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"Une voiture arrive, deux hommes en sortent et le tuent" : pourquoi l'ex-espion Daniel Forestier a-t-il été assassiné ?

L'ex-agent de la DGSE, tué par balles en mars dernier sur un parking près du lac Léman, était soupçonné d'avoir lui-même participé à un complot en vue d'éliminer un opposant congolais réfugié en France. Les enquêteurs cherchent à savoir si les deux affaires sont liées.

Article rédigé par Philippe Reltien - Cellule investigation de Radio France
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Le corps de Daniel Forestier a été retrouvé au pied d'une voiture stationnée sur un parking de la commune de Ballaison, au bord du lac Léman. (VIRGINIE BORLET / MAXPPP)

Le 21 mars 2019, le corps de Daniel Forestier, ex-agent de la DGSE (les services de renseignement français), est retrouvé criblé de balles en Haute-Savoie. Son assassinat est intervenu sur fond de lutte entre le président congolais Denis Sassou-Nguesso et un de ses opposants réfugié en France, le général Ferdinand Mbaou.

"Daniel Forestier se sentait en danger"  

Le jour de sa mort, Daniel Forestier a rendez-vous avec un patient, car il officie à ses heures perdues comme magnétiseur. Peu après le déjeuner, il prend sa voiture en direction de Thonon-les-Bains, puis bifurque sur une toute petite route. À 14h45, il s'arrête sur un parking, près du lac Léman et sort de sa voiture. C’est alors que des coups de feu éclatent. "Une voiture arrive, deux hommes en sortent et le tuent en deux temps : immobilisation puis élimination, raconte Jacques Follorou, journaliste au Monde. C'est un procédé qualifié de professionnel, et l'enquête risque d'être compliquée."

Daniel Forestier. (CAPTURE D'ÉCRAN FACEBOOK)

Daniel Forestier se doutait-il de ce qui allait se passer ? D'après ses proches, il semblait préoccupé. "À un moment, je l'ai trouvé très déprimé et triste, se souvient Jean-Luc Soulat, maire de Lucinges, dont Daniel Forestier était l'un des adjoints. "Daniel Forestier se sentait en danger, confirme l'avocat du général Mbaou, Me Norbert Tricaud. Juste après l'assassinat, sa mère a déclaré que son fils lui avait dit qu'il faudrait prendre des mesures en cas de risques de disparition brutale de sa part." Il avait donc clairement envisagé l’hypothèse de sa disparition.

Agent secret, écrivain, patron de bar et élu local

Né en 1961, Daniel Forestier s'engage très jeune dans l'armée. Le début de sa carrière, dans les années 90, est marqué par un passage dans les forces spéciales, le service action : une unité militaire secrète de la DGSE. Il participe à la guerre du Golfe, puis est envoyé sur tous les fronts : au Tchad, en République centrafricaine, en Somalie, aux Comores et au Rwanda. "Le service action est un service clandestin, utilisé notamment pour les assassinats ciblés, détaille Jacques Follorou. C'est la part d'ombre de la démocratie. Ils peuvent aussi faire de la formation pour des groupes d'opposants armés dans des pays en conflit par exemple", poursuit le journaliste du Monde. De retour en France, Daniel Forestier devient officier instructeur au CPES, le Centre parachutiste d’entraînement spécialisé au camp de Cercottes, près d'Orléans, et forme les commandos clandestins de la DGSE qui partent en mission à l’étranger. 

L'ancien bar-tabac de Daniel Forestier, L'Escapade (Lucinges, Haute-Savoie), ici en 2011. (GOOGLE MAPS)

En 2003, il revient à la vie civile. Il s’installe avec sa famille à Lucinges en Haute-Savoie, près d’Annemasse. Là, il se lance dans l'écriture de quatre romans policiers inspirés par son environnement montagneux, comme Requiem pour un Savoyard ou Les bouquetins se cachent pour mourir. Mais c'est en tant que buraliste et patron de l'unique bistrot du village, L’Escapade, qu'il se fait connaître par tout le monde. Élu en 2014 dans la majorité municipale, il devient adjoint du maire de Lucinges. "Il était mon 'monsieur défense', explique le maire de Lucinges, Jean-Luc Soulat. Quand on organisait des cérémonies, comme pour le 11-Novembre, c'est lui qui était un peu le chef d'état-major de ce genre d'évènement marqueur pour lui. C'était son côté républicain, militaire, qui nous rapprochait."

Daniel Forestier a été l'adjoint au maire de Lucinges. (MAIRIE DE LUCINGES)

Mais très vite, Daniel Forestier retourne à ses premières occupations. Il revend son bar-tabac, et devient chargé de la sécurité de Dinara Kulibayeva - la fille de l'ancien président du Kazakhstan Noursoultan Nazarbaïev - et de son époux Timur Kulibaev. Ce dernier est à ce moment-là président du fonds souverain du Kazakhstan, pays minier et gazier, qui achète notamment à la France des satellites et des hélicoptères. La famille s’est installée dans une jolie villa au bord du lac Léman. Dès 2010, Daniel Forestier s’absente souvent pour suivre sa cliente, quatrième fortune du Kazakhstan, qui fait des affaires dans le luxe en Europe. Il l’accompagne aussi en vacances dans le sud de l’Espagne ou aux sports d’hiver.

Le nom de Forestier cité dans un complot visant un opposant congolais 

En 2018, sa vie bascule à cause d’un supposé complot contre un ressortissant congolais. D'après les éléments de l’enquête ouverte pour éclaircir cette histoire, un groupe de mercenaires français aurait été constitué au début de l'année 2018 pour assassiner en banlieue parisienne Ferdinand Mbaou, un opposant déclaré au président du Congo-Brazzaville, Denis Sassou-Nguesso. Mbaou est un ancien général congolais, ex-chef de la garde présidentielle, qui s’est exilé en France à Bessancourt (Val-d’Oise).

L'ancien général congolais Ferdinand Mbaou le 21 septembre 2018. (JOEL SAGET / AFP)

Daniel Forestier se serait vu proposer 400 000 euros pour s’occuper de la logistique du complot. Dans le groupe figurent : Bruno Susini, un ancien du service action devenu employé portuaire, mais aussi un ex-camarade des parachutistes, aujourd’hui détective privé, qui était censé photographier les lieux, ainsi qu'un chauffeur de limousine, qui devait accompagner Daniel Forestier chez le général Mbaou.

L’ex-militaire ne cherche pas à nier les faits

Le supposé complot de 2018 n’ira cependant pas au bout. Durant l'été 2018, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) reçoit un renseignement anonyme lui indiquant qu’on s’apprêterait à tuer le général Mbaou en France. Cette source indique que Daniel Forestier serait impliqué dans le complot. Selon nos informations, ce renseignement serait venu des services de renseignement tchèques, à Prague.

La DGSI commence alors à enquêter, et envoie deux policiers en Haute-Savoie. Ces derniers convoquent Daniel Forestier et lui expliquent que la France ne tolérera pas qu’on assassine un opposant d’un autre pays. L’ex-militaire ne cherche pas à nier les faits. Il précise même qu’il devait trouver des explosifs, et raconte qu’il en a déjà caché une partie chez sa mère. Explosifs qui ne seront cependant jamais trouvés.

L'enquête fuite, l'identité de Forestier dévoilée

Le 7 septembre 2018, juste après la confession de Daniel Forestier, le parquet de Lyon ouvre une enquête préliminaire. Quelques jours après leur interpellation, Daniel Forestier et son complice présumé Bruno Susini sont mis en examen, le 12 septembre, pour association de malfaiteurs et détention d’explosifs. Mais là, changement de ton : Daniel Forestier nie tout en bloc, tout comme Bruno Susini. À l’issue de leur garde à vue, ils sortent libres sous contrôle judiciaire. Mais dès le lendemain de leur mise en examen, l'enquête fuite dans la presse. Les noms et les fonctions des équipiers du commando supposé, ainsi que la cible visée, le général Mbaou, sont publiés. "Ces fuites démontrent à l'évidence qu'ils ont été exposés, regrette Me Marie-Alix Canu-Bernard, avocate de Bruno Susini. Dans un dossier comme celui-ci, il est évident qu'il ne fallait pas donner leur identité. Ces fuites les ont exposés et sont tout à fait anormales."

Daniel Forestier se retrouve sous le feu des projecteurs, avec le risque de représailles que cela implique. Lui sait que le complot était déjà connu des enquêteurs lorsqu’il leur a parlé, mais aux yeux des autres membres du commando, il risque de passer pour celui qui a fait échouer l’opération. "Dans le milieu traditionnel du renseignement, on peut considérer – c'est l'opinion majoritaire – que c'est une balance", analyse Patrick Baudouin, de la FIDH (Fédération internationale des ligues des droits de l'homme).

A-t-on tué Daniel Forestier pour le faire taire ?

Cette piste est privilégiée par les enquêteurs. Devenu le maillon faible du complot, il connaissait probablement toute la chaîne et peut-être même le commanditaire. "Nous considérons qu'il y a une volonté de faire disparaître des preuves, ajoute Norbert Tricaud, avocat du général Mbaou. En assassinant Daniel Forestier, c'est un élément important de la chaîne de commandement et d'exécution de la tentative d'assassinat contre le général Ferdinand Mbaou qui disparaît. Il serait important que les deux autres personnes concernées puissent faire l'objet de mesures de protection importantes et que le général Ferdinand Mbaou puisse être confronté aux deux survivants."

Les enquêteurs cherchent maintenant à mettre la main sur le chaînon manquant du commando : le chauffeur de limousine, aujourd’hui en fuite. Selon le dossier judiciaire, il aurait conduit à deux reprises Daniel Forestier en région parisienne pour espionner la villa du général Mbaou. Personne ne sait où il se cache aujourd’hui. 

Le général Mbaou dit craindre pour sa vie

Ce n'est pas la première fois que l'opposant congolais est visé. Le 10 novembre 2015, un homme s’approche du général Mbaou et lui tire dessus, devant son domicile. Il survit, mais la balle qu’il reçoit est toujours logée dans son dos. "Cette fois-là, j'aurais dû mourir, raconte Ferdinand Mbaou, que nous avons rencontré. Puis ça a continué. Je ne peux pas me sentir en sécurité si ça fait deux fois qu'on attente à ma vie sans que j'ai une protection et sans que les autorités ne disent mot." 

Il est impossible de relier cette tentative de 2015 au complot de 2018. Cédric Huissoud, avocat de la famille Forestier, insiste : Il s'agit de la même cible, mais à aucun moment l'affaire de 2015 n'apparaît de manière directe ou indirecte dans le dossier de 2018." Cependant, pour le général Mbaou, ces deux tentatives de meurtre à trois ans d’intervalle ne sont pas le fruit du hasard : "Je veux, je tiens et j'exige de rencontrer le juge de manière à ce qu'on ait la possibilité de comparer la balle qui est dans mon corps et les autres balles [de l'assassinat] de monsieur Forestier. J'ai aussi le portrait-robot de mon agresseur de 2015."

L'enquête de Philippe Reltien, dans "Samedi investigation", sur franceinfo.

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