Procès des attentats du 13-Novembre : les dernières zones d'ombre et nombreuses questions d'une enquête "hors norme"
En quatre ans, les enquêteurs ont retracé avec précision les préparatifs et le déroulement des attentats du 13 novembre 2015. La cour d'assises spéciale devra toutefois tenter d'éclaircir certains points.
Une enquête "totale" et "hors norme". C'est par ces mots qu'un ancien responsable de la sous-direction anti-terroriste de la police judiciaire a qualifié, devant la cour d'assises spéciale, les quatre ans de travail qui ont permis de retracer les préparatifs et le déroulement des attentats du 13 novembre 2015. Au cours des deux dernières semaines, enquêteurs et experts se sont succédé à la barre pour décrire avec précision les attaques qui ont fait 130 morts et plusieurs centaines de blessés.
Pourtant, des zones d'ombre demeurent. A commencer par le rôle exact de Salah Abdeslam, seul membre des trois commandos à être encore en vie. Les enquêteurs ont par ailleurs établi que d'autres projets d'attentats n'avaient pas été mis à exécution, pour des raisons encore floues. Franceinfo fait le point sur les principales interrogations que le procès, prévu pour durer jusqu'en mai, permettra peut-être de lever.
Salah Abdeslam a-t-il renoncé à se faire exploser ?
C'est l'une des questions qui vont occuper la cour d'assises spéciale pendant les neuf mois d'audience : quelle était la mission de Salah Abdeslam le soir du 13 novembre 2015 ? Après avoir déposé en voiture les trois kamikazes du Stade de France, peu avant 21 heures, il a laissé une Clio dans le 18e arrondissement. Il a ensuite jeté sa ceinture explosive dans une poubelle de Montrouge (Hauts-de-Seine), au sud de Paris, avant de prendre la fuite en Belgique.
Pourquoi avoir abandonné cette ceinture ? Au cours de l'instruction, Salah Abdeslam a assuré qu'il était initialement prévu qu'il se fasse lui aussi exploser au Stade de France, mais qu'il avait finalement renoncé au dernier moment. Une version dont il est "permis de douter", estiment les juges d'instruction dans leur ordonnance de mise en accusation. Les dispositifs de mise à feu de sa ceinture explosive, qui a été retrouvée dix jours plus tard par les enquêteurs, étaient en fait défectueux. Par ailleurs, trois de ses co-accusés, Hamza Attou, Mohammed Amri et Mohamed Abrini, ont déclaré que Salah Abdeslam "leur avait confié que le détonateur de sa ceinture explosive n'avait pas fonctionné", selon les magistrats instructeurs. Enfin, dans un ordinateur ayant appartenu aux terroristes des attentats de Bruxelles de 2016, les enquêteurs ont retrouvé un texte "manifestement écrit par Salah Abdeslam". Ce dernier y explique que sa ceinture présentait "un défaut".
Reste que l'hypothèse d'un renoncement volontaire n'a pu être complètement écartée, l'enquête n'ayant pas permis d'établir si Salah Abdeslam avait tenté d'activer le détonateur. Le président l'a rappelé lors de la lecture de son rapport, au troisième jour du procès.
"Au terme des investigations, il n'était pas possible de dire si l'utilisateur de ce gilet avait actionné ou non le dispositif de mise à feu."
Jean-Louis Périèsdevant la cour d'assises spéciale
L'expert qui a examiné les gilets exposifs des terroristes sera questionné sur ce point en mars 2022, lors de l'interrogatoire de Salah Abdeslam sur les faits. Appelé une première fois à la barre le 24 septembre, il n'a pas été en mesure de dire si l'accusé aurait pu déclencher d'une autre manière son gilet, avec un briquet par exemple. L'intéressé livrera-t-il plus d'explications, lui qui a déjà assuré à la cour vouloir "être sincère" et "dire la vérité" ? Qu'il ait renoncé à activer sa ceinture explosive ou qu'il en ait été empêché par un problème technique, la peine qu'il encourt reste la prison à perpétuité. Salah Abdeslam est le seul des 20 accusés à être poursuivi directement pour "meurtres en bande organisée, en relation avec une entreprise terroriste" et non pour "complicité".
Un projet d'attentat a-t-il été abandonné dans le 18e arrondissement ?
Au lendemain du 13-Novembre, l'Etat islamique revendique les attentats dans un communiqué qui intringue les enquêteurs. L'organisation terroriste y évoque le Stade de France, le Bataclan, les 10e et 11e arrondissements de Paris, où se situent les terrasses visées, mais aussi le 18e arrondissement. Or, aucune attaque n'a été perpétrée dans ce dernier quartier.
Seul un membre des commandos s'est rendu dans ce secteur le soir des attentats : Salah Abdeslam. Devait-il mener y une attaque ? C'est en tout cas l'une des hypothèses des enquêteurs. Salah Abdeslam ayant garé la Clio dans cet arrondissement, à proximité des stations de métro Porte de Clignancourt et Simplon, "il est permis d'imaginer" qu'il avait "vocation à déclencher dans les environs la ceinture explosive dont il était porteur".
Lorsque le premier message de revendication des attentats tombe à 11h54 le matin du 14 novembre, "nous savons que quelque chose ne s’est pas passé comme prévu", a rapporté, vendredi à la barre, un enquêteur spécialisé dans la propagande de l'EI. En évoquant "huit frères", alors que sept terroristes sont morts le soir du 13-Novembre, la vidéo des frères Clain - jugés par défaut - met les enquêteurs sur la piste d'un huitième homme. "A 12h30, le nom de Salah Abdeslam est identifié dans la procédure."
Un dossier "13-Novembre" dans l'ordinateur retrouvé en Belgique, et contenant plusieurs fichiers évocateurs des attaques menées à Paris, interroge également. Un sous-dossier "groupe métro", consulté deux jours avant les attentats du 13-Novembre, suggère une éventuelle attaque dans le réseau de transports parisien. "Un doute subsiste sur ce groupe métro", dont la composition et l'objectif précis demeurent inconnus, a concédé l'enquêteur de la sous-direction anti-terroriste auditionné par la cour.
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Des attaques étaient-elles planifiées dans des aéroports ?
Un autre élément du dossier "13-Novembre" de l'ordinateur retrouvé à Bruxelles a interpellé les enquêteurs : un "groupe Schiphol", du nom de l'aéroport d'Amsterdam. Or deux membres de la cellule terroriste belge, Sofien Ayari et Osama Krayem, tous deux sur le banc des accusés, se sont rendus dans la capitale néerlandaise le soir du 13-Novembre. Avant de retourner à Bruxelles quelques heures plus tard. Une présence qui a convaincu les enquêteurs qu'un attentat y était planifié. Mais pourquoi n'a-t-il donc pas été mis à exécution ? Au cours de l'instruction, Osama Krayem a simplement déclaré qu'il s'était rendu seul à l'aéroport pour repérer des consignes, pendant que son comparse l'attendait dans un hôtel.
Un autre déplacement, cette fois à l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, soulève de nombreuses questions. La Clio des commandos du 13-Novembre a été aperçue aux abords de l'aéroport parisien, quelques heures avant les attaques. La voiture est restée dans cette zone au moins une heure. Dans l'habitacle, les enquêteurs retrouveront un message manuscrit : "Place de la République, Bd Saint-Martin, Stade de France, Aéroport Charles-de-Gaulle". Si les premiers lieux correspondent approximativement aux zones visées par les commandos, aucun acte n'a été commis à Roissy. S'agissait-il d'un repérage ou d'un plan pour récupérer un complice ? Les enquêteurs l'ignorent mais "ce trajet vers l'aéroport de Roissy ne paraît pas relever d'une erreur d'orientation."
Mohamed Abrini devait-il être le onzième homme des attaques ?
La veille des attentats, les 10 membres des commandos quittent la Belgique à bord de trois voitures. Un onzième homme est alors parmi eux : Mohamed Abrini. A son arrivée en région parisienne, le groupe loge dans deux hôtels distincts, l'un à Alfortville (Val-de-Marne), l'autre à Bobigny (Seine-Saint-Denis). C'est dans ce dernier que se trouve Mohamed Abrini, aux côtés des trois terroristes des terrasses, de deux kamikazes du Stade de France et de Salah Abdeslam.
Mais dans la soirée, Mohamed Abrini rentre à Bruxelles en taxi. Bilal Hadfi, qui sera le troisième kamikaze du Stade de France, quitte quant à lui le groupe d'Alfortville pour rejoindre l'appartement de Bobigny. Une conséquence du départ de Mohamed Abrini ? Ce dernier a en tout cas déclaré durant l'instruction qu'il ignorait pour quelle raison Bilal Hadfi avait changé de position et a réfuté l'hypothèse que son départ ait modifié les plans du groupe. Celui qui fait partie des accusés jugés au procès a d'ailleurs assuré qu'il n'avait jamais été question qu'il fasse partie des commandos.
Adel Haddadi et Muhammad Usman, arrêtés en Autriche, devaient-ils constituer un quatrième commando ?
En décembre 2015, les autorités autrichiennes arrêtent à Salzbourg un Algérien, Adel Haddadi, et un Pakistanais, Muhammad Usman. Les deux hommes, qui figurent parmi les accusés au procès, avaient quitté la Syrie en octobre, aux côtés des deux kamikazes irakiens du Stade de France. Bloqués en Grèce pendant 25 jours à cause de leurs faux papiers syriens, Adel Haddadi et Muhammad Usman avaient rejoint l'Autriche tardivement, le 15 novembre, soit deux jours après les attentats.
Les juges d'instruction estiment qu'ils "étaient en route pour rejoindre le groupe terroriste" qui a frappé Paris et Saint-Denis, mais "que l'action déclenchée en région parisienne avant leur arrivée avait stoppé leur progression". Les magistrats instructeurs concèdent par ailleurs qu'il est "très difficile" de déterminer les consignes qui leur ont ensuite été données. Etaient-ils en attente de renfort ? L'enquête n'a pas permis de le dire mais il est "indéniable qu'ils étaient toujours en mission pour le compte de l'Etat Islamique."
Les deux hommes ont-ils tourné une vidéo de revendication dans laquelle ils exécutent un otage avant de rejoindre l'Europe, comme l'ont fait les autres terroristes ? "Si l'Etat islamique ne leur avait pas fait tourner une vidéo en amont, il aurait fait preuve d'une légèreté dont il est peu coutumier. Mais je n'en ai pas la preuve", a répondu l'enquêteur spécialiste de la propagande de l'EI.
Abdelhamid Abaaoud, membre du commando des terrasses, prévoyait-il de commettre une autre attaque ?
"L'enquête a démontré qu'il était le chef opérationnel des commandos" du 13-Novembre, a souligné une assesseure devant la cour. Mais si Abdelhamid Abaaoud est soupçonné d'avoir été le responsable des commandos, il apparaît que le coordinateur avait en revanche peu préparé les événements qui ont suivi les attaques. Après avoir semé la terreur sur plusieurs terrasses parisiennes, Abdelhamid Abaaoud et Chakib Akrouh ont pris la fuite, abandonné leur voiture et leurs armes, et trouvé refuge dans un "abri sommaire", un buisson d'Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) où ils resteront quatre jours. S'ils ne se sont pas fait exploser, contrairement au troisième assaillant des terrasses, est-ce parce qu'ils projetaient une autre attaque ? Dans ce cas, pourquoi avoir abandonné leurs armes et ne pas avoir prévu un véritable lieu de repli ?
"On peut supposer que quelque chose ne s'est pas déroulé comme prévu pour eux."
Un ancien responsable de la sous-direction anti-terroriste de la police judiciairedevant la cour d'assises spéciale
A la barre, un enquêteur a par ailleurs fait part d'un éventuel autre projet. Selon une témoin, qui a été en contact avec Abdelhamid Abaaoud deux jours après les attentats, celui-ci envisageait une attaque imminente dans le quartier d'affaires de La Défense. Le lieu ne figure pas dans le dossier "13-Novembre" de l'ordinateur retrouvé à Bruxelles, mais il est mentionné dans un autre classeur nommé "targets" ("cibles" en anglais). Abdelhamid Abaaoud comptait-il véritablement activer ce plan ? Difficile à dire. Le 18 novembre, après avoir regagné une planque dans un appartement de Saint-Denis, il a été tué dans l'assaut du Raid, aux côtés de Chakib Akrouh. Parmi les scellés retrouvés dans la planque, "un bouton poussoir, des morceaux de cordelettes, des écrous de 6mm..., a rappelé l'expert en explosifs, interrogé le 24 septembre au procès. Au regard de ces éléments-là, il aurait été possible de fabriquer un gilet explosif."
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