qui ont battu et laissé pour mort Clément Méric, un jeune militant d'extrême gauche de 19 ans, le 5 juin à Paris, sont à chercher parmi les militants de l'extrême droite.
Le climat est-il favorable à ces groupuscules ? Eléments de réponses avec Magali Balent directrice des projets à l’Institut Robert Schuman et spécialiste de l'extrême droite en France et en Europe.
Francetv info : Le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, a déclaré que l'agression a été commise par "plusieurs skinheads"? Qui sont les skinheads ?
Magali Balent : Les skinheads sont un mouvement de sous-culture très ancien. Porteurs d’une idéologie anti-système, ils se sont déjà fait connaître par leurs méthodes d’action directe, très violente parfois. Mais de là à dire que des skinheads néonazis sont responsables de l’agression... Il est impossible de répondre à ces questions sans reconstituer le plus précisément possible les faits.
Quel est le tableau de l’extrême droite aujourd’hui en France?
Il faut distinguer deux types d'extrême droite. Tout d'abord, il y a des organisations comme le Front national : il s’agit d’un parti politique qui a une stratégie électorale et défend ses idées via une action politique.
Dans la deuxième catégorie, on trouve une extrême droite plus radicale et beaucoup plus violente, qui opte pour une stratégie "révolutionnaire", celle des manifestations dans la rue et des discours anti-système. A cette catégorie appartiennent les Jeunesses nationalistes révolutionnaires, le Bloc identitaire, l’Action française, le GUD (Groupe union défense), pour n’en citer que quelques-uns. Ces groupuscules divergent entre eux, mais partagent une idéologie dure et révolutionnaire, centrée sur des thèmes de culture et de société. En termes de stratégie, ils refusent aussi le principe des élections.
Peut-on dire que les mouvances d’extrême droite gagnent du terrain avec La Manif pour tous, comme le suggère Pierre Bergé ?
Sont-ils plus nombreux ? Difficile de répondre à cette question : étant donné qu’ils ne sont pas organisés en partis, nous ne disposons pas de chiffres exacts.
Sont-ils plus visibles ? Oui. Défenseurs d’une certaine vision de la civilisation française et européenne (blanche et chrétienne), ils sont attachés aux valeurs traditionnelles de la société. La plupart des groupes d’extrême droite existent depuis longtemps. Pourtant, si on parle davantage d’eux, c’est parce qu’ils se nourrissent des faits d'actualité.
Quand on parle des attaques terroristes, ils sont là pour brandir la menace de l’islam. Au sujet du mariage pour tous, qui heurte forcément leurs valeurs traditionnelles, ils se font entendre.
Leur activité est-elle liée à l'arrivée de la gauche au pouvoir ?
Encore une fois, il est difficile de répondre. Ce qui est certain, c'est que la gauche fait passer des mesures et des lois qui risquent de déplaire à l'extrême droite et que cette dernière a davantage d'occasions de descendre dans la rue, réunie.
Sont-ils de plus en plus violents ?
La violence est aussi un moyen de se faire remarquer, de lutter contre le système. Les accrochages entre différents groupes d'extrême droite et ceux qui s'opposent à eux – des groupes antifascistes, mais aussi les forces de l'ordre – existent depuis toujours.
A l'occasion de La Manif pour tous, même s'ils n'étaient pas à l'origine du mouvement, les membres de groupuscules d'extrême droite ont essayé de créer de l'agitation et de déstabiliser la République. Et, alors que chacune de ces organisations ne compte que quelques centaines de militants, cette manifestation leur a fourni une occasion de se coaliser. Or, quand ils sont nombreux, ils se sentent plus forts, au risque des pires dérives... Lors de rassemblements si importants, cette violence, longtemps réservée aux débordements sporadiques, peut s'amplifier.
Marine Le Pen a écarté la possibilité de tout rapport entre l’agression et le Front national. Quelle est la relation entre le FN et les groupuscules d'extrême droite aujourd’hui ?
A l’époque où Jean-Marie Le Pen était à la tête du Front national, il existait des militants radicaux au sein du parti. Etant donné que le discours de Marine Le Pen est beaucoup moins dur, ces militants radicaux ne se reconnaissent pas dans son parti. La plupart d'entre eux trouvent que c’est un parti trop modéré, qui fait des compromis avec le système.
La dédiabolisation du FN ne leur a pas permis de devenir plus visibles, car ils se sont détachés du parti. En revanche, la ligne politique plus "modérée" de Marine Le Pen a contribué à une prolifération de ces groupes, dont les membres ne se retrouvaient plus dans le Front national.
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