Relooking, trous de mémoire et projets d'avenir... Au procès de la mort de Clément Méric, le principal accusé essaie de faire oublier le skinhead qu'il était
Devant la cour d'Assises de Paris, mardi 4 septembre, Esteban Morillo a tenu à montrer qu'il avait "changé". Il encourt jusqu'à 20 ans de prison.
"Je suis catastrophé." Devant la cour d'assises de Paris, mardi 4 septembre, Esteban Morillo la joue profil bas. Le jeune homme de 25 ans, ancien membre du mouvement d'extrême droite Troisième voie (dissout en 2013), comparait pour violences "ayant entraîné la mort sans intention de la donner" de Clément Méric, militant antifasciste de 18 ans.
Le 5 juin 2013, la rencontre des deux hommes et de leurs amis respectifs (skinheads contre "antifas"), en marge d'une vente privée de vêtements dans le 9e arrondissement de Paris, tourne à la bagarre de rue et conduit à la mort de Clément Méric. De sa nouvelle apparence à l'invocation de ses projets d'avenir, Franceinfo fait le point sur la stratégie de défense d'Esteban Morillo.
Apprenti boulanger puis vigile
Rien ne prédestinait Esteban Morillo, troisième enfant d'un plombier espagnol et d'une femme au foyer française installés dans un petit village picard, à devenir un membre actif de mouvements d'extrême droite. Mais, au cours de sa formation de boulanger-pâtissier, entreprise à 16 ans, l'adolescent en recherche d'"amis" croise pour la première fois "des personnes de ce milieu-là". L'apprentissage du métier de boulanger, pourtant une envie depuis ses "10 ans", tourne court : le directeur du centre de formation d'apprentis se rappelle l'avoir exclu en 2010, pour des problèmes de "comportement" et les "bijoux nazis" (notamment une bague à croix gamée) qu'il arborait. Esteban Morillo, lui, nie avoir possédé de tels objets, assurant qu'il a décidé de mettre fin à sa formation car les conditions de sa poursuite d'études ne lui convenaient plus.
En 2010, il emménage dans la capitale, où il travaille brièvement dans une boulangerie Paul, puis en tant que vigile responsable de la sécurité incendie au parc des expositions de Villepinte (Seine-Saint-Denis). Par l'intermédiaire d'amis, Esteban Morillo rencontre alors Serge Ayoub, connu sous le nom de "Batskin", pour son usage récurrent de la batte de baseball. L'homme est le fondateur du groupuscule d'extrême droite Troisième voie (en 2010) et des Jeunesses nationalistes révolutionnaires (en 1987), sorte de service d'ordre du premier.
Petit à petit, le charisme des gens que je rencontrais m'a fait fréquenter ce milieu-là [l'extrême droite]. (...) J'avais toujours du monde autour de moi en cas de problème ou de coup dur, ça me plaisait.
Esteban Morillo, accusé d'avoir tué Clément Mériclors de son procès, le 4 septembre
Oublis à répétition
Le groupe se rassemble dans un bar privé du 15e arrondissement, Le Local, qui appartient à Serge Ayoub. Les skinheads d'extrême droite s'y retrouvent pour discuter "politique, immigration, économie", se rappelle l'accusé, qui assure être venu pour se faire des amis davantage que par intérêt idéologique. Pour eux, les "antifas" sont "des ennemis qui sont contre nos idées, oui, mais pas des ennemis à attaquer et combattre". Quid des deux poings américains retrouvés lors d'une perquisition chez lui, au lendemain du drame ? Il avait acheté le premier "au cas où on se ferait attaquer" mais assure qu'il ne "comptait pas s'en servir". Le second, dit-il, appartenait à Katia, sa petite amie de l'époque.
Esteban Moriollo prétend d'ailleurs n'avoir milité que "quelques mois" pour Troisième voie, en 2011. Sa tâche principale ? "Faire du nombre" lors des manifestations. Durant toute l'audience, l'accusé n'a d'ailleurs de cesse de mettre à distance son engagement aux côtés du groupuscule : "sympathisant", oui, mais pas "adhérent".
Quand j'ai compris que Troisième voie se servait de nous uniquement pour 'faire du nombre', j'ai arrêté de participer.
Esteban Morillo, accusé d'avoir tué Clément Mériclors de son procès, le 4 septembre
Difficile à croire, relève Cosima Ouhioun, l'avocate de la famille Méric : le 12 mai 2013, trois semaines seulement avant la mort de Clément Méric, Esteban Morillo est photographié en compagnie de Serge Ayoub, lors d'une manifestation organisée par l'Action française, à Paris. Le soir du drame, c'est encore lui qu'il retrouvera au Local, et avec qui il discutera au téléphone, selon les conclusions de l'enquête. Depuis, Esteban Morillo assure avoir pris ses distances avec ses vieilles connaissances. Serge Ayoub ? Il ne le connaît pas si bien.
L'ancien mentor n'est d'ailleurs pas le seul qu'il ait oublié. Durant toute cette première journée d'audience, Esteban Morillo a des trous de mémoire à répétition. L'ancien skinhead dit ainsi "ne pas se souvenir" d'avoir cité Mein Kampf sur son compte Facebook, depuis fermé, ou d'avoir posé avec un drapeau représentant une croix gammée.
Un homme "changé"
Au contraire, l'accusé se présente comme un homme "changé". Oubliés le crâne rasé et le look skinhead qu'il a un temps arboré à son arrivée à Paris, en 2010. Aujourd'hui, le jeune homme a revêtu une chemise et une veste de costume sombres, et coiffé ses cheveux façon gendre idéal.
J'ai arrêté d'être skinhead peut-être 8 mois après être arrivé sur Paris. Je ne voulais pas leur ressembler : c'est des gros bourrins, c'était pas mon image.
Esteban Morillo, accusé d'avoir tué Clément Mériclors de son procès, le 4 septembre
Et quid de ses tatouages – parmi lesquels la devise vichyste "Travail, famille, patrie", dont il assure qu'il ne connaissait pas la signification – ? Il les a fait retirer juste avant le procès.
Même si son passé lui "colle à la peau", Esteban Morillo veut croire à un futur plus rose : il exerçait, jusqu'à la veille du procès, le métier de "chef d'équipe" de nettoyage et a acheté une maison avec sa nouvelle compagne, Jennifer C., qu'il veut transformer en "refuge pour animaux maltraités". Quand il parle d'avenir, il le fait avec maladresse, comme lorsqu'il demande, à quelques pas seulement des parents de Clément Méric, qu'on le laisse "simplement vivre sa vie".
Je me dis que ça aurait pu être moi ce jour-là. (...) Je sais très bien que c'est désastreux, que c'est une catastrophe, mais (...) la seule chose que je puisse faire, c'est d'avancer.
Esteban Morillo, accusé d'avoir tué Clément Mériclors de son procès, le 4 septembre
Un homme nouveau, Esteban Morillo ? Pas pour les avocats des parties civiles, qui l'ont exhorté tour à tour à "assumer" son passé néo-nazi. En vain. Christian Saint-Palais, également conseil de la famille Méric, tranche : "Vous avez gommé ce qu'il s'est passé, ça ne s'appelle pas changer".
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