"On oublie qu'on peut penser par nous-même" : au procès des attentats du 13-Novembre, Jennifer Clain raconte la vie sous l’Etat islamique
La nièce des frères Clain, les voix françaises du groupe terroriste, a été interpellée à son retour en France en septembre 2019. "On est tous coupables de ce qu'on a fait", a-t-elle témoigné devant la cour d'assises spéciale de Paris.
C'est la première fois qu'elle témoignait dans une enceinte judiciaire. Jennifer Clain, la nièce de Jean-Michel et Fabien Clain, les voix françaises du groupe Etat islamique, a été entendue, mercredi 15 décembre, en visioconférence par la cour d'assises spéciale de Paris, au soixantième jour du procès des attentats du 13-Novembre. Cette jeune femme de 30 ans, en détention provisoire, est apparue sur les écrans de retransmission de la salle d'audience. Visage pâle mangé par un masque chirurgical, cheveux bruns tirés en arrière par une queue-de-cheval, elle décline son identité : "Madame Clain Jennifer, Gaëlle, Séverine, 30 ans." "J'étais mère au foyer, aujourd'hui je suis étudiante, domiciliée au centre pénitentiaire de Beauvais", ajoute-t-elle.
Le président Jean-Louis Périès complète la présentation : "Vous êtes encore en attente de jugement." Jennifer Clain acquiesce. Mise en examen pour association de malfaiteurs terroriste, elle fait partie des "revenants" de Syrie et des quelques survivants de la famille Clain. Arrêtée en juillet 2019 à la frontière entre la Turquie et la Syrie alors qu'elle fuyait le pays avec ses cinq enfants, elle a été expulsée vers la France en septembre avec deux autres femmes jihadistes. Son mari, Kevin Gonot, a été condamné à mort en Irak pour avoir rejoint les rangs de l'Etat islamique.
Le jihad en famille
Jennifer Clain, qui a arrêté l'école en quatrième, l'a épousé religieusement à l'âge de 15 ans. Comme toute sa famille de confession catholique et d'origine réunionnaise, cette Toulousaine s'est convertie à l'islam. "Avec le recul, ce choix ne m'a pas toujours appartenu mais maintenant il m'appartient", assume la trentenaire. La veille, une enquêtrice de la DGSI a brossé le portrait d'un clan qui vivait "selon les principes de la charia" et s'organisait "autour de la matriarche", Marie-Rosanne.
Elevée dans cette ambiance, Jennifer Clain est l'une des premières à s'établir au califat, en juillet 2014, peu de temps après son oncle Jean-Michel Clain et la femme de ce dernier, Dorothée Maquerre. Ils sont rejoints en février 2015 par Marie-Rosanne, son fils Fabien Clain et un peu plus tard l'épouse de celui-ci, Mylène Foucre. Avec les enfants déjà nés ou à naître, quatre générations sont sur place. Chez les Clain, le jihad se fait en famille.
Sur le rôle de ses deux oncles dans les attentats du 13-Novembre, Jennifer Clain se montre peu diserte. Les frères Clain, jugés par défaut car présumés morts, sont non seulement derrière les messages de revendication des attaques mais aussi soupçonnés d'avoir eu un rôle dans les préparatifs des attentats. "Quand j'en ai parlé avec eux, ils n'ont jamais laissé croire qu'ils avaient pu participer à ça", souligne la jeune femme.
"C'est peut-être dur à entendre, mais si ça avait été vraiment eux, cela aurait été une fierté de le dire."
Jennifer Claindevant la cour d'assises spéciale de Paris
Un climat de terreur
Si Jennifer Clain s'étend peu, c'est, dit-elle, parce qu'elle s'est fâchée avec eux pendant un an. "A cause des attentats ?", espère le président. "Non, pour un tout autre sujet", élude-t-elle, finissant par expliquer qu'ils ont fait arrêter "des personnes que je connaissais, dont ils pensaient qu'elles pouvaient se rebeller contre Daech". Jennifer Clain lève sans fard le voile sur le climat de terreur qui régnait sous le califat. Et reconnaît y avoir adhéré.
Les vidéos d'exactions, qu'elle a "toutes vues", étaient diffusées sur "des écrans géants" sur la place de Raqqa, comme celle du pilote jordanien immolé dans une cage. "Il avait envoyé des bombes incendiaires, donc je trouvais ça normal", justifie-t-elle. Idem pour les vidéos de décapitation. "Je n'y réfléchissais même plus. Si je commençais à remettre ça en question, c'était dangereux pour ma vie."
"Quand on est là-bas, on oublie qu'on peut penser par nous-même, on pense par le groupe. C'était la loi du talion. Ils nous bombardaient, tuaient des civils donc on faisait la même chose."
Jennifer Claindevant la cour d'assises spéciale de Paris
"C'était un aveuglement collectif ? suggère Jean-Louis Périès.
– Totalement.
– Cela s'appelle comment un tel régime politique ?
– Ça ressemble énormément au régime nazi, même si à l'époque, je ne le voyais pas comme ça."
Un califat corrompu
Au président, qui relève qu'elle parle à l'imparfait, Jennifer Clain répond du tac au tac : "Tout est l'imparfait concernant Daech." Mais la raison pour laquelle elle a quitté l'Etat islamique n'a rien du repentir, à l'inverse du discours tenu par sa mère Anne-Diana Clain, sœur aînée des deux frères, juste avant elle.
"En 2017, les étrangers se sont divisés en deux groupes, explique Jennifer Clain avec aplomb. Beaucoup de personnes ont vu que Daech n'était pas ce qu'il prétendait être, dont un Etat islamique. Les dirigeants faisaient beaucoup de choses dans leur intérêt personnel plutôt que pour Dieu." "De la corruption ?" traduit le président. "Oui, voilà." "Dès le début, j'ai vu des choses qui n'allaient pas avec l'islam que je suivais, complète Jennifer Clain. Je pense que je préférais ne pas voir."
"C'est difficile d'accepter de s'être trompée après avoir tout quitté."
Jennifer Claindevant la cour d'assises spéciale de Paris
En décembre 2017, elle décide de fuir. "On était un groupe d'une vingtaine. Tous les hommes ont été arrêtés par les Kurdes, ils sont tous encore là-bas, emprisonnés." Aujourd'hui, Jennifer Clain a "des nouvelles de sa petite sœur Fanny" et de Mylène Foucre, la femme de Fabien Clain, retenues dans un camp kurde en Syrie. Elle échange aussi avec sa mère, condamnée fin 2019 à neuf ans de prison pour avoir tenté de rejoindre toute sa famille en Syrie. "J'essaie de lui faire comprendre à quel point on a pu être trompées", a lancé Anne-Diana Clain à la cour. Sa fille n'est "pas tout à fait d'accord" : "On est tous coupables de ce qu'on a fait, de ce que l'on a cru, de ce qu'on a voulu."
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