Naufrage du "Costa Concordia" : la compagnie contredite par les témoins
Trois jours après le naufrage du paquebot de croisière, les premiers récits des passagers mettent en avant des problèmes d'organisation au sein du bateau.
Après trois jours de quasi-silence depuis le naufrage du Costa Concordia, la compagnie Costa Croisières, propriétaire du paquebot, a tenu deux conférences de presse lundi 16 janvier. Son président Pier Luigi Foschi y a souligné la responsabilité du commandant du navire échoué, Francesco Schettino, et a réitéré son admiration pour l'équipage.
Les premiers témoignages font pourtant part de l'incapacité des professionnels à gérer la situation. Que va-t-il se passer maintenant pour le commandant ? Pour l'équipage et le bateau ?
Les passagers savaient-ils quoi faire ?
Les premiers témoignages vont dans le même sens : ils décrivent une grande confusion de l’équipage qui n’a pas su réagir lors de l’accident du Concordia dans la nuit de vendredi à samedi.
En théorie, un exercice d’évacuation est prévu dans les 24 heures après l’arrivée à bord des passagers. Mais cet entraînement n’aurait jamais eu lieu sur le Concordia. "On a embarqué dimanche à Marseille. Depuis le début de la croisière, pas une seule fois, ils nous ont fait faire une reconnaissance et une opération de sauvetage en mer", raconte un rescapé.
Sur ce sujet, le président de la compagnie Costa Croisières n'a guère apporté de précision. "Nous n’avons aucune preuve claire car les enregistrements sont inaccessibles pour le moment. Ce que je peux dire, c’est que nous avons observé ce que la loi exigeait." Et le patron d'assurer que "des vidéos explicatives sont disponibles en continu dans les cabines". Autrement dit, rien ne garantit que les passagers aient été au courant de l'attitude à adopter en cas de problème.
A priori, tous les équipements nécessaires à une évacuation en bonne et due forme étaient présents sur le bateau. "Des gilets de sauvetage, des chaloupes et des canots de sauvetage sont disponibles en nombre supérieur au nombre maximal de personnes pouvant être accueillies à bord", rappelle Costa Croisières dans un communiqué.
Mais de nombreux témoignages dénoncent l’inertie, voire la panique de l’équipage. "Tout semblait en œuvre pour sécuriser, confirme Yoann Laurent, rescapé. Mais personne n’a indiqué où aller, que faire. Personne n’organisait plus rien sur le bateau. Quand on est entrés sur la chaloupe, on a vu celui qui devait la conduire se signer…"
"L’équipage en général, les gens qui étaient là pour nous faire embarquer sur les chaloupes et autre, avaient plus peur que nous. Ils ont été vraiment pris de panique parce qu’ils ne savaient pas ce qu’il fallait faire", dénonce le témoin interrogé par France 3.
Lors de la conférence de presse de lundi, le président Foschi défend pourtant les salariés. "Ils ont réagi comme il fallait (…). Ils sont parvenus à évacuer 4 200 personnes en moins de deux heures et ont très bien fait." L’évacuation aurait selon lui été rendue plus malaisée par l’inclinaison du navire. "Il est difficile de simuler ces conditions" dans les exercices, a renchéri Pier Liugi Foschi.
Comment le commandant a-t-il réagi ?
Le commandant Francesco Schettino serait en grande partie responsable du naufrage. Employé par Costa Croisières en 2002 et promu commandant en 2006, "il n’a jamais été impliqué dans un quelconque incident" aupravant et a réussi tous ses tests d’aptitude, a précisé Pier Luigi Foschi.
Le commandant serait toutefois responsable d’avoir modifié l’itinéraire prévu, s’approchant trop près de la côte de l'île du Giglio. Il aurait pris cette décision afin de faire plaisir au chef des serveurs, originaire de l'endroit. Ce dernier, sur le pont, aurait averti le capitaine : "Attention, nous sommes extrêmement près de la côte." Mais l'impact est survenu immédiatement après, selon un article de Libération. Par ailleurs, "il semblerait que ses décisions dans la gestion de l’urgence n’étaient pas conformes aux procédures de Costa Croisières", a ajouté la compagnie.
Quant aux rumeurs, apparues dans le Daily Mail (lien en anglais) notamment, accusant le commandant d’avoir été au restaurant au moment de l’impact, vers 21h45, Pier Luigi Foschi les a récusées à plusieurs reprises : "Il était sur le pont à l’heure de l’incident." Pourtant, des témoins affirment le contraire :
Francesco Schettino, le commandant, a affirmé pour sa part sur la chaîne de télévision italienne TGcom24 "avoir heurté un éperon rocheux" qui ne figurait pas sur la carte. Pier Luigi Foschi a précisé que les rochers émergeaient à la surface de l’eau. Un rocher "arrivait à la hauteur du quatrième étage", témoigne un couple dans Sud Ouest.
Autre point de questionnement : toujours selon le président, le commandant aurait appelé les secours à 22h05, heure locale. Il a en revanche refusé d'évoquer la fuite anticipée du chef du paquebot : "Nous sommes encore incapables d’affirmer qu’il a quitté le bateau." Le procureur italien qui suit le dossier a, lui, affirmé que le commandant avait quitté le navire bien avant l'évacuation des derniers passagers. Il aurait été retrouvé sur le rivage vers 23h40, alors que les évacuations ont duré jusqu'à 6 heures du matin samedi.
Francesco Schettino a été arrêté. De lourdes charges pèsent sur lui : homicides multiples, navigation trop près des côtes et abandon de navire.
Que va devenir le "Concordia" ?
Incliné à 80 degrés, le Concordia, un mastodonte de 290 mètres de long, est échoué à cent mètres de la côte, à moitié immergé. Sur sa coque, une brèche d’une centaine de mètres complique les opérations. Deux choix se présentent : le démantèlement ou le renflouement.
Les deux options comportent des incertitudes compliquées par les enjeux écologiques. Car 2 380 tonnes de pétrole seraient contenues dans les réservoirs du navire. Construit en 2008, le Concordia a été conçu avec un double fond, ce qui limite pour le moment le risque de marée noire. Pier Luigi Foschi s’est voulu rassurant : "Pour l’instant, rien ne prouve qu’il y aura une fuite de pétrole." L'opération s'annonce cependant risquée. Le navire est en équilibre sur des rochers et les autorités craignent que la vidange des réservoirs le déstabilise. Le "fleuron" du croisiériste pourrait alors glisser vers le large et couler.
La première opération sera donc le pompage du gasoil contenu et la protection de l’environnement direct du navire. Puis, pour les spécialistes, l’option la plus vraisemblable serait la destruction, comme l’explique un reportage de France 3. Pier Luigi Foschi a également évoqué la possible utilisation de ballons géants qui soulèveraient le bateau afin de le remettre à flots et de le remorquer à terre. Si cette technique échoue, il n’a pas exclu la possibilité de découper le bateau en tronçons.
A titre de comparaison, le démantèlement du cargo TK Bremen, qui s'est échoué en décembre dans le Morbihan, "va prendre un mois, et 20 personnes se relaient jour et nuit sur le chantier pour y parvenir. Un matériel venu de Hollande en pièces détachées et assemblé sur place est nécessaire pour pouvoir couper les tôles d'une épaisseur de cinq centimètres. Et il faut ajouter à cela que le TK Bremen ne pèse 'que' 6 605 tonnes contre 115 000 tonnes pour le Concordia" rappelle France Info.
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