Mort d'un bébé à Port-Royal : des maternités de pointe mais débordées
Une jeune mère a perdu son fœtus, mort in utero, après avoir été renvoyée par la maternité parisienne débordée. Certains établissements pourraient être victimes de leur statut de "super-maternité".
"Pourquoi le service a-t-il renvoyé cette femme à son domicile ? Pourquoi lui a-t-on dit qu'il n'y avait pas de lit disponible ? Pourquoi ne l'a-t-on pas transférée ?" Patrick Houssel, directeur du groupe hospitalier Cochin-Port-Royal, à Paris, a énuméré dimanche 3 février les questions restées sans réponse après la mort d'un bébé in utero, dont la mère était suivie par la maternité de l'hôpital.
Le couple de parents avait rendez-vous pour déclencher l'accouchement jeudi 31 janvier, mais n'a pu être pris en charge par un service visiblement débordé ce jour-là. Leur bébé est mort quelques heures plus tard. Une enquête interne, à l'hôpital, et une, judiciaire, au parquet de Paris, ont été ouvertes pour éclaircir les circonstances du drame.
S'il est encore trop tôt pour établir des responsabilités éventuelles, le père pointe du doigt une négligence de l'établissement. Comment cette situation a-t-elle pu se produire dans cette maternité pourtant flambant neuve - le nouveau bâtiment a ouvert ses portes en février 2012 - et disposant du plus haut niveau de soins possible ?
Une maternité "en saturation totale" ce jour-là
Paradoxalement, le statut de l'établissement pourrait expliquer l'engorgement dont il est victime. Les maternités françaises sont classées en trois types, selon le niveau de soins dont elles disposent: simple unité d'obstétrique pour les type I, obstétrique et néonotalogie pour les types II, auxquels s'ajoute un service de réanimation néonatologique pour les type III, comme l'explique le site officiel sur la périnatalité.
Problème : ce système de classification, mis en place en 1998, a "abouti au discrédit des maternités qui n'étaient pas de niveau élevé", estime Jean Marty, président du Syndicat national des gynécologues obstétriciens. "Les gens ont pensé qu'ils étaient plus en sécurité dans les maternités de type III et donc on a eu un engorgement de ces établissements."
La maternité Cochin-Port-Royal est un établissement de type III. Et le service était ce jour-là "en saturation totale", du propre aveu de Dominique Cabrol, gynécologue obstétricien et chef de la maternité, interrogé par Le Parisien.
Des établissements de pointe trop demandés
Au niveau national, des chiffres étayent le phénomène d'engorgement dont sont victimes ces établissements de pointe. Ainsi, selon la dernière enquête nationale périnatale (PDF), publiée en 2011, un quart des établissements de niveau III déclarent avoir souvent des difficultés pour accueillir des femmes par manque de place, contre seulement 2% de celles de niveau I et environ 5% de celles de niveau II.
"Il y a de la pédagogie à faire auprès des patientes, pour qu’elles ne se précipitent pas dans ce type de structures", confirme Sophie Guillaume, présidente du Collège national des sages-femmes de France, interrogée par francetv info. "Tout le monde n'a pas besoin d'aller dans une maternité de niveau III."
Mais ce message n'est pas toujours facile à faire passer. Au moment de la première consultation, si certains optent, sur les conseils du soignant, pour un établissement de type I ou II, "d'autres disent 'non, j’ai peur'", explique Sophie Guillaume, et préfèrent par précaution se diriger vers un établissement de type III.
Celui-ci représente par exemple la garantie d'avoir un gynécologue obstétricien dans les murs : en effet, selon l'enquête périnatale, si toutes les maternités de niveau III déclarent avoir un gynécologue obstétricien présent en permanence dans la maternité y compris la nuit et le week-end, cette proportion tombe entre 70 et 80% pour celles de niveau II, et 30% pour celles de niveau I.
"L'efficience" pointée du doigt
Mais pour Sophie Guillaume, le problème n'est pas seulement là. "A l'hôpital aujourd'hui, on nous demande d'être 'efficients'", explique-t-elle. "On ne supporte pas qu’il y ait cinq lits de libres dans une maternité..." Pourtant, difficile de prévoir le nombre exact d'accouchements pour un jour donné.
Résultat : le personnel doit gérer au mieux un flux de patientes inégal. "Tous les chefs de service, toutes les sages-femmes, ont un jour renvoyé des patientes, sur des césariennes programmées par exemple", dans des cas où ils estimaient qu'il n'y avait pas de risque, affirme Sophie Guillaume.
Une gestion des lits encore artisanale
Dans le cas de l'accident qui s'est produit à l'hôpital Cochin-Port Royal, les parents, alertés par les douleurs de la mère et une faible mobilité du fœtus, ont réclamé en vain son transfert dans une autre maternité. Pourquoi n'a-t-il pas été possible ?
En mettant de côté le diagnostic posé ce jour-là par l'équipe médicale, la gestion de ce genre de situation reste artisanale. "Il n'y a pas de système [centralisé] ; chacun prend son téléphone et dit 'tu peux me prendre une patiente, tu as un lit ?", explique Sophie Guillaume.
Mais ce système devient problématique avec la montée en puissance des grosses structures : si en 2003 seuls 8% des accouchements avaient lieu dans des maternités pratiquant plus de 3 000 accouchements par an, cette proportion est passée à 18,8% en 2010, selon l'enquête périnatale de 2010 (PDF). "Le résultat des fermetures et des fusions de maternités", souligne la même enquête - souvent des établissements de niveau I. Dans ces conditions, "il faut sans doute une gestion différente, avec des postes de gestionnaires de lits", estime Sophie Guillaume.
Un problème d'effectifs plus que de places ?
La maternité de Cochin-Port Royal est prévue pour pratiquer jusqu'à 6 000 accouchements par an. Mais pour certains représentants du personnel, les moyens humains ne sont pas au rendez-vous. "Il y avait des lits, mais faute de personnel on avait fermé 19 lits" ce jour-là, affirme ainsi Maryse Dantin, responsable CGT de l'hôpital.
Le manque d'effectifs est un problème dénoncé dans de nombreuses maternités, mais celles de niveau III sont particulièrement touchées car les normes en termes d'encadrement y sont plus contraignantes. "Ainsi, en Ile-de-France, certains lits autorisés ne sont pas encore ouverts, d’autres sont transitoirement fermés par manque de personnel", soulignait la Cour des comptes dans le chapitre consacré à la politique de périnatalité de son rapport annuel 2006. Dans son rapport annuel 2012, si la Cour note de "nets progrès", elle souligne que "certains établissements connaissent des difficultés récurrentes de recrutement".
Un manque d'effectifs a-t-il enrayé la semaine précédente la belle machine de l'hôpital Cochin ? Le directeur de l'établissement, Patrick Houssel, a refusé dans l'immédiat de se prononcer sur un manque éventuel de lits ou de personnels. Les premiers éléments de l'enquête interne doivent être diffusés dès lundi 4 février au soir.
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