Brav-M : quatre questions sur le renvoi devant la justice de deux policiers pour des violences en marge d'une manifestation contre la réforme des retraites

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Des membres de la Brav-M à Paris, lors d'une manifestation contre la réforme des retraites, le 23 mars 2023. (THOMAS SAMSON / AFP)
La diffusion d'un enregistrement sonore, le 24 mars 2023, révélait des intimidations et insultes de fonctionnaires de cette brigade motorisée à l'égard de manifestants, dont un jeune homme noir. Près d'un an plus tard, deux policiers sont cités à comparaître.

La scène se déroule il y a près d'un an, en marge de la forte contestation contre la réforme des retraites. Le 20 mars 2023, à Paris, les policiers des Brigades de répression de l'action violente motorisées, ou Brav-M, tiennent des propos injurieux et menacent des manifestants interpellés. L'un d'eux enregistre les propos des fonctionnaires. Le contenu de cet audio, transmis à plusieurs médias quatre jours après les faits et que franceinfo avait pu consulter, suscite un vif émoi. Il est rendu public au moment où certains membres des forces de l'ordre sont accusés de violences policières dans les manifestations, et où des voix s'élèvent pour critiquer le comportement des Brav-M et demander leur dissolution. Le lendemain, le préfet de police de Paris saisit l'Inspection générale de la police nationale (IGPN), qui mène l'enquête.

Le 5 juillet 2023, le parquet de Bobigny (Seine-Saint-Denis) ordonne le renvoi devant la justice de deux policiers parmi les dix présents lors des faits, pour "violences par personne dépositaire de l'autorité publique" et "menaces de violences". L'audience était initialement prévue jeudi 7 mars, à 13 heures, devant le tribunal correctionnel de Bobigny. Elle a été reportée au 5 septembre, a appris franceinfo auprès de l'avocat des victimes. Voici ce qu'il faut retenir de cette affaire en quatre questions.

1 Quel était le comportement des policiers lors de l'interpellation ?

Dans la soirée du lundi 20 mars 2023, une manifestation contre la réforme des retraites s'organise non loin de la place de la Bastille, à Paris. A l'angle des rues des Minimes et de Béarn, dans le 3e arrondissement, un groupe de sept personnes est interpellé, sans qu'il soit permis d'établir leur participation à la manifestation ou à des dégradations commises à proximité.

Dans l'enregistrement sonore de 23 minutes, on entend les fonctionnaires s'adresser à ce groupe de personnes, qui patientent par terre, le temps de dresser les PV d'interpellation, avant leur transfert vers le commissariat. L'un des policiers commente notamment la participation à la manifestation d'une "étudiante", prénommée Salomé : "T'as jamais travaillé et tu manifestes contre la réforme des retraites ?" "Ta vie ne tient qu'à un fil", lui déclare un autre.

Souleyman, étudiant tchadien, seul jeune homme noir du groupe, est particulièrement maltraité. Il reçoit une gifle d'un policier et sa tête est cognée contre le mur, selon tous les témoignages des personnes interpellées, qui décrivent son comportement comme non provocateur et coopérant. Deux bruits, qui peuvent correspondre aux coups portés, sont audibles dans le document audio, accompagnés de cette injonction : "Efface ton sourire, efface ton sourire, efface ton sourire." Le policier continue de s'acharner sur le jeune homme : "Tu la fermes ou tu veux que je recommence ?" Insultes et commentaires humiliants se poursuivent encore pendant plusieurs minutes, jusqu'à ce que les policiers reçoivent l'ordre d'aller vers un autre secteur.

Huit jours après, deux plaintes sont déposées au nom de Salomé et de Souleyman, par leur avocat, Arié Alimi. Il dénonce des violences à caractère raciste en réunion par personne dépositaire de l'autorité publique, des faux et usage de faux en écriture publique, des faits d'agressions sexuelles et de menace de commettre des crimes de nature sexuelle ainsi que de la non-assistance à personne en danger, le tout sur la personne de Souleyman. Le jeune homme affirme en effet avoir été saisi par les parties génitales par le fonctionnaire ayant effectué sa palpation.

Concernant Salomé, la plainte est déposée pour atteinte à la liberté individuelle et complicité de ces faits, ainsi que violence en réunion par personne dépositaire de l'autorité publique et complicité. L'étudiante dénonce, elle aussi, les conditions de sa palpation, réalisée par une policière, appelée sur place spécialement pour procéder à cet acte.

2 Pourquoi deux policiers sur dix sont-ils renvoyés devant la justice ?

Saisie, l'IGPN mène des investigations. Dix policiers présents au moment des faits sont identifiés, selon le rapport d'enquête, consulté par franceinfo. Tous reconnaissent "en grande partie" les propos tenus dans l'enregistrement. Cependant, l'IGPN conclut que "seuls les comportements" de trois gardiens de la paix sont "susceptibles de recevoir une qualification pénale". Finalement, le parquet de Bobigny choisit de poursuivre deux policiers, car les faits reprochés au troisième ne paraissent "pas suffisamment caractérisés".

Un premier fonctionnaire, Pierre L., est renvoyé devant la justice pour des violences volontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail de deux jours. Il lui est reproché d'avoir asséné, "à deux reprises, des coups au visage" et d'avoir menacé Souleyman de violences "de manière réitérée", en lui tenant, notamment, les propos suivants : "Tu la fermes ou tu veux la deuxième ?" "Moi tu sais, je peux venir dormir avec toi si tu veux", "Ah ouais ? Ok, c'est le premier qui bande qui encule l'autre."

Le second, Thomas C., est lui aussi poursuivi en justice pour avoir proféré des menaces "de manière réitérée" à Souleyman en déclarant, entre autres : "Je te pétais les jambes ! Au sens propre hein ! Je peux te dire qu'on en a cassé des coudes et des gueules, mais toi, je t'aurais bien pété les jambes (...) Mais ne t'inquiète pas que la prochaine fois qu'on vient, tu monteras pas dans le car pour aller au commissariat, tu vas monter dans un autre truc qu'on appelle ambulance pour aller à l'hôpital."

En outre, le parquet de Bobigny a classé sans suite la plainte déposée par Salomé, au motif que "les infractions dénoncées" ne paraissent "pas caractérisées".

3 Pourquoi le renvoi du procès était-il prévisible ?

Pour Arié Alimi, qui représente Salomé et Souleyman, les poursuites sont trop "restreintes". C'est la raison pour laquelle l'avocat a déposé, en leurs noms, une citation directe de quatre policiers, et pas uniquement deux. De plus, il demande au tribunal de déclarer le policier soupçonné d'avoir porté les coups à Souleyman "coupable" de tous les faits pour lesquels son client a porté plainte. Il souhaite également que le tribunal reconnaisse la culpabilité de trois autres policiers, dont Thomas C., principalement pour "violence en réunion par personne dépositaire de l'autorité publique à caractère raciste".

"Le procureur de la République de Bobigny a protégé la majorité des policiers en ne poursuivant que deux fonctionnaires pour une infime partie des infractions", argue, auprès de franceinfo, Arié Alimi. L'avocat précise : "C'est la raison pour laquelle nous allons faire le travail à sa place, en complétant les poursuites. Il est inadmissible que dans des dossiers de violences policières, notamment commises par des membres de la Brav-M, le parquet ait pour seul rôle de protéger, dans la mesure du possible, les actes violents, racistes et sexistes qu'ils commettent." 

Ces citations directes ont été jugées recevables. Par conséquent, l'audience a été renvoyée, jeudi. "Je maintiens tout ce que j'ai dit et j'aimerais que les quatre policiers soient convoqués et répondent de leurs actes", observait auprès de franceinfo Souleyman, quelques jours avant le renvoi de l'audience. Salomé, elle, disait avoir "peu d'espoir sur son cas". "Les menaces que j'ai reçues ne sont pas dans l'enregistrement... Quand ce n'est pas enregistré, on en reste là", déplorait la jeune femme, qui a longtemps fait des cauchemars de la scène et en garde une "méfiance envers les institutions".

4 Comment se défendent les policiers ?

D'après le rapport d'enquête de l'IGPN, le policier jugé pour des coups reconnaît "avoir repoussé Souleyman au niveau du visage", "en riposte à l'attitude provocatrice et à un coup de pied" du jeune homme. Il admet aussi l'ensemble des "propos déplacés" sur l'enregistrement. Toutefois, Pierre L. nie "avoir eu pour intention de le menacer, de commettre des violences ou d'attenter à son intégrité physique ou sexuelle". "En lui disant 'c'est le premier des deux qui bande qui encule l'autre', il souhaitait garder 'l'ascendant sur lui' et 'avoir le dernier mot'", révèle le rapport de l'IGPN. Et il conteste avoir porté un deuxième coup au visage. 

Le second policier renvoyé devant la justice reconnaît, lui aussi, l'ensemble des propos reprochés et dit les regretter. Selon le rapport de l'IGPN, Thomas C. affirme que "ses mots ont dépassé sa pensée", présente ses excuses à Souleyman et déclare "qu'il ne souhaitait en rien porter atteinte à [son] intégrité physique". Le troisième policier pour lequel l'IGPN avait demandé des poursuites tient le même discours.

Quant à celui qui a procédé à la palpation de Souleyman, un autre fonctionnaire, il dit avoir pratiqué une "fouille sommaire". "Il avait uniquement palpé les lombaires, les poches arrière et avant, ainsi que les chevilles de l'intéressé. La palpation s'était déroulée sans incident", mentionne le rapport de l'IGPN. Entendu seulement en qualité de témoin, ce policier est aussi celui qui a déclaré à Salomé que "sa vie ne tenait qu'à un fil". S'il explique avoir choisi de s'exprimer "sur le ton de l'humour", il concède des propos "maladroits". Mais il nie tout propos à "caractère sexiste, raciste ou antisémite".

Contactée par franceinfo, l'avocate des policiers renvoyés devant la justice ne souhaite pas s'exprimer sur ce dossier. Quant aux deux fonctionnaires, ils n'ont pas répondu à nos sollicitations. Dans cette affaire, trois policiers ont été renvoyés en conseil de discipline par le préfet de police de Paris. Il aura lieu le 7 septembre 2024, selon nos informations. Par ailleurs, quatre autres policiers de la Brav-M ont reçu un avertissement.

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