Procès des attentats du 13-Novembre : au premier jour de son interrogatoire, un Salah Abdeslam ambivalent rappelle qu'il n'a "tué ni blessé personne"
Le seul survivant des commandos qui ont fait 131 morts en 2015 a consenti à répondre aux questions de la cour d’assises spéciale de Paris, mercredi 9 février. Il a légitimé les attaques de l'Etat islamique, tout en prenant ses distances.
Il est arrivé dans le box vêtu d'une veste noire et d'une chemise blanche, allure soignée. Un premier signe vestimentaire sur son intention de répondre aux questions de la cour d'assises spéciale de Paris. Invité à se lever par le président, Salah Abdeslam a pourtant laissé planer le suspense quelques minutes : "Je vous avoue que j'hésite encore sur le fait de répondre aux questions ou pas", a-t-il lancé, courtois. Pour le premier jour de son interrogatoire sur les faits, mercredi 9 février, l'accusé le plus médiatique du procès des attentats du 13 novembre 2015 demande à faire une "déclaration spontanée". "Je tenais à dire aujourd'hui que je n'ai tué ni blessé personne, même une égratignure, je ne l'ai pas faite", énonce-t-il calmement.
Le seul survivant des commandos qui ont fait 131 morts et des centaines de blessés ce soir-là dans Paris et au Stade de France, à Saint-Denis, s'est enfui en laissant sa ceinture explosive derrière lui dans une poubelle à Montrouge (Hauts-de-Seine). Raté technique ou renoncement ? L'instruction n'a jamais permis de faire la lumière sur ce point. Dans ses premiers propos, Salah Abdeslam semble orienter la cour vers la seconde option : "Je constate que dans les affaires de terrorisme, les peines qui sont prononcées sont extrêmement sévères à l'égard de personnes qui, parfois, n'ont pas tué."
"A l'avenir, quand un individu va se retrouver dans un métro avec une valise d'explosifs de 50 kilos et qu'au dernier moment, il va se dire 'Non je n'ai pas envie de le faire, je vais faire marche arrière', il saura qu'il n'aura pas le droit de penser ça parce qu'après, on va le pourchasser."
Salah Abdeslamdevant la cour d'assises spéciale de Paris
Après cette mise au point "importante" sur le "message" envoyé par la justice française aux kamikazes avortés présents dans ce box, Salah Abdeslam accepte finalement de répondre avec assurance, et une relative bonne volonté, aux questions du président Jean-Louis Périès. L'accusé de 31 ans passe du "je" au "nous" et retrouve son "bréviaire de radicalisé", pour reprendre l'expression des experts-psychiatres Daniel Zagury et Bernard Ballivet. Celui qui se présentait dès le premier jour comme "un combattant de l'Etat islamique" revient sur le contexte de son "adhésion" à l'organisation terroriste.
Un basculement "par étapes"
Planning oblige, la cour ne l'interroge, mercredi et jeudi, que sur la période précédant septembre 2015. Salah Abdeslam joue avec cette contrainte, refusant de répondre aux questions qui s'approchent trop des faits. Mais il disserte avec aisance sur les raisons de son engagement dans le jihad. "On peut faire un kamikaze en 24 heures", mais pour lui, "les choses se sont faites par étapes". "Au départ du conflit" en Syrie, "en 2012-2013", le jeune habitant de Molenbeek, près de Bruxelles, "voit comment Bachar Al-Assad traite son peuple". Salah Abdeslam soutient les soldats de l'Etat islamique avant la proclamation du califat [en juin 2014]. "Je suis pour eux, je les aime."
"C'est mon humanité qui m'a fait regarder vers la Syrie. Au départ, ce n'était pas religieux, je savais qu'ils étaient en train de souffrir et moi j'étais dans un confort, occupé à profiter de la vie pendant qu'ils étaient en train de se faire massacrer, je culpabilisais", poursuit l'accusé. Interrogé sur les vidéos de décapitation regardées dans le sous-sol du café de son grand frère Brahim, Les Béguines, le cadet dément : "Moi j'ai vu les vidéos des gens bombardés par le régime de Bachar Al-Assad ou de la coalition, je n'en sais rien. Des bébés pleins de poussière, les bâtiments effondrés, c'est ça qui m'a touché."
"Respirons un petit coup"
Pour autant, Salah Abdeslam légitime les actions de l'Etat islamique et se lance dans une démonstration sur la peine de mort en France, avant que "Mitterrand" ne l'"abolisse", et sur "l'esclavage", un "statut social chez nous dans l'islam". Il maintient que les attentats du 13-Novembre sont une réponse aux bombardements de la coalition en Syrie et en Irak, un "jihad défensif" avec "les moyens du bord". "Quand ils ont touché des civils, c'était pour marquer les esprits." Dans une danse d'un pied sur l'autre, le trentenaire se reprend : "Je vous explique le point de vue de l'Etat islamique car moi, je l'ai déjà dit, je n'ai tué personne, je n'ai blessé personne."
Après un échange un peu vif entre son avocate, Olivia Ronen, et Jean-Louis Périès sur la date effective des premières frappes dans la zone irako-syrienne, Salah Abdeslam, manifestement plutôt à l'aise dans l'exercice, ose un "monsieur le président, respirons un petit coup". Et lance tout de go : "Moi je vous dis, c'est à cause de François Hollande qu'on est ici." Le magistrat le recadre habilement.
"On n'est pas là pour juger le gouvernement et la politique française, l'Histoire le fera à notre place, beaucoup mieux."
Le président de la cour d'assises spéciale de Paris, Jean-Louis Périèsà Salah Abdeslam
Le président tente de contourner le "discours politico-religieux" de son interlocuteur. "Revenons-en à vous." S'il se montre coopératif, lui qui a gardé le silence pendant les cinq ans d'instruction, Salah Abdeslam élude les questions sur les départs en Syrie de son ami d'enfance Abdelhamid Abaaoud, coordinateur des attaques, de son coaccusé Mohamed Abrini et de son frère Brahim, kamikaze du Comptoir Voltaire, qu'il qualifie de "leader" et de "charismatique". A-t-il été influencé par cette figure ? "C'est grâce ou à cause de mon frère, c'est lui qui m'a tiré vers ça, il a toujours été bienveillant avec moi (...), je savais qu'il n'allait pas m'amener vers ma perte", estime-t-il aujourd'hui. Mais malgré les "services" rendus à l'Etat islamique dans les mois précédant les attentats, Salah Abdeslam assure avoir été informé du strict minimum. "Chacun avait son petit secret, c'étaient des soldats de l'Etat islamique, un là, un là, et au final, paf, tout le monde s'est rassemblé."
"Je pensais que j'allais mourir"
Outre sa participation directe aux attentats, Salah Abdeslam est accusé d'être allé chercher en Hongrie et en Allemagne des jihadistes arrivés de Syrie, entre le 30 août et la mi-octobre 2015. Il est aussi jugé pour avoir acheté des produits pour fabriquer les ceintures explosives, avoir loué des véhicules et des chambres d'hôtels pour les membres de la cellule terroriste. Mais l'accusé ne s'aventure pas sur ce terrain, préfère "qu'on avance tout doucement". Nouvelle pirouette : "Ce que je peux vous dire, c'est que je ne suis pas un danger pour la société."
Quand a-t-il prêté allégeance à l'Etat islamique ? "Quarante-huit heures avant les attentats", répond Salah Abdeslam au président, avant de corriger auprès de l'assesseure : c'était après. "Je n'ai pas prêté allégeance selon la règle qu'il faut suivre, c'était dans mon cœur." Pendant sa cavale, il adresse un courrier à l'Etat islamique, dans lequel il écrit : "Bien que j'aurais voulu être parmi les shahid [martyrs] (…) il y avait un défaut dans ma ceinture. (…) J'aimerais juste, pour l'avenir, être mieux équipé avant de passer à l'action."
Devant la cour, il contextualise, a minima : "Je pensais que j'allais mourir, j'étais en cavale, à ce moment-là, je me suis dit 'Je vais faire un courrier'." A aucun moment, il ne dit qu'il souhaitait mourir en martyr au moment de son arrestation. "Je pensais que la police allait m'abattre, je ne suis pas passé loin." Il a été blessé par balle à la cheville. Est-il désormais attaché à la vie ? Quand on l'interroge sur Abdelhamid Abaaoud, Salah Abdeslam retrouve toute son ambiguïté : "C'était mon frère, quelqu'un que j'aimais beaucoup. Aujourd'hui, il n'est plus là et bientôt, j'espère que je vais le rejoindre."
"Une contradiction fondamentale"
Interpellé par une avocate des parties civiles, Aurélie Cerceau, sur cette déclaration, l'intéressé précise : "Je n’ai pas l’intention de me suicider, je suis trop fier pour ça. (...) Je ne sais pas si je vais mourir demain, dans cinq, dix ou vingt ans. La mort, elle n'est jamais très loin." "Ça fait penser à une opération martyr", attaque un confrère avocat, Gérard Chemla. "Vous avez l’esprit bien mal tourné", rétorque Salah Abdeslam. Face aux représentants des victimes, il le répète : "Des personnes qui n’ont pas tué, on ne peut pas les condamner comme si on avait la tête de l’Etat islamique." A nouveau, il laisse entendre qu'il a renoncé à se faire exploser le soir des attentats, une des questions-clés de ce procès.
"En vérité, on se dit 'J'aurais dû l’enclencher ce truc.' Quand on est à l’isolement 24 heures sur 24, on se dit 'Est-ce que j’ai bien fait de faire marche arrière ou est-ce que j’aurais dû aller jusqu’au bout' ?"
Salah Abdeslamdevant la cour d'assises spéciale de Paris
Olivier Morice pointe une "contradiction fondamentale" chez Salah Abeslam lorsqu'il se présente comme "un combattant de l’Etat islamique" mais assure qu'il n'est "pas dangereux aujourd’hui". L'accusé distingue l'idéologie du passage à l'acte, même s'il réfute ce terme d'"idéologie" : "J'explique que le combat de l’Etat islamique est légitime, que je suis pour la charia. Pourquoi cela ferait de moi quelqu'un de dangereux ? Si on me libère demain, je ne vais pas aller attaquer quoi que ce soit. J’étais en cavale pendant quatre mois. Si j’avais voulu faire quelque chose, je l’aurais fait."
Lorsque les avocats lui demandent pourquoi lui n'est pas allé en Syrie, l'accusé résume ses atermoiements de l'époque : "A cause des attaches que j’avais en Belgique. Chaque matin, je voyais ma mère, je ne pouvais pas trahir ma fiancée et quand je rentrais le soir, il m'arrivait de pleurer car je pensais à mes frères en Syrie. J’étais perdu." Salah Abdeslam est-il jamais sorti de ce dilemme ? Aujourd'hui, il se dit "fatigué", prêt à rencontrer certaines victimes des attentats "si ça peut les aider" et s'imagine une vie "dans un pays en Orient", "ne serait-ce qu'au Maroc", s'il était "libéré". "Ici, je suis diabolisé, les gens ne m’aiment pas. Après tout ce qui s’est passé, je ne peux pas rester ici." Il encourt la réclusion criminelle à perpétuité.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.