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Au procès du 13-Novembre, le soulagement de témoigner enfin : "On dépose quelque chose, une espèce de charge, de poids accumulé"

David Fritz-Goeppinger, partie civile au procès des attentats du 13-Novembre, a livré sa déposition devant la cour d'assises spéciale de Paris.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié
Temps de lecture : 9min
David Fritz-Goeppinger. (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

David Fritz-Goeppinger tient sur franceinfo son journal de bord du procès des attentats du 13-Novembre, en écrit et en images. Partie civile, il fait partie des personnes retenues en otage par deux des terroristes qui ont mené l'attaque du Bataclan, ce soir-là, avant d'être libéré par les policiers de la BRI. Mardi 20 octobre est arrivé le moment qu'il espérait et redoutait en même temps : c'était à son tour de faire sa déposition, de livrer son récit de l'attaque et de la prise d'otage, à la barre de la cour d'assises spéciale de Paris. Il revient sur franceinfo sur ce moment crucial pour lui et ses "potages", les "potes-otages" du Bataclan, cette "nouvelle famille" unie par cet événement. Et sur une page qui se tourne : "Aujourd'hui, je n'ai plus cette 'mission' de déposer".

franceinfo : Vous avez témoigné longuement à la barre, hier mardi. Comment vous sentez vous après ça ?

David Fritz-Goeppinger : J'ai envoyé un message à un ami en lui disant que je me sentais un peu vidé. Et c'est vrai que c'est ça. Je pense que le mot "déposer à la barre" en dit beaucoup. On "dépose" quelque chose et dans mon cas, ça a été une espèce de charge, de poids que j'avais accumulé ces derniers mois, ces dernières années. Et pour la première fois, je me rendais compte que mon témoignage aurait une importance judiciaire et pas seulement une importance mémorielle ou journalistique.

Vous nous dites : "J'ai le sentiment d'avoir déposé une charge". C'est un fardeau ?

Oui, c'est un fardeau. C'est exactement ça.

C'est important pour vous de contribuer à cette vérité judiciaire ?

Oui, absolument. C'est d'autant plus important que dans la mémoire collective, il y a des événements qui s'effacent. Les otages, le Stade de France... Donc je pense que c'est important de rappeler cela, à l'ordre du jour du procès..

Vous n'étiez pas seul à témoigner mardi et, au total, 350 parties civiles vont se succéder à la barre. Mais il y avait ce que vous appelez vos "potages", contraction de "pote" et "otage". Vous vous êtes tous rencontrés ce soir-là dans ces circonstances qu'on sait terrible. Cela vous aide d'être ensemble aujourd'hui ? Y a quelque chose qui s'est construit ?

Oui, je pense que le groupe est aujourd'hui constitutif de notre bien être, si j'ose dire. On est vraiment tous très proches les uns des autres. On se soutient. Hier, on s'est soutenus encore plus fort et on se soutiendra à l'avenir. C'est vraiment beau et ça peut paraître naïf mais... Je n'ai pas de mots, c'est beau et ça nous touche tous.

On a beaucoup dit que ce procès des attentats du 13-Novembre était hors normes. Notamment par le nombre de parties civiles qui sont là. Est-ce que cela peut aider à se reconstruire ensemble ? Une catharsis collective pour réparer les vivants ?

Pour ce qui est de mon cas, j'ai appris beaucoup de choses, que ce soit sur la procédure, les autres attentats. J'ai rencontré énormément de victimes, aussi, d'autres victimes d'autres attentats. C'est ce qui crée un lien commun, ça humanise les choses. Et je pense que c'est vraiment nécessaire à tous. Hier, Georges Salines, qui a perdu sa fille, m'a dit : "Tu sais, on apprend beaucoup de choses grâce à ta déposition". Je pense qu'il y a un intérêt pour tous d'y participer, d'entendre et d'étudier, en quelque sorte, ce procès.

Juste avant de témoigner, vous avez publié une "lettre au terrorisme" qui est en fait une ode à l'humanité, avec un message : "Cher terrorisme, vous avez perdu". Vous en ressortez conforté de cette conviction ? c'est l'humanité qui gagne ?

C'est l'humanité qui gagne, oui. Et je le vois d'autant plus qu'hier, on était tous soudés, que les autres jours, les autres parties civiles étaient soudées. Les mots d'Arthur Desnouveaux [président de Life for Paris] en introduction de cette lettre parlent d'eux-mêmes : le terrorisme va semer la mort, certes, mais va surtout semer des graines d'humanité parmi les victimes, parmi les gens, parmi les proches. Et aujourd'hui, ce qui découle de ces événements, c'est une association, c'est des amis, c'est des verre après le procès, le soir, entre parties civiles, c'est des rencontres... Il faut voir le beau et le beau, moi, ça me saute aux yeux. Depuis un mois, je rencontre encore des gens, je rencontre encore des belles personnes. Je pense que j'en rencontrerai encore.

Il y a quelque chose qui revient beaucoup aussi dans les mots des victimes de rescapés, c'est un sentiment de culpabilité. Pourquoi moi, je suis encore là ?

Oui, absolument. Il y a plusieurs émotions, mais une en particulier qui se dégage des parties civiles – dont moi, d'ailleurs – c'est la culpabilité. Quand on a passé beaucoup de temps enfermé dans une pièce, quand on a passé, dans mon cas, du temps avec deux des trois auteurs de l'attentat du Bataclan, on se pose des questions. Pourquoi ces gens dans la fosse sont décédés ? Pourquoi ces gens ont été tués sur les terrasses ? Pourquoi pas moi ? Qu'est-ce que j'ai de différent ? En fait, il n'y a pas de réponse. Et quelque part, faire le deuil de cette question, c'est aussi accepter qu'il n'y aura jamais de réponse. C'est une espèce de question métaphysique. On n'a pas vraiment de réponse et c'est une question qui nous hantera jusqu'à la fin de nos jours, je pense.

Mais vous, vous apportez des éléments de réponse, factuels. Vous avez longuement décrit le comportement de ces deux terroristes. Est ce que vous vous dites aussi : je contribue à la vérité, je suis utile.

Oui. D'autant que je crois être un des seules parties civiles que l'intégralité de la cour a questionné. Et peut être – je n'en sais rien – que mon témoignage a aidé à la manifestation de la vérité. En tout cas, grâce à ces questions

Dans votre journal de bord, vous parlez très peu des accusés. Vous ne citez pas leur nom, un choix évidemment délibéré.

C'est délibéré. La presse fait bien ce travail. Moi, mon métier, si j'ose dire, c'est vraiment de témoigner des faits, des parties civiles, de raconter ce qui nous habite depuis plusieurs années. Les accusés, c'est autre chose.

Vous évoquez le "parcours du combattant", cette expression qui revient dans la bouche de nombreuses victimes. Et dans la vôtre, peut être aussi.

Oui, le parcours du combattant, cela a été notre meilleur ami et notre pire ennemi sur ces six dernières années. Toutes les démarches... Dans mon cas, tout s'est bien passé, mais dans le cas d'amis parties civiles, victimes, ça a été une galère incommensurable et ça continuera de l'être. On est vraiment inscrit et inclus dans un parcours du combattant dans lequel on n'a pas voulu être, mais qu'on est malheureusement obligé de suivre

Vous avez déjà raconté votre expérience dans un premier livre. Vous dites : "Aujourd'hui démarre la seconde partie du procès. Je vais me concentrer sur l'écriture, la tenue de mon journal". Vous prenez énormément de notes pendant les audiences. Ça vous aide ?

Oui, ça m'aide j'ai déjà utilisé cinq carnets, presque, remplis de notes, de plein de phrases, de plein de choses. Et c'est vrai qu'hier, j'ai déposé ça. Aujourd'hui, je n'ai plus cette "mission" de déposer. Aujourd'hui, je suis vraiment inscrit dans l'écriture de ce journal et peut être de le publier, d'en faire un livre et qu'ensuite il appartienne à la mémoire collective et que ce ne soit plus seulement mon œuvre.

Comment vous envisagez l'après-procès ? Il y en a encore pour plusieurs mois. Comment vous voyez l'avenir ?

C'est assez complexe. Il y a une partie de moi qui a envie de décrocher de tout ça, de la vie médiatique, d'être un peu exposé. Et une partie qui se dit qu'il y a un vrai enjeu mémoriel. On commence à parler d'un mémorial des victimes du terrorisme, d'un musée mémorial. Je pense qu'il est important de porter ces sujets-là auprès du public.

Vous publiez avec votre journal de bord des photos en noir et blanc, que vous prenez. Qu'est-ce que vous avez choisi comme photo pour raconter cette journée de mardi ?

Cela va être une photo de groupe des "potages", les potes-otages. On est là, face à l'entrée de la salle d'audience – c'est mon avocate qui a pris la photo, d'ailleurs. C'est important de montrer ça, cette unité, cette nouvelle famille avec qui on vit depuis plusieurs mois maintenant, plusieurs années.

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