Attentat de Nice : à l'hôpital Lenval, "les enfants arrivent extrêmement terrorisés"
Après l’attentat qui a causé la mort de 84 personnes le 14 juillet à Nice, quatre cellules d’urgence médico-psychologique (Cump) ont été mises en place, dont une spécialement destinée aux enfants à l’hôpital pédiatrique Lenval.
Aujourd’hui, Lila porte une robe à fleurs rouges et ses cheveux sont soigneusement attachés en queue-de-cheval. Assise sur sa chaise, elle attend que le psychiatre l’appelle pour son rendez-vous. Alors pour patienter, elle gribouille de manière complètement anarchique un cahier de coloriage à disposition dans la salle d’attente. Lila a 6 ans, une main dans le plâtre et des angoisses nocturnes. A ses côtés, sa mère la surveille du coin de l’œil. "Non, tu ne vas pas aller aux toilettes tout de suite ! Et si c’était notre tour ?" D’autres mamans présentes la rassurent, qu’elle y aille, elles préviendront le "docteur".
Tout au long de l’après-midi, mardi 19 juillet, la salle d’attente ne désemplit pas. Après l’attentat qui a causé la mort d’au moins 84 personnes le soir du 14-Juillet sur la promenade des Anglais, un dispositif a été rapidement mis en place afin d’assurer un soutien aux victimes. A Nice, ceux qui en ressentent le besoin peuvent ainsi rencontrer psychiatres et psychologues dans l’une des quatre cellules d’urgence médico-psychologique (Cump) : à la Maison pour l’accueil des victimes, à l’hôpital Pasteur-2, au Centre universitaire méditerranéen, et pour les enfants, les adolescents et leur famille, à l’hôpital pédiatrique Lenval.
"Des parents dans un état de stress aigu"
Dans la salle d’attente de ce dernier, il y a Lila, mais également une adolescente, les jambes repliées contre son torse. C’est la première fois qu’elle vient ici depuis l’attentat. "On m’avait proposé un entretien téléphonique, mais je trouve ça mieux d’avoir quelqu’un en face de moi pour parler", explique la jeune fille. Pourquoi a-t-elle décidé de venir à la Cump de Lenval ? Elle ne répondra pas. Mais comme tous ceux qui ont vécu les évènements, l’horreur de la tragédie s’est immiscée dans leur quotidien. Lila est finalement appelée. Accompagnée de sa mère, elle part rejoindre l’équipe, composée de psychiatres, psychologues et de personnels soignants.
Pour l’adolescente, comme pour Lila et les familles présentes dans la salle d’attente, l’objectif est avant tout d’apaiser les angoisses et de se rassurer. "Ils arrivent extrêmement terrorisés, en proie à des cauchemars, et soumis à une forte peur de la séparation, accompagnés de parents dans un état de stress aigu", explique la pédopsychiatre Florence Askenazy. Les enfants, eux, doivent vivre avec des souvenirs choquants qu’ils n’arrivent pas à verbaliser.
Utiliser l'imaginaire
Pour les aides, la Cump de Lenval a ses techniques : des jouets, des crayons de couleur et des feuilles blanches, dispersés un peu partout. Et la petite Lila, comme les autres enfants qui attendent, utilisera tous les jouets à disposition, afin d'expliquer ses souvenirs traumatisants.
Selon la cheffe du service de pédopsychiatrie, "un enfant réussira à s’exprimer en utilisant son imaginaire." Les Legos permettent ainsi de raconter l'attentat du 14-Juillet et les anxiétés qui se sont figées, en utilisant les figurines. L'équipe observe l'enfant qui joue et tente d'identifier ce qui l'a particulièrement traumatisé.
Au personnel soignant ensuite de tout faire pour tenter de limiter l’impact de ce traumatisme. Et de diminuer l’intensité des images qui tournent en boucle dans les mémoires. Comment ? Pour certains, cela passe par des discussions avec le psychologue pour apaiser les angoisses, pour d'autres, les soignants utiliseront des méthodes liées à la sophrologie, entre la relaxation et l'hypnose. Parmi les victimes de l’attentat, dix d’entre eux étaient des enfants ou des adolescents.
L’objectif, c’est de remettre en route leur sécurité interne en leur rappelant qu’ils ne sont pas une cible et qu’ils n’ont plus rien à craindre.
Arrivée sur place aux alentours de minuit le soir de l’attaque, le responsable du service enchaîne depuis les consultations, avec son équipe, et a mis en parenthèse tous ses suivis antérieurs. "On est resté jusqu’à quatre heures du matin ce soir-là, et dès le lendemain, on a mis en place la Cump." La fréquentation ne cesse d’augmenter. L'attentat a fait 84 morts, mais combien de personnes atteintes psychologiquement ? Sans doute des milliers. "De 67 familles venues nous rencontrer le 15 juillet, nous sommes passés à 107 familles le 18." Et cela devrait encore augmenter ces prochains jours. La pédopsychiatre explique que "certaines familles étaient encore trop traumatisées pour sortir de chez elles, désormais, il y a un peu plus de distance."
"On ne s'en remettra pas comme ça"
Les yeux cernés, la responsable de service peste contre "ceux qui disent que la vie reprend. Tout ça c’est des conneries. On ne s’en remettra pas comme ça." En cas d’événement comme un attentat, les spécialistes s’accordent pour évaluer le stress post-traumatique aux alentours de 20% parmi les personnes exposées. "Mais je pense que cela sera beaucoup plus, l’acte était particulièrement inhumain et exhibé à la vue de tous." Si la Cump a vocation à être temporaire, les cahiers de coloriage et les crayons de couleur devront être à disposition pendant encore un certain temps à l'hôpital Lenval.
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