"Notre témoignage n'a même pas été entendu" raconte Xavier, victime du terrorisme en 1982
Cérémonie d'hommage national aux Invalides à Paris lundi 19 septembre. Sur franceinfo, nous donnons la parole aux victimes et notamment aux victimes des attentats qui ont frappé la France dans les années 1980-1990 puisque le terrorisme islamiste n'a pas commencé avec Daech.
Marie, la soixantaine, a été la victime d'une des attaques à la bombe de 1986 dans une librairie parisienne, une attaque revendiquée par une mouvance intégriste du Hezbollah. Ce jour de mars, il y a 30 ans, Marie était la cliente la plus proche de l'explosion. Elle a été brûlée sur une grande partie du corps. S'en sont suivies des semaines de coma, des années de convalescence, trente-deux opérations. Les récents attentats depuis deux ans la bouleversent particulièrement, lui font revivre ses pires souvenirs.
Pour l'attentat de Nice, je suis restée K.-O. pendant au moins un mois et demi
"Moi, quand j'apprends l'annonce d'un attentat, je ne peux plus rien faire. Et j'ai mal à mes cassures : mon bras cassé, mes jambes cassées, mes brûlures me refont mal. Ça s'appelle la mémoire du corps et je n'ai plus d'énergie. Pendant deux jours je suis obligée de rester au lit. J'écoute toutes les infos, je lis tout. Entre victimes d'attentats, on s'appelle sans arrêt. Pour l'attentat de Nice, je suis restée K.-O. pendant au moins un mois et demi".
Pour faire écho aux mots de Marie, il y a Xavier, un retraité de 76 ans. Le 9 août 1982, avec deux collègues, il déjeunait au restaurant cacher de Jo Goldenberg dans le 4e arrondissement de Paris quand un commando a fait irruption avec grenades et armes de guerre. Bilan : six morts et vingt-deux blessés.
Xavier et ses collègues s'en sont sortis miraculeusement avec quelques coupures mais un énorme traumatisme. Lui aussi, 34 ans plus tard - a replongé- ce sont ses mots, depuis Charlie hebdo.
J'ai eu des attaques de panique régulières pendant une vingtaine d'années
"Pour moi c'est une nouvelle agression et je la vis extrêmement douloureusement avec un désir presque d'isolement. Je fuis la foule. La première chose que je fais quand je vais dans un endroit public, c'est de regarder où sont les issues de sortie. Il faut dire aussi qu'on se met immédiatement à la place de ceux qui viennent de vivre la même chose que moi. J'ai eu des attaques de panique régulières pendant une vingtaine d'années".
Plus que de la compassion, il y a une solidarité car les anciennes victimes du terrorisme - si l'on peut parler ainsi - ce sont elles qui ont créé dans les années 19 80-1990 les associations de victimes, des associations qui organisent l'hommage lundi aux Invalides, qui accompagnent et écoutent les familles et les blessés de novembre ou de Nice.
On pense forcément à la plus célèbre association SOS attentats fondée par Françoise Rudetzki. Avec d'autres, elle a bataillé auprès des gouvernements successifs pour obtenir un fonds d'indemnisation, un statut de victimes civiles de guerre, le droit de se porter partie civile. Avant il n'y avait rien..
"C'était comme-ci il y a avait eu une piqure de moustique, pour l'Etat, pour la société, pour mon entreprise" se souvient Xavier. Un incident mineur. Notre témoignage n'a même pas été entendu. Ni médecin, ni psychologue, ni police, je ne suis pas sûr que je figure quelque part dans la liste des victimes…"
Xavier n'a jamais été invité à l'hommage annuel du 19 septembre à toutes les victimes du terrorisme. Il n'y sera pas présent cette année non plus.
On aurait rêvé qu'après l'attentat de chez Tati tout le monde aille dans la rue dire non au terrorisme
Marie en revanche ira à la cérémonie. Quand elle repense à l'attentat qui l'a très gravement blessée en 1986, elle raconte la même solitude que Xavier. Avec en plus la colère.
"Nous on aurais aimé voir le président de l'époque à nos chevets, même le ministre. En 1995, personne n'est venu nous voir. Les politiques, les journalistes ne parlaient pas de nous. Les Français s'en foutaient. On aurait rêvé qu'après l'attentat de chez Tati tout le monde aille dans la rue dire non au terrorisme. Personne n'a bougé. Personne. J'ai même eu des huissiers pour me saisir parce que je ne payais pas mes frais d'hôpital. La solidarité autour des victimes de Nice, c'est extraordinaire, extraordinaire…"
Les choses ont donc bien changé. Les victimes du terrorisme ont un statut, des indemnisations et une reconnaissance de la société civile. Rien n'aurait été possible sans le travail et le combat de la première génération - si l'on peut dire - de victimes d'attentats. Aujourd'hui leurs associations accompagnent en France plus d'un milliers de familles et de blessés.
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