: Enquête Terrorisme d’ultra-droite : l’inquiétude des autorités françaises
La justice antiterroriste voit se multiplier les dossiers liés à l’extrême droite radicale. Actuellement, 52 personnes sont mises en examen pour des projets prévoyant un recours à la violence.
Selon le renseignement intérieur, le risque d’attentat lié à l’extrême droite radicale en France est de plus en plus élevé. Entre 1 500 et 2 000 individus, qu’ils soient nationalistes, accélérationnistes (concept qui vise à provoquer une guerre civile) ou néonazis, sont considérés comme potentiellement violents. Parmi eux, une petite centaine serait susceptible de fomenter un attentat. Du côté de la justice aussi, la menace jihadiste n’est plus la seule à inquiéter.
Au parquet national antiterroriste, les dossiers liés à l’extrême droite radicale commencent à s’entasser : 11 enquêtes ont été ouvertes depuis 2017 pour des présumés projets d’attentats – dont six informations judiciaires toujours en cours. 12 personnes ont été condamnées et 52 sont actuellement mises en examen.
Rémy Daillet, l’homme qui voulait marcher sur l’Élysée
Parmi ces affaires encore à l’instruction, celle qui concerne Rémy Daillet-Wiedemann est à la fois emblématique et tentaculaire. À ce stade des investigations, ce Français mis en examen pour son implication présumée dans l’enlèvement de la jeune Mia est aussi placé en détention provisoire en Alsace, pour un projet que la justice qualifie de terroriste. Cette figure de la fachosphère et des réseaux complotistes, qui vivait en Malaisie avant d’en être expulsé, avait décidé de mener une "révolution" pour renverser le président Macron. Un projet de putsch baptisé "opération Azur".
Rémy Daillet-Wiedemann connaît bien le milieu politique. Fils de Jean-Marie Daillet, député Union pour la démocratie française (UDF) de la Manche pendant deux décennies, il a rejoint un temps les rangs du parti de François Bayrou dans les années 2000. À l’époque, Rémy Daillet quitte Vaison-la-Romaine pour s’installer près de Toulouse avec ses nombreux enfants. Il "vivote", raconte son ami Pierre Claret, qu’il connaît depuis une vingtaine d’années. Il se lance dans le commerce de savons et de parfums sur internet. Jusqu’à ce que Pierre Claret, aujourd’hui porte-parole du candidat à la présidentielle Jean Lassalle, demande un service à Rémy Daillet. "Comme j’ai toujours été centriste, j’ai trouvé intéressant qu’il me présente son père député, et pourquoi pas François Bayrou ?, raconte-t-il à la cellule investigation de Radio France. Au bout d’un mois, il m’a dit : ‘Tout compte fait, moi aussi j’ai envie de m’intéresser à la politique. Je pars donc avec toi voir François Bayrou.’ Comme il n’avait aucune formation, j’ai proposé à Rémy de devenir son conseiller. Je voyais qu’il voulait faire quelque chose pour la France, mais qu’il ne savait pas trop comment s’y prendre."
L’attelage Claret-Daillet remporte une élection interne au Modem. Rémy Daillet devient le patron de la fédération de Haute-Garonne. Au grand désespoir des cadres du parti centriste, qui jugent le personnage un brin farfelu, souvent "hors des clous". Comme lorsqu’il décide d’entamer une grève du froid en soutien aux salariés de Molex dont l’usine allait fermer. Il attire alors les médias. Et ça lui plaît, selon son ami Pierre Claret. "C’était un doux rêveur, passionné. Moi, je le voyais homme de théâtre, raconte-t-il. Il prenait la lumière et savait s’exprimer. Mais il n’avait pas les bases culturelles nécessaires pour faire de la politique, donc il passait plus pour un rigolo ou comme un homme de théâtre que pour un vrai politique."
Accusé d’avoir enregistré à son insu François Bayrou lors d’une réunion nationale du parti, Rémy Daillet est exclu du Modem. Avec sa famille, l’homme quitte la France et s’installe en Asie. Il lance différents sites internet et blogs, qui prônent notamment les bénéfices de "l’école à la maison". En parallèle, Rémy Daillet poste des vidéos plus politiques, aux accents complotistes, et lance l’idée de renverser Emmanuel Macron. Dans l’une de ces vidéos, sur un fond noir, il déclare solennellement : "Je vais renverser le gouvernement de la République, totalement vendu aux puissances d’argent. J’interdirai les sectes comme la maçonnerie, j’interdirai les campagnes de vaccination massives et la 5G." Rémy Daillet crée alors son mouvement politique, "la Nouvelle France", et rédige un programme de 81 mesures pour le jour où il s’emparera de l’Élysée. "Depuis le début, il se prend pour De Gaulle, estime Pierre Claret. Il considère que le général a été obligé de partir à l’étranger pour faire son appel et, lui, depuis la Malaisie, il fait la même chose."
Tags négationnistes et réseaux "pédo satanistes"
Ceux qui scrutent la toile et analysent les phénomènes conspirationnistes voient apparaître Rémy Daillet sans le prendre au sérieux dans un premier temps. "Au début, je le percevais comme un personnage clownesque. J’en riais pour être honnête", reconnaît le spécialiste du numérique Tristan Mendès-France. Et il est vrai que certaines de ses vidéos prêtent à sourire, comme lorsqu’il raconte qu’il a parlé à Trump et à Poutine de la révolution qu’il va mener en France. "Ils ne seront pas aux abonnés absents le moment venu", affirme-il en parlant des deux chefs d’État. Malgré l'absence de crédibilité de ces propos, certaines vidéos deviennent virales et atteignent les 300 000 vues sur internet. "On s'est alors aperçu qu’au sein des réseaux de la fachosphère, mais aussi parmi d’ex-'gilets jaunes', les gens étaient galvanisés par le discours de Daillet", raconte Maxime Macé qui, avec son confère Pierre Plottu, enquêtent depuis plusieurs années sur l’extrême droite radicale. "On s’est rendu compte que les gens y voyaient un espoir. Ça peut paraître fou, car quand Rémy Daillet dit : ‘le putsch arrive’, ça n’arrive jamais. Pourtant les gens y croient."
Rémy Daillet l’ignore, mais en France, il entre aussi à ce moment-là sur les radars des forces de l’ordre. Particulièrement ceux de l’Office central de lutte contre les crimes contre l’humanité, qui abrite depuis un an une division s’occupant des crimes de haine. Cette dernière soupçonne Rémy Daillet d’avoir glorifié sur les réseaux sociaux l’inscription de tags négationnistes à Oradour-sur-Glane. Les gendarmes émettent alors une notice Interpol. Rémy Daillet sera expulsé de Malaisie après l’affaire de la petite Mia. L’enfant avait été placée par les services sociaux chez sa grand-mère, puis enlevée par des sympathisants de Rémy Daillet, avant d’être retrouvée en Suisse. Car Daillet estime qu’en France, on place abusivement les enfants dans des familles d’accueil et qu’on les livre ainsi à des "réseaux pédo-satanistes". Cette vision des choses est partagée par certains anciens "gilets jaunes". "Presque tous les membres qui ont participé au rapt de Mia nous ont dit qu’ils avaient été 'gilets jaunes'", confie d’ailleurs une source proche de l’enquête.
L’enlèvement de Mia – comme le projet de rapt d’une autre fillette – aurait été une façon de "s’aguerrir" pour certains partisans du projet de révolution porté par Rémy Daillet-Wiedemann. Dans un message trouvé sur son site "Renversement", il est indiqué que les militants doivent commencer par trouver de "petites cibles" pour s’entraîner, comme des antennes 5G. L’un des mis en examen dans l’affaire Daillet a d’ailleurs été mis en cause pour le sabotage présumé d’une antenne de ce type.
"Les balles vont siffler"
Dans l’équipe qui se constitue en France autour du projet de Rémy Daillet, se trouvent aussi des militaires. Parmi eux : le lieutenant-colonel M., un ancien haut gradé décoré de la Légion d’honneur qui s’est éloigné du groupe avant l’enlèvement de Mia. Ses avocats, contactés par la Cellule investigation de Radio France, évoquent "un moment d’égarement". Ce militaire qui venait de partir à la retraite aurait été séduit un temps par le discours révolutionnaire de Daillet.
Son projet de putsch – ni très avancé ni très bien ficelé selon les enquêteurs – devait-il se faire dans la violence ? L’avocat de Rémy Daillet affirme que non. "Ça devait être une révolution populaire et pacifique", insiste Me Jean-Christophe Basson-Larbi. Selon lui, son client ne doit pas être tenu pour responsable de ce que ses "sympathisants" pouvaient projeter en France. "Il était loin, en Malaisie, et il n’a jamais rencontré physiquement les autres protagonistes du dossier." Une ligne de défense qui ne convainc pas l’accusation. Sur le site "Renversement" de Rémy Daillet, nous avons trouvé plusieurs messages qui évoquent une probable action violente.
"Ne perdez pas votre temps en discutaille. On va faire un coup d’État, vous comprenez ce que ça veut dire ? On va avoir des tués. On n’est pas à une réunion LGBT, ni Europe Écologie (…) Vous suivez les instructions, vous vous tenez à disposition, vous vous entraînez, vous allez sur le terrain comme dit pour les actions indiquées si vous êtes dans les sections d’assaut et vous fermez la bouche (…) C’est la guerre, ils vont vous mettre un couteau sous la gorge. (…)Vous, par exemple, n’êtes pas motivé et si je vous donne un fusil, vous allez discuter ? Je ne ferai pas une révolution avec quelqu’un qui arrive et commente, comprenez-vous ? (…) J’écrème, je ne veux pas de parleurs. Les balles vont siffler, les parleurs feraient mieux de rester derrière."
Ces extraits d’écrits ont été trouvés sur le site "Renversement" de Rémy Daillet, en réponse à des questions posées par des sympathisants. Pour l’avocat de Rémy Daillet, il n’est pas établi qu'il en soit le véritable auteur. Maître Jean-Christophe Basson-Larbi estime aussi que son client est détenu uniquement en raison de ses idées et de son projet politiques. "Il est un prisonnier politique !", assure-t-il.
Un projet d'attentat contre des francs-maçons
L’affaire Daillet est une affaire à tiroirs. Les enquêteurs pensent aussi que, depuis la Malaisie, l’homme était en contact avec un groupuscule d’extrême droite radicale dénommée "Honneur et Nation", dont le projet – baptisé "Projet Alsace" comme l’avait révélé Le Parisien – aurait consisté à faire exploser une loge maçonnique en Moselle. "Il s’agit d’un groupe de skinheads qui s'est mis au service de Daillet, convaincu que ses thèses sont viables, avance le journaliste de StreetPress et de Libération Maxime Macé. Ces personnes avaient une volonté manifeste de passer à l’acte, ont cherché des explosifs et avaient étudié comment fuir après l’attentat en se réfugiant dans la forêt." Pour ce projet d’attentat présumé, quatre hommes et une femme, âgés de 26 à 57 ans, ont été arrêtés et placés en détention provisoire. L’avocat de Rémy Daillet affirme que son client est totalement étranger à cette "affaire dans l’affaire".
Les mesures sanitaires : un terreau propice aux groupuscules radicaux
Rémy Daillet a agrégé autour de lui des sympathisants d’horizons très divers. Mais pour les experts du renseignement intérieur, cette mouvance est soudée par une colère partagée contre les mesures sanitaires, que ce soit la vaccination obligatoire, ou le pass sanitaire puis vaccinal... Ces mesures constituent un terreau fertile pour l’extrême droite radicale. Et ce n’est pas un hasard si certains membres actifs du réseau constitué autour de Rémy Daillet ont été approchés et "recrutés" au cours de manifestations contre les mesures sanitaires organisées par le mouvement Les Patriotes de Florian Philippot, devant le ministère de la santé à Paris.
Pour Tristan Mendès-France, ces manifestations "sont des moments permettant de trouver de nouveaux adeptes". L’analyste, spécialiste des complotismes, cite en exemple cette enseignante qui avait brandi une pancarte au caractère antisémite pendant un défilé. "Elle a profité du brassage qu’il y a dans les manifestations pour propager ce genre de discours, et pourquoi pas convaincre de nouveaux adhérents."
Les experts du renseignement intérieur parlent d’une forme de "porosité" entre ces mouvements qui n’est pas sans rappeler l’émergence du mouvement Qanon aux USA. "On a vu aux États-Unis que l'un des principaux leaders du mouvement Qanon, l’un des plus suivis sur le réseau social Telegram, qui était porteur d’un discours antivaccin, est devenu peu à peu le premier porteur de discours néonazi, constate Tristan Mendès-France. Et on a un peu les mêmes travers qui arrivent en France. On voit que la communauté antivaccins commence à s’acclimater à des discours néonazis et négationnistes."
Si le mouvement Qanon n’a pas encore fait beaucoup d’émules en France, selon des sources au sein des services de renseignement, il ne faut pas en minimiser la menace. Tristan Mendès-France en veut pour preuve l’invasion du Capitole, qui a eu lieu le 6 janvier 2021, à Washington, après la défaite de Trump à l’élection présidentielle. "Cet épisode montre que le militantisme de clavier n’est pas qu’une virtualité, et qu’il peut se traduire par une volonté de renverser la démocratie, affirme l’essayiste. On a vu que ce 6 janvier, il y avait un agrégat de groupuscules qui ont convergé vers le Capitole. Et si ça s’est passé aux États-Unis, il n’y a aucune raison que ça ne se passe pas ailleurs", prévient-il.
Groupes néonazis en France : la bascule de 2015
Les affaires judiciaires mettant en cause des groupuscules d’extrême droite radicale, soupçonnés de vouloir "passer à l’acte", se sont multipliées depuis 2015. Une petite dizaine d’attentats aurait été évitée ou déjouée, indiquent les services de renseignement. À l’automne dernier s’est tenu le procès d’un groupe de ce type, qui s’était baptisé "OAS". Son fondateur, Logan Nisin, ancien membre de la sécurité de Jean-Marie Le Pen, a été condamné à neuf ans de prison. Selon l’accusation, son groupe aurait voulu s’en prendre aussi bien à des musulmans qu’à des personnalités politiques comme Jean-Luc Mélenchon et Christophe Castaner. Pour Éric Bourlion, l’avocat de Logan Nisin, ce sont les attentats de 2015 qui ont plongé ces jeunes dans la violence et la radicalité. "L’attentat de Charlie Hebdo est un événement majeur, avance l’ancien bâtonnier de Pontoise. Ces jeunes ont eu l’impression que la République ne pouvait pas les protéger, que l’ennemi était là, et qu’il fallait s’armer pour se défendre. C'est un déclic pour beaucoup d’entre eux." Et Éric Bourlion va plus loin : "Quand vous triturez le cerveau de ces jeunes à l’esprit très nationalistes, ils en arrivent à se dire que le IIIe Reich serait la solution." "OAS" mais aussi "AFO", "Les Barjols", plusieurs groupes de ce type ont ainsi été démantelés ces dernières années, notamment après avoir fait l’objet, pour certains, d’infiltration de la part de la DGSI.
Cependant, la plus grande menace pour le renseignement intérieur viendrait aujourd’hui d’individus plus isolés ou solitaires, qui ont vite basculé dans la radicalité. Ayant peu d’échanges sur des forums ou avec des groupes, ils sont moins facilement détectables. À la fin de l’année 2021, la DGSI a ainsi interpellé un jeune en Normandie. Un individu déscolarisé qui se serait totalement imprégné d’idéologie nazie en quelques mois seulement. Les enquêteurs pensent qu’il aurait pu commettre une attaque contre une mosquée ou dans son ancien lycée. "Ce sont des profils assez inquiétants qui ont souvent une fascination pour l’ultra-violence, le meurtre, et le sang, confie une source proche de l’enquête. On a interpellé un jeune qui nous a dit qu’il avait un projet de passage à l’acte entre les deux tours de l’élection présidentielle, le jour de l’anniversaire d’Adolf Hitler. En fait, ce type de profils "individuels" nous inquiète."
Aller plus loin :
>> Écouter | Derrière les "gilets jaunes", l’extrême droite en embuscade, une enquête de Frédéric Métézeau à écouter dans "Secrets d’info", sur France Inter
>> Regarder | Ultra-droite, la nouvelle menace, à regarder gratuitement dans "Complément d’enquête" jusqu’au 30 avril 2022
>> Lire | Ultradroite : "Les réactions que suscitent nos enquêtes sont de plus en plus brutales", souligne le rédacteur en chef de "Street Press", franceinfo
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