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Procès du 13-Novembre : le journal de bord d'un ex-otage du Bataclan, semaine 30

Article rédigé par franceinfo - David Fritz-Goeppinger
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 27min
L'entrée de la salle d'audience du Palais de Justice de Paris, où se tient le procès des attentats du 13-Novembre.. (DAVID FRITZ-GOEPPINGER POUR FRANCEINFO)

David Fritz-Goeppinger fait partie de la douzaine de personnes prises en otage par les terroristes au Bataclan. Photographe, il tient son journal de bord pendant toute la durée du procès des attentats du 13-Novembre.

Depuis le 8 septembre 2021 le procès des attentats du 13-Novembre se tient à Paris. David Fritz-Goeppinger, victime de ces attentats est aujourd’hui photographe et auteur. Il a accepté de partager via ce journal de bord son ressenti, en image et à l'écrit, durant les longs mois que durent ce procès fleuve, qui a débuté le mercredi 8 septembre 2021 devant la cour d'assises spéciale de Paris. Voici son récit de la 30e semaine d'audience et des plaidoiries de la défense. 

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L’amitié à V13

Mardi 21 juin. Il n’y a finalement pas un jour où je ne réfléchis au véritable impact qu’aura ce procès dans nos vies. Il reste huit petits jours pour que tout prenne fin. Tout le monde retient sa respiration. Du coup, j’essaye de dresser un bilan et la première ligne sur celui-ci concerne les rencontres que j’ai faites ici. Il y a, bien sûr, beaucoup de victimes que j’avais déjà croisées aux commémorations ou aux événements préparatoires à l’audience. Mais il y a aussi celles à qui je n’avais jamais adressé la parole, comme Bruno, comme Aurélie Silvestre et tant d’autres. Je ne vois pas comment on aurait pu traverser autrement ce long fleuve sans se serrer les coudes, sans collaborer dans l’amitié comme on l’a fait. Je me souviendrai longtemps de la voix robotique de la machine à café. Mais il y a aussi l'amitié et la gentillesse des autres acteurs : journalistes, avocats, gendarmes, magistrats, policiers, gilets roses. Les salutations formels de septembre ont cédé la place aux bises. Les regards fermés en généreux sourires. Si je ne sais pas l’impact de l’après procès, je sais cependant que je chérit chacun des instants que je passe au Palais de Justice. Chacune des mains serrées, chacune des accolades, chaque café participe de nos dix mois. Je pourrais parler de la justice encore et toujours, mais j’avais aujourd’hui envie de m’accrocher à ce qui existera après : l’amitié entre nous. Je refuse de croire que tout cela s’arrêtera sur le pas de la porte du Palais de Justice. Je refuse de croire que nous avons traversé les affres de l’audience pour que tout s’arrête à l’aube du mois de juillet 2022.

Voyant l’horloge de l’audience avancer, j’essaye de ne pas dresser trop vite, trop tôt, de bilans. J’aimerais pouvoir avoir le temps, pouvoir avoir l’occasion de continuer à réfléchir sur tout ça. Comme si les dix mois n’avaient pas suffit, mais c’est une illusion. C’est souvent arrivé à la fin d’un voyage qu’on se rend compte qu’il est déjà trop tard pour profiter.

J’assiste à peine à l’audience d’aujourd’hui. Maître Rezlan termine sa plaidoirie lorsque je m'assieds en salle des criées. Maître Johnson prend la suite de la défense concernant Mohamed Bakkali. L’écran de retransmission de la salle des criées tombe en panne et lorsque l’audience réapparaît sur la toile l’avocat s’apprête à conclure.

Ce midi, j’avais mon appareil photo et je propose à Aurélie un portrait, c’est elle, la photo du jour. Il est tôt lorsque le président suspend l’audience et je termine ce court passage sur l’Île de la Cité comme je l’avais commencé, avec un Perrier, aux côtés d’Aurélie.

Aurélie Silvestre, partie civile au procès des attentats du 13-Novembre. Elle a perdu son compagnon, qui était au Bataclan. (DAVID FRITZ-GOEPPINGER POUR FRANCEINFO)

À demain.


Derrière les barrières Vauban

Lundi 20 juin. J’avais un rendez-vous à l’extérieur ce matin et j’ai raté la première partie de l’audience. Depuis le mois de septembre il m’arrive d’entendre, aux abords du Palais, des conversations sur le procès : "C’est le procès du Bataclan." (j’en ai déjà parlé) "Ah mais c’est le truc avec Salah Abdeslam ", "Oh ils sont chiants à tout bloquer là…" Et d’autres. Ces commentaires s’inscrivent dans le véritable tunnel parallèle qui se construit entre la salle d’audience et l’extérieur. À ces gens, j’aimerai pouvoir leur dire de m’accompagner pour qu’ils voient. Non pas pour donner des leçons, non pas pour des raisons voyeuristes, mais j’aurasi aimé qu’ils voient pour comprendre. Comprendre comment en dix mois la justice s’est exprimée derrière les barrières Vauban qui bloquent la circulation du pont Saint-Michel. Derrière ces badges blanc surmontés de cordons colorés.

L’air frais s’engouffre de la sortie du RER C et j’ai à peine posé le pied en haut des marches qu’une femme lance : "Oh ! mais il termine quand le procès ?" Tous les jours. Tous les jours, je me rends compte à quel point l’audience des attentats du 13-Novembre poursuit son chemin inexorable dans le quotidien des Parisiens. Mais je sais que je peux me tromper. Je sais qu’il y a des personnes qui s’adaptent bien de ce blocage au cœur de Paris, tant que justice est faite.

Je me rends compte, une fois dans le Sanctuaire qu’il y a beaucoup de monde pour cette journée un peu spéciale. La sonnerie retentit et le président donne la parole à maître Saint-Palais pour la défense de Yassine Atar. J’attendais sa plaidoirie depuis un moment. Il fait partie des avocats, qui, à l’audience, à marqué les esprits. Sa maîtrise de la prise de parole, des faits et la connaissance du dossier de son client, Yassine Atar, est à l'œuvre aujourd’hui. Il démarre avec un message à destination des parties civiles : "Je sais qu'une plaidoirie de défense peut heurter. Je veux vous dire, avant de défendre librement, que je sais les souffrances qui sont les vôtres." Je ne sais pas ce qu’en pensent les parties civiles présentes à l’audience et sur la webradio mais l’intention de l’avocat de la défense me touche. Il conclut son introduction en direction des parties civiles avec cette phrase, qui résume bien sa position et la position de tous les avocats de la défense : "La justice ne peut pas tout. La justice peut beaucoup. Mais l’Etat de droit, que je défends, ne peut pas répondre aveuglément à toutes les attentes." Loin de l’humour incisif de maître De Taye, Christian Saint-Palais n’hésite pas à en glisser, mais au goutte à goutte, pour ponctuer son propos. Comme l’ont fait d’autres avocats jusqu’ici, le pénaliste déconstruit chronologiquement toutes les implications de son client dans la cellule terroriste. Ou l’inverse, selon le point de vue. Je comprends vite qu’il dénonce particulièrement les raccourcis opérés par les enquêteurs belges à son sujet. En filigrane, on comprend que l’avocat démonte l’argument ultime concernant Yassine Atar, le fait que son frère soit l’un des cerveaux de l’État Islamique : "Je vais plaider pour cet homme qui, comme première qualité, est le frère d'Oussama Atar. Non ça n'est pas rien !" Sur la juge antiterroriste Isabelle Panou, l’avocat de la défense se veut accablant : "Madame Panou a du talent, elle nous a dit elle-même : elle fut avocate. Ne négligez pas quand même son aptitude à vous dire des certitudes." Et il poursuit en la qualifiant de "Pythie" et rappelant qu’elle fut procureur de la République. Au bout d’une plaidoirie qui a duré une heure vingt, le pénaliste conclut en réitérant son espoir et sa foi en la justice : "Je suis encore là parce que j’y crois. (...) Nous avons parfois des intérêts divergents. Mais je crois à l’intérêt de ce débat libre. Dans les limites qu’impose un procès pénal. (...) Nous avons besoin de juges qui ne s'éloignent pas des dossiers mais s'approchent du box. Qui ne regardent pas le frère et le cousin, mais eux. Nous avons besoin de juges qui tiennent. C'est dans cet esprit que je vous demande d'acquitter Yassine Atar."

Le président annonce une suspension, la salle se vide autour de moi. Je profite de cette pause pour passer un court coup de fil à mon épouse. Je suis fatigué et j’ai tout fait pour ne pas piquer du nez durant l’incroyable plaidoirie de maître Saint Palais.

C’est au tour de Raphaël Kempf de s’avancer. Je l’avais photographié pour le journal de bord il y a plusieurs semaines. L’avocat de la défense continue le décorticage méthodique de l’enquête, les deux avocats veulent prouver, quoi qu’il en coûte, à quel point Yassine Atar n’est pas autant impliqué que les avocats généraux le laissent croire dans leur réquisitoire. Pour rappel, le parquet national antiterroriste a requis une peine de 9 ans avec une peine de sûreté des deux tiers contre Yassine Atar.

Il est difficile de ne pas se dire que c’est la dernière fois que tous ces avocats se lèvent pour prendre la parole à l’audience. Tant de fois, ils se sont levés, ont protesté, ont participé aux débats, aux questions et dialogues à l’audience. J’ai l’impression que tout cela n’était censé jamais finir, mais si.

Je quitte le Palais alors que maître Kempf continue sa plaidoirie, technique et chirurgicale.


La suite des plaidoiries de la défense

Jeudi 16 et vendredi 17 juin. Ça y est, il fait chaud. La canicule me fait réaliser que nous avons fait pratiquement le tour du calendrier. Que nous avons parcouru les quatre saisons. Des pluies d'automne au gel hivernal jusqu’à la fournaise d’un été à peine là.

La sonnerie retentit peu après mon arrivée dans la salle des pas perdus. Aujourd’hui, ce sont les avocats de Farid Kharkhach qui plaident. C’est maître Fanny Vial qui introduit le propos de la défense de l’accusé. Pour rappel, le parquet national antiterroriste a requis six ans d’emprisonnement contre Farid Kharkhach pour avoir fourni des fausses pièces d’identité à la cellule terroriste qui préparait les attentats. Elle commence par lire des lettres que l’accusé et poursuit en appuyant sur le fait que son client n’était pas au courant de la destination des faux. Une fois le propos introduit, c’est maître Lefrancq qui prend la suite. Les avocates présentent toutes les strates de l’enquête et de l’implication de leur client dans la procédure belge et j’ai du mal à suivre, je l'admets.

Je quitte le palais en n'ayant pris aucune note et sincèrement fatigué.

Mots écrits par des collégiens des Hauts-de-Seine, après une intervention dans leur classe de David Fritz-Goeppinger sur le 13-Novembre, et déposés sur un banc de la salle des pas perdus, au Palais de Justice de Paris.  (DAVID FRITZ-GOEPPINGER POUR FRANCEINFO)

Retour au Palais ce vendredi. Hier soir, Delphine Allenbach et Chantal Anglade, les deux professeures détachées auprès de l’AFVT*, m’ont transmis les mots que les élèves ont écrits après notre passage au collège mercredi dernier. J'ai commencé à les lire un à un et en le faisant, je me suis dit que les faire exister ici, sur un des bancs de la salle des pas perdus, serait un bel hommage. C'est la photo en-tête. C'est difficile pour moi de le dire, mais c’était la dernière fois que j'intervenais en classe. Ces interventions, piliers pour notre reconstruction puisque vivantes et emplies de rencontres, nous ont permis de raconter, à des oreilles jeunes, sans fioritures, nos douleurs et préjudices. Les mots des adolescents, des élèves, à notre encontre ont toujours été bienveillants et débordants d’une curiosité lumineuse. Au départ, je n’étais pas particulièrement prêt à le faire, j’avais peur d’effrayer plutôt que de transmettre. Peur de faire peur. Je me basais alors sur mon ressenti vis-à-vis de mes proches et amis. Et à l’époque, il m’arrivait, parfois, à l’évocation de mes maux, de percevoir de la peur et des stratégies d’évitement afin de ne pas faire face au 13-Novembre. J’avais besoin de parler, de décortiquer et d’échanger avec d’autres personnes. Alors je m’interroge, comment parler de faits violents et traumatisants avec un public aussi innocent qu’une classe de troisième ? Comment parler des faits tout en évitant de choquer et que notre propos soit perdu dans la mémoire des élèves ? J'avais les lettres des adolescents dans mon sac.

Au départ, l’exercice m’était difficile malgré la préparation intense organisée par Delphine et Chantal, mais au fur et à mesure, notre récit (à Stéphane et moi) se précisait et devenait de plus en plus fluide, de plus en plus audible. Une coordination se mettait en place. Les rails de nos histoires se suivaient alors parfaitement. Les lettres que nous avons reçus des élèves sont souvent composées des mêmes mots : courage, force, vie, humanité, témoignage, amour, espoir, histoire, traumatisme, émotion, sang-froid, nécessité, mémoire… Mémoire. D’autres se livrent sur leur propre histoire personnelle : "J’ai perdu mon oncle au Bataclan.", "Mon frère était au Stade de France", "J’ai fait des crises d’angoisses après cette date.", "J’ai connu le terrorisme dans mon pays d’origine." En les lisant, je ris parfois car certains n’hésitent pas à y dessiner des bonhommes bâtons nous représentant, d’autres à y glisser des blagues. Une élève a même reproduit un de mes tatouages. Ce véritable retour d’énergie est sans aucun doute la raison intrinsèque à tout cela. Souffrir mais être entendu, souffrir et créer un souvenir pour autrui. Donc, pourquoi arrêter de participer à ces rencontres ? Simplement pour les mêmes raisons qui m’ont poussé à le faire. Après dix mois de procès, j’ai aujourd’hui le sentiment que ce que j’appelais "mon histoire" ne se résume plus à ce que j’ai vécu dans le couloir du Bataclan. Qu’elle ne se résumait plus à ma rencontre avec mon grand ami Stéphane. Mais qu’elle a muté en quelque chose de nouveau, de plus vaste et de plus complexe. Plein de tunnels, et de galeries mémorielles, trop dur à quantifier, trop dur à comprendre parfois. Sans doute parce qu’elle a trempé des mois durant dans le marécage de la justice et l’écho de la salle des pas perdus et qu’à force d’y résonner, elle a fini par changer de forme et de texture. Au fond, on dit tout dans notre tribune pour Libération.

Mais je suis heureux, heureux d’avoir pu donner un morceau de cette histoire-là, heureux parce que sans même le vouloir, j’ai pu répondre à une partie de la grande question. Pour paraphraser les élèves dans leurs mots, je tenais par le biais de ce journal et de la mémoire de mes lecteurs à remercier tous les élèves qui ont écouté, tous les professeurs qui nous ont ouvert leurs portes. Du collège Sainte-Marie d'Elven au lycée Brassaï et tant d’autres. Mais merci d’avance à tous les établissements qui continueront d’accueillir les actions de l’Association française des victimes du terrorisme. Dans deux semaines, une grande page se tourne. Et comme souvent dans nos vies, nous n’avons pas à en dire un mot, juste subir et ressentir l’écrasement d’un événement dans lequel nous avons eu notre place et dont le dernier grain du sablier a fini par tomber.

Photos prises lors d'intervention dans des classes de collège et lycées. (DAVID FRITZ-GOEPPINGER POUR FRANCEINFO)

Suite des plaidoiries de la défense aujourd’hui avec les trois avocats de la défense d’Ali El Haddad Asufi. C’est maître Jonathan de Taye qui commence avec une plaidoirie mêlant humour franc et maîtrise parfaite du dossier franco-belge. L’avocat démonte littéralement la DR3** et soulève une à une les incohérences parfois profondes dans l’enquête menée par les mêmes enquêteurs. Difficile de ne pas y adhérer, et surtout difficile d’oublier les présentations arides des enquêteurs belges – et je ne parle même pas de leurs réponses partielles et retenues aux questions de toutes les parties. Maître de Taye, malgré son humour, reste acide et dit que les enquêteurs ont manqué de "méthode et de rigueur" et dénonce ce qu’il estime être "des élucubrations et des pistes abandonnées" de la part des policiers. Maître Arab-Tigrine prend la suite mais je quitte la salle pour un peu de fraîcheur pour écrire et corriger le billet.

Aujourd’hui, il n’y aura pas eu une partie civile, pas un journaliste ni un avocat qui, à la question banale "ça va ?", ne me répond pas qu’elle ou il est fatigué. La canicule n’aide pas, l'air chaud, étouffant, semble absent de la salle des criées. À la suspension, les marches chaudes du Palais me donnent l’impression d’être assis sur un barbecue. Je retourne en salle des criées pour suivre la plaidoirie de maître Mechin qui conclut l’après-midi.

Lundi est un jour un peu particulier, l’audience se tiendra dès 9h30 avec une journée consacrée à Osama Krayem le matin et Yassine Atar l’après-midi.

À lundi,

*Association française des victimes du terrorisme.
**Section antiterroriste de la police judiciaire fédérale belge.


"Il y a une éternité"

Mercredi 15 juin. Ce matin, pour la deuxième fois en quelques mois, j’avais rendez-vous avec Stéphane et l’Association française des victimes du terrorisme pour intervenir en classe. Il fait encore frais et la canicule annoncée dans les prochains jours semble encore timide. Alors que je marche en direction du grand établissement dans les Hauts-de-Seine et malgré ma démarche assurée, je suis ému.

Ému, car je sais que je vais vivre un grand moment. Un grand moment, comme à chaque fois que je passe le pas de la porte d’un établissement pour parler de moi. Et comme à chaque fois, en entrant dans la classe, je sens que les regards, insistants et empreints de curiosité, nous détaillent tous les deux. Les élèves nous observent et attendent que nos voix brisent le silence et démarrent la narration de nos histoires. Les questions, après, fusent, les bras se lèvent, interrogateurs. Dans le métro pour le Palais, je repense à la question d’Anouck, qui elle, bifurque sur le procès et sa tenue : "Ce n'est pas trop dur d'aller au procès tous les jours ?" Amaury, aussi, qui nous demande avec timidité : "Que font les accusés libres à l’audience toute la journée ?" Et nous, qui tentons de répondre, qui proposons des franges de notre histoire et de notre vécu pour que les élèves puissent comprendre ne serait-ce qu’un fragment de ce que nous vivons, tous les jours. Certains des élèves, téméraires, interrogent le cœur même de l'événement, comme Valentin : "Pourquoi ne vous ont-ils pas tué directement ?" Malgré la difficulté de répondre à une telle question, Stéphane et moi élaborons et expliquons les théories qui en découlent. Mais j’ai peur que cette question n’obtienne jamais de réponse définitive, que ce soit face à une classe de 3e, ou, dans l’enceinte du Palais de Justice.

Derrière chacune de ces questions, les élèves expriment une soif de comprendre mais aussi de saisir la chance d’échanger avec ceux qui "ont vu". Au fond, je sais que ces rencontres visent à toucher, à marquer les élèves, à répondre aux moindres questions et interrogations et je pense que c’est sans doute l’un des éléments les plus constituants de notre reconstruction. En parlant de questions et de réponses, ces actions éducatives sont, peut-être, un début de réponse à la question originelle : "Que vais-je faire de tout ça ?"

Au Palais de Justice de Paris. (DAVID FRITZ-GOEPPINGER POUR FRANCEINFO)

Aujourd’hui, les plaidoiries de la défense se poursuivent et je les écoute avec attention tout en écrivant l’introduction de ce billet. Comme hier, les avocats qui défilent défendent bec et ongles leurs clients, soulevant chacun des volets abordés dans le réquisitoire la semaine dernière. Maître Huylebrouck, l’un des trois avocats de Muhammad Usman, plaide une bonne heure et introduit dès le départ de sa plaidoirie, la position de son client au procès : "Vous aurez remarqué que le 8 septembre, Monsieur Usman est arrivé à l’heure à son procès. (...) Un comble pour celui qu’on appelle 'le retardataire'." En effet, Muhammad Usman a été arrêté en Grèce en compagnie d’Adel Haddadi puis transféré en Autriche, où tous deux deviennent demandeurs d’asile, avant d’être définitivement arrêté et transféré en France en 2016. L’avocat poursuit : "Pour être en retard à un rendez-vous, aussi funeste soit-il, encore faut-il qu'un rendez-vous ait été fixé (...) Ce n'est pas un retardataire, c'est l'inattendu." Le conseil de Muhammad Usman est pourtant clair sur la motivation de sa plaidoirie : "Je vais couper court à tout faux suspense : nous n'allons pas plaider l'acquittement. Muhammad Usman a séjourné en Syrie, il y a un destin criminel en France quand bien même il est demeuré inachevé." Mais il soutient la thèse que son client n’était pas prévu pour les attentats du 13-Novembre, qu’il ne fait pas partie de l’hypothétique "4e commando" : "Comment peut-on le dire indissociable d'un événement qui s'est planifié à un moment où il était certain qu'il n'en ferait pas partie ? (...) Au moment où la date du 13-Novembre est retenue, Muhammad Usman était en pleine mer Égée et il n’avait aucune chance qu’il soit à Paris à cette date."

Maître Huylebrouck évoque ensuite les "si" énoncés à l’audience : "Ici on ne prédit pas l’avenir, on refait le passé, si, si, si." Je suis trop loin pour observer les réactions de l’accusé mais je me demande franchement ce qu’il pense de la plaidoirie de ses trois avocats. Muhammad Usman fait partie de ces accusés dont je ne connaissais ni l’identité, ni l’apparence, ni le rôle qu’ils tenaient avant le début de l’audience. C’est important de le dire. À vrai dire, je ne sais pas quoi vraiment penser de son implication dans le dossier. Il a peu parlé à l’audience et la dernière fois qu’il a pris la parole c’était en janvier dernier. Maître Huylebrouck, justement, dira que c'était "il y a une éternité". Après la plaidoirie de son collègue, maître Murgulia, le Président suspend l’audience.

Les plaidoiries de la défense m’interrogent. Je ne sais pas trop quoi en penser. Je reste fasciné par l’exercice et la fonction de l’avocat de la défense. Fasciné aussi par l’éloquence et le talent d’orateur des robes noires, mais je me demande du coup : dois-je l’être alors qu’ils défendent des hommes accusés d’avoir collaboré, d’une manière ou d’une autre, aux événements qui ont dévasté mon existence ? Est-ce simplement un nouveau mécanisme de protection que je dresse pour mieux éviter la souffrance que génère tout ça ?

Je ne sais pas et comme au sujet des réquisitions la semaine dernière, ce volet primordial dans l’audience soulève davantage de questions que de réponses. Je sais désormais que le procès fonctionne ainsi, ou du moins qu’il crée de véritables questionnements internes dont les réponses peut-être me rattraperont des mois après.

J’arrête l’écriture pour aujourd’hui alors que l’une des deux avocates d’Adel Haddadi, maître Léa Dordilly plaide face à la cour.

À demain.

David Fritz-Goeppinger. (FAO WARDSON)

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