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"Plus on est précaire, plus on se retrouvera de manière automatique en détention provisoire", dénonce une avocate

Roxanne Best, avocate au Barreau de Paris, a signé une tribune dans le journal "Le Monde" intitulée "Non, les policiers ne sont pas les seules personnes pour qui la présomption d’innocence 'ne compte pas'”, après le placement en détention provisoire d'un policier.
Article rédigé par franceinfo
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Des policiers devant l'entrée de la cour d'appel d'Aix-en-Provence, le 3 juillet 2023. (CLEMENT MAHOUDEAU / AFP)

La détention provisoire "devient automatique, notamment pour une certaine catégorie de justiciables", à savoir les plus précaires, dénonce jeudi 3 août sur franceinfo Roxanne Best, avocate au Barreau de Paris, quatrième secrétaire de la Conférence du Barreau de Paris, à la suite d'une tribune dont elle est cosignataire publiée dans le journal Le Monde. Intitulée "Non, les policiers ne sont pas les seules personnes pour qui la présomption d’innocence 'ne compte pas'”, cette tribune fait suite au placement en détention provisoire de deux policiers, qui a suscité la colère de nombreux de leurs collègues. 

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La détention provisoire est-elle une mesure dévoyée aujourd'hui ?

Roxanne Best : On est très heureux qu'il y ait ce débat sur la détention provisoire dans les médias. On a pris la plume collectivement car ce qu'il faut interroger, la grande difficulté aujourd'hui en France, c'est la question générale de la détention provisoire : est-elle appliquée de la manière dont le législateur a décidé de l'écrire dans les textes ?

La question de ces deux policiers placés en détention provisoire récemment doit se poser, mais ce qui doit se poser, et nous, on le constate tous les jours au Tribunal judiciaire de Paris et devant la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, c'est qu'il y a des gens qui sont envoyés de manière quotidienne et non exceptionnelle en détention provisoire, alors que les textes disent que la détention provisoire doit rester exceptionnelle. Ce n'est plus du tout le cas.

Environ 20 000 personnes sont en détention provisoire aujourd'hui en France, présumées innocentes. Ça représente quasiment un tiers des détenus. Cette mesure devient-elle automatique dans les tribunaux ?

Elle devient automatique, notamment pour une certaine catégorie de justiciables : aujourd'hui, si vous êtes SDF, même si ce que vous avez commis n'est pas très grave sur l'échelle de ce qui peut être commis comme infraction, vous avez très très peu de chances de ne pas vous retrouver en détention provisoire : plus on est précaire, plus on se retrouvera facilement de manière automatique en détention provisoire.

On se bat tous les jours, on plaide tous les jours en expliquant que ça n'a aucun sens, que ce n'est pas une bonne application de l'article 144 du Code de procédure pénale : il nous dit que certains critères doivent être remplis pour envoyer quelqu'un en détention provisoire.

Aujourd'hui, on a l'impression que la détention provisoire est appliquée de manière automatique et non rigoureuse : on prend en compte ce qu'a commis la personne, alors que normalement la gravité de l'infraction n'entre pas en compte. On applique ça au doigt mouillé, de manière générale, un peu confuse. Il existe ce principe en droit pénal et dans toute démocratie qui doit être respecté et qu'on doit faire appliquer, c'est l'application stricte des textes pénaux. On a l'impression que la loi n'est pas appliquée de manière rigoureuse et c'est dangereux pour notre démocratie.

Comment expliquer ce recours massif à la détention provisoire ?

On n'a pas de réponse, on a des hypothèses : la première hypothèse, c'est de dire qu'il y a une peur des magistrats de prendre le risque de ne pas placer quelqu'un en détention provisoire. Si un magistrat décide de ne pas placer quelqu'un en détention provisoire, il prend le risque que cette personne ne vienne pas aux différents interrogatoires, que cette personne réitère l'infraction pour laquelle elle est présumée innocente et sous instruction...

Au lieu d'avoir le courage d'appliquer un principe de liberté, ce que disent nos textes, beaucoup de magistrats se cachent un peu derrière ce risque et préfèrent ne pas en prendre. Ne prendre aucun risque aujourd'hui pour un magistrat en France, c'est envoyer quelqu'un en détention provisoire. C'est dramatique.

20 000 personnes sont en détention provisoire alors qu'on a atteint un record de surpopulation carcérale. Que faire ?

On a un juge qui a été créé en France après différents scandales juridico-médiatiques : le juge des libertés et de la détention, censé être un juge supplémentaire par rapport au juge d'instruction. Il dit si oui ou non on place une personne en détention provisoire. Dans les faits, la plupart des juges des libertés et de la détention vont suivre l'avis donné un peu plus tôt dans la journée par le juge d'instruction.

Parfois, on peut se demander à quoi sert ce deuxième niveau, ce deuxième juge, si c'est pour presque toujours décider d'envoyer la personne en détention, comme c'était le choix du juge d'instruction. Certains juges des libertés et de la détention écrivent de manière automatique, tous les jours, sur une ordonnance de placement en détention provisoire, qu'ils envoient monsieur ou madame untel, de manière exceptionnelle, en détention provisoire. On se demande où est passée l'exception. Si l'exception est devenue un principe, forcément il y a une surpopulation carcérale.

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