Après les attentats, des Parisiens maintiennent la flamme du souvenir sur les lieux de mémoire
Place de la République et devant les lieux des attentats, les hommages se poursuivent. Certains se relaient pour entretenir ces mausolées spontanés. Reportage.
"Je cherche un mur pour pleurer", chantait Anne Sylvestre, qui a perdu son petit-fils, Baptiste, 24 ans, lors de l'attaque du Bataclan. Des murs pour pleurer, les Français et les touristes présents à Paris les ont trouvés. Ils se trouvent évidemment devant les lieux où se sont produits les différents attentats du vendredi 13 novembre. Mais aussi, comme après les attentats de janvier contre Charlie Hebdo et l'Hyper Cacher, sur la place de la République, qui a été spontanément investie.
Malgré l'interdiction de rassemblements décidée en Ile-de-France, on se bouscule depuis deux semaines pour recouvrir Paris de fleurs, de bougies, de messages et de graffitis. Des hommages à la hauteur de l'émotion suscitée par les attaques terroristes qui ont fait 130 morts et plus de 350 blessés. Partout la même scène : les fleurs sont entassées au second plan pour pouvoir rallumer plus facilement les bougies déposées au premier rang.
"Des archives collectives vivantes"
La pluie est le principal ennemi de ces mémoriaux improvisés. Dimanche 22 novembre, le collectif "17 Plus jamais", né en janvier pour honorer les 17 victimes des attaques et qui s'est chargé de faire vivre leur souvenir autour de la statue de la place de la République, a organisé un nettoyage pour prendre soin des lieux. "L'idée est de conserver le maximum de choses", explique Sabrina, qui gère le groupe Facebook du collectif en binôme avec Muriel, une Française expatriée en Allemagne. Une quinzaine de personnes s'est répartie le travail.
Les volontaires ont rallumé les bougies, jeté les fleurs fanées. Afin d'éviter un départ de flammes, ils ont retiré les papiers et plastiques qui entourent les bouquets. Ils ont aussi plastifié les messages pour qu'ils résistent mieux aux intempéries. "Ceux qui sont trop dégradés sont pris en photo, car nous constituons des archives collectives vivantes", explique Sabrina.
Les photos sont consultables sur la page Facebook du collectif "apolitique et ouvert à tous" qui rassemble plus de 7 000 personnes. "Il y a des messages très émouvants, des mots du monde entier. On ne peut pas les détruire, on a un devoir de mémoire. C'est notre façon à nous de dire aux victimes qu'on ne les oublie pas", poursuit la jeune femme, cadre parisienne dans la finance. Si elle ne connaît personnellement aucune des victimes, Sabrina dit avoir été "très choquée et touchée" par les attentats de janvier puis ceux de novembre. "A nous d'écrire l'histoire", lance-t-elle.
La mairie promet de laisser en l'état "aussi longtemps que nécessaire"
Une initiative accueillie avec "attention et bienveillance" par la mairie de Paris. "Les Parisiens se sont réappropriés ce lieu symbolique. En janvier, la place de la République s'est imposée spontanément. Aujourd'hui, c'est encore plus le cas. La statue devient un mausolée et cela permet à chacun de faire son deuil", constate la municipalité. Pas question de nettoyer la place pour le moment. "Nous laisserons faire aussi longtemps que nécessaire", assure-t-elle. Les agents d'entretien ont reçu la consigne de tout laisser en l'état, "sauf si la sécurité ou la circulation sont en jeu".
"Après ce temps de deuil, nous engagerons une réflexion à plus long terme sur le devenir de la statue de la République, car elle a changé de nature, et sur la façon dont nous pourrons rendre hommage aux victimes", indique la mairie de Paris. Planter des arbres, installer des œuvres d'art, rebaptiser un lieu symbolique... La municipalité reçoit actuellement des propositions spontanées pour honorer les morts des attentats du vendredi 13. "Nous les étudions et la décision sera prise avec les proches des victimes et les élus au terme d'un dialogue collectif", promet-elle.
Feu de signalisation, barrières, arbres... Au Bataclan, on accroche partout
Si le collectif "17 Plus jamais" se charge de la place de la République, impossible, faute de volontaires nécessaires, d'entretenir les autres mémoriaux installés sur les lieux des attaques. Là, c'est le système D, plus anarchique. Devant le bar La Bonne Bière et le restaurant Casa Nostra, rue de la Fontaine-au-Roi, c'est un commerçant qui "passe un coup de balai", tous les matins, avant d'entamer sa journée. Le soir, les habitants du quartier rallument les bougies.
Devant le Bataclan, où 80 personnes ont perdu la vie, les hommages sont disposés partout où c'est possible. Le long des barrières qui encerclent la bâche déployée par les enquêteurs. Sur les grilles du jardin May-Picqueray, boulevard Richard-Lenoir, qui fait face à la salle de concert. Sur un feu tricolore, autour des arbres...
On passe s'y recueillir. Les visages sont graves, parfois hébétés. On vient avec son ruban adhésif ou sa ficelle pour y accrocher un témoignage ou un bouquet, on lit les messages, on prend une photo avec son smartphone ou on pleure, tout simplement.
Rallumer les bougies, "le minimum que je puisse faire"
Malgré la pluie, malgré le vent, Sophie, 17 ans, rallume les flammes avec son allume-gaz rose, devant Le Carillon, rue Alibert. Elle et ses parents vivent à côté de ce bar visé par des tirs en même temps que le restaurant Le Petit Cambodge. Après avoir entendu les coups de feu, vendredi 13, elle est descendue porter secours à une cliente, morte depuis.
"C'est le minimum que je puisse faire alors qu'il ne m'est rien arrivé", dit-elle. "Les gens viennent moins qu'après les premiers jours, mais on doit entretenir l'hommage, entretenir la flamme." Devant l'établissement, deux femmes vêtues de noir déposent des roses blanches. Les yeux embués, elles se serrent dans les bras l'une de l'autre. Elles viennent d'enterrer l'un de leurs amis. Sophie, elle, rallume inlassablement les bougies qui ont pris la pluie.
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