"Marche des libertés" : ce que les forces de l'ordre ne peuvent plus faire lorsqu'elles encadrent les manifestations
Le Conseil d'Etat a annulé plusieurs dispositions phares du schéma du maintien de l'ordre, dont la technique de la "nasse". Mais le gouvernement entend bien revoir sa copie pour pouvoir de nouveau recourir à cette technique décriée.
La décision est tombée à l'avant-veille d'une grande journée de manifestations en France. Le Conseil d'Etat a infligé, jeudi 10 juin, un sévère désaveu au ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, en annulant plusieurs dispositions phares de son schéma du maintien de l'ordre.
Si l'usage des grenades de désencerclement et des lanceurs de balles de défense (LBD) n'est pas remis en cause et qu'il est toujours possible d'avoir recours à des services non spécialisés, comme la BAC ou la BRI, pour gagner en "mobilité", les mesures jugées "attentatoires aux libertés publiques" ou contraires à la liberté de la presse ont été censurées.
Alors que syndicats, associations, partis politiques et médias appellent à une marche "pour les libertés et contre les idées d'extrême droite" dans de nombreuses villes, samedi 12 juin, avec un départ à 14 heures pour le cortège parisien depuis la place de Clichy, franceinfo fait le point sur ce que les forces de l'ordre ne pourront plus faire lorsqu'elles encadrent des manifestations.
Les nasses proscrites jusqu'à nouvel ordre
Dans le schéma national du maintien de l'ordre (SNMO) publié en septembre pour mettre fin aux polémiques à répétition concernant l'utilisation de la force par la police, en particulier lors des mobilisations des "gilets jaunes", la technique de la nasse, qui consiste à encercler des groupes de manifestants à des "fins de contrôle, d'interpellation ou de prévention d'une poursuite des troubles", était toujours autorisée.
Saisi par des associations et des syndicats, notamment de journalistes, le Conseil d'Etat a estimé que si cette technique "peut s'avérer nécessaire dans certaines circonstances", "elle est susceptible d'affecter significativement la liberté de manifester, d'en dissuader l'exercice et de porter atteinte à la liberté d'aller et venir".
Surtout, la plus haute juridiction administrative juge que le schéma du maintien de l'ordre ne précise pas suffisamment les cas où cette technique peut être employée. Il annule donc la mesure car "rien ne garantit que son utilisation soit adaptée, nécessaire et proportionnée aux circonstances". Samedi, les forces de l'ordre devront donc trouver des alternatives en cas de débordements.
Mais la Place Beauvau entend bien revoir sa copie pour que les forces de l'ordre puissent de nouveau y avoir recours plus tard. "Le Conseil d'Etat n'interdit pas cette technique mais demande à ce que les conditions d'emploi soient précisées, et le gouvernement va s'y employer", précise à franceinfo une source au ministère de l'Intérieur, ajoutant que "ces modifications auront lieu dans les prochaines semaines".
Selon Patrice Spinosi, avocat du Syndicat national des journalistes et de la Ligue des droits de l'homme, "cela va être compliqué" pour l'exécutif de réintroduire cette mesure. "Je ne suis pas sûr que cette décision du Conseil d'Etat soit si facilement susceptible d'être remise en cause par le gouvernement malgré ses efforts", a-t-il analysé sur franceinfo.
Les dispersions des journalistes interdites
Si le schéma de maintien de l'ordre insistait sur la nécessité de reconnaître la "place particulière des journalistes au sein des manifestations" et qu'il pointait leur droit à "porter des équipements de protection", il subordonnait cette possibilité à leur "comportement exempt de toute infraction ou provocation".
Le Conseil d'Etat estime que "le ministre de l'Intérieur ne [dispose] pas, en sa qualité de chef de service, d'une compétence pour édicter de telles règles à l'égard des journalistes, non plus d'ailleurs qu'à l'égard de toute personne participant ou assistant à une manifestation". Fini donc la confiscation du matériel de protection des journalistes, comme cela a été fait à plusieurs reprises pendant les manifestations de "gilets jaunes".
L'instance considère également que les journalistes "n'ont pas à quitter les lieux lorsqu'un attroupement est dispersé" et qu'ils n'ont pas non plus "l'obligation d'obéir aux ordres de dispersion" des forces de l'ordre, comme le prévoyait le schéma du maintien de l'ordre. "Les journalistes doivent pouvoir continuer d'exercer librement leur mission d'information, même lors de la dispersion d'un attroupement", souligne le Conseil d'Etat.
"Ils ne peuvent donc être tenus de quitter les lieux, dès lors qu'ils se placent de telle sorte qu'ils ne puissent être confondus avec les manifestants ou faire obstacle à l'action des forces de l'ordre", poursuit-il. Un point qui a attiré l'attention du gouvernement. Samedi, les journalistes ne seront donc pas sommés de quitter les lieux en cas d'attroupement mais devront se démarquer des manifestants et ne pas s'interposer par exemple.
Les reporters pas obligés de s'accréditer
Le Conseil d'Etat a enfin rejeté la nécessité pour les reporters de s'accréditer pour avoir accès au canal d'informations en temps réel mis en place lors de manifestations. Il ne ferme toutefois pas la porte au dispositif "réservé éventuellement aux journalistes titulaires de cartes de presse", "compte tenu des contraintes opérationnelles auxquelles sont soumises les forces de l'ordre à l'occasion des manifestations".
Le canal d'information dédié est bien ouvert à l'ensemble des journalistes, répond le ministère de l'Intérieur. "Un travail devra être engagé avec la profession pour définir les critères permettant de réserver à la profession ce canal d'information. Cela fera l'objet de travaux au sein du groupe de contact (...) mis en place dans le cadre de la mise en œuvre du rapport Delarue" sur les relations entre la presse et les forces de l'ordre, remis début mai.
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