"Cheville cassée, côte cassée, gazé, pris des cailloux"... Quand les policiers de la BAC de Sarcelles racontent leur quotidien
Après la médiatisation de plusieurs agressions contre les policiers depuis 2016 et pour comprendre le quotidien de la BAC dans les quartiers les plus sensibles, franceinfo a suivi une patrouille dans le Val-d'Oise.
Après les récentes agressions de policiers à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), à Champigny-sur-Marne (Val-de-Marne), à Viry-Châtillon (Essonne) et près de la place de la République à Paris, les policiers ont à nouveau dénoncé "la haine anti-flics".
Pour comprendre le quotidien des policiers dans les quartiers les plus sensibles, franceinfo a suivi le quotidien de la brigade anti-crimminalité (BAC) de Sarcelles (Val-d'Oise). La BAC de Sarcelles couvre quatre communes : Sarcelles, Villiers-le-Bel, Garges-lès-Gonesse et Saint-Brice-sous-Forêt, soit 150 000 habitants. Dans ce département, en 2017, 208 policiers se sont vus prescrire un arrêt de travail pour blessure en service.
"On va faire le tour du quartier, on va patrouiller et c'est de l'improvisation". C'est avec ces mots que Jérôme, major de police et chef de la BAC de Sarcelles, résume sa journée de travail. Il a 25 "baqueux" sous ses ordres.
La patrouille se dirige vers un immeuble où "des gens se sont plaints que des jeunes vendaient des produits stupéfiants dans un hall" d'entrée. Le groupe de jeunes se laisse contrôler sans trop de difficultés jusqu'à ce que l'un d'eux hausse le ton, très rapidemment. Les fonctionnaires isolent très vite cet homme d'une vingtaine d'années pour éviter l'effet de groupe, souvent à l'origine des dérapages.
"Ils testent notre autorité surtout, explique Jérôme. Ce n'est pas la fête, c'est un contrôle de police. Il y a un minimum de discipline à observer. Et il y en a qui remettent ça en cause régulièrement."
Nous, le but c'est de contrôler. On ne veut pas aller à l'affrontement. Si on n'a pas le choix, on ira à l'affrontement. 'Force doit rester à la loi' et on la fera appliquer.
Jérôme, chef de la BAC de Sarcellesà franceinfo
Un peu plus tard, les policiers sont appelés en renfort dans une autre rue. "Il y a des collègues de la BAC qui ont contrôlé un scooter démuni de clé, donc ils voulaient qu'on aille vérifier avec eux pour faire une protection au moment du contrôle", raconte Sébastien.
Une violence au quotidien
Comme beaucoup de leurs collègues, Jérôme et Sébastien ont eu du mal à supporter les images de la jeune policière rouée de coups de pieds à Champigny-sur-Marne et pourtant les violences font partie du quotidien de ces deux fonctionnaires expérimentés. En 17 ans de BAC à Sarcelles, Jérôme fait le compte de ses blessures.
J'ai déjà eu : cheville cassée, vis dans la cheville, côte cassée, gazé de la tête aux pieds, pris des cailloux... Enfin, tout ce qu'on veut quoi.
Jérôme, chef de la BAC de Sarcellesà franceinfo
Il a déjà eu jusqu'à 70 jours d'incapacité totale de travail (ITT). C'était il y a quelques années. Sébastien, lui, se souvient d'une mission dans un appartement "où ça a complètement dégénéré". Il a vu un collègue "se prendre des enchaînements de droites et de gauches en pleine tête".
Quand on est policier, même si on veut rendre service au public, dans certains cas on se dit : 'Mais pourquoi est-ce que je serais lynché, battu comme ça ? Et il faut pouvoir le traverser et vivre avec.
Sébastien, agent de la BAC de Sarcellesà franceinfo
Ils poursuivent leur tournée. Direction : une planque sur l'un des nombreux points de vente de stupéfiants dans le quartier. "Ils sont là et puis après ils vont chercher le produit dans le hall", indique le jeune en montrant la scène. Les missions vont s'enchaîner comme cela à Garges-lès-Gonesse, Sarcelles et Villiers-le-Bel. Les moments de tension aussi.
Donner une autre image de la BAC
Les policiers de la BAC veulent aussi montrer que les contrôles ne virent pas toujours à l'affrontement. Parfois, ils discutent tout simplement comme avec cet homme qui a conduit tout en consommant du cannabis. "On a tendance à croire que ça se passe souvent mal, mais en fait non", assure Jérôme. Puis s'adressant au jeune conducteur : "La preuve, c'est que vous êtes à en faire des joints et on ne vous embête pas plus que ça. Bonne soirée. Et le stup, pour info, c'est interdit." Après un contrôle d'identité et la destruction de la drogue, les "baqueux" laissent le groupe. Pour le major, "le respect c'est mutuel".
"Je suis attaché au respect des individus que nous contrôlons, insiste Jérôme. Certes, ce n'est pas agréable d'être contrôlé. Pour autant, quand la personne qui vous contrôle vous respecte, quand elle est juste, [il faut] s'astreindre à ce type de contrôle."
On est là aussi pour faire en sorte que cette ville puisse avancer paisiblement, dans la sécurité. Il faut apporter une vraie forme de sécurité.
Jérôme, chef de la BAC de Sarcelles (Val-d'Oise)à franceinfo
"Il ne s'agit pas de sacraliser la fonction policière : le policier doit être respectable, mais il doit être respecté. Là le compte n'y est pas", précise de son côté Frédéric Lauze, le directeur départemental de la sécurité publique du Val-d'Oise et ex-médiateur de la police nationale, rappelant que chaque année l'Inspection générale sanctionne ou révoque des policiers.
"Ce n'est pas normal, ce n'est pas juste"
"Malheureusement, beaucoup de gens ne vivent pas en sécurité, poursuit le patron des policiers du Val-d'Oise. Et, lorsque les policiers interviennent pour faire appliquer les lois de la République dans un État démocratique, le fait qu'il y ait énormément de blessés, comme dans le Val-d'Oise ou ailleurs, n'est pas normal, n'est pas juste. La 'communauté corporatiste policière' qui en pâtit c'est la communauté des citoyens."
La BAC de Sarcelles tente de voir le bon côté de ce travail de terrain, comme lorsque les policiers ont rendu à un adolescent de 14 ans l'IPhone 6 que quatre personnes lui avaient volé en l'agressant. "La meilleure des récompenses, c'est ça, assure Jérôme. Quand on voit le gamin de 14 ans qui a des étoiles dans les yeux parce qu'il récupère son téléphone, ça fait plaisir."
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