Attentat de la rue des Rosiers : le 9 août 1982, une opération d'Abou Nidal faisait 6 morts et 22 blessés à Paris
Un commando avait fait exploser ce jour-là une grenade dans le restaurant de Jo Goldenberg puis avait mitraillé passants et commerçants dans le quartier juif du Marais.
Ils n'ont jamais été jugés. Le 9 août 1982, rue des Rosiers, un commando fait exploser une grenade dans le restaurant de Jo Goldenberg, dans le Marais, au milieu d'une trentaine de clients. Les tueurs font ensuite irruption dans l'établissement, ouvrent le feu, puis remontent la rue en vidant les chargeurs de leurs pistolets-mitrailleurs en direction des passants, avant de s'enfuir. Bilan : six morts et vingt-deux blessés.
On apprendra plus tard qu'ils agissaient pour le compte du groupe palestinien Abou Nidal, dissident de l'organisation de libération de la Palestine (OLP) de Yasser Arafat. Pourquoi n'ont-ils jamais été inquiétés ? En janvier 2019, l'ancien patron des services secrets, Yves Bonnet, a reconnu devant un juge avoir passé à l'époque "une sorte de deal verbal" avec cette faction palestienne, comme a appris franceinfo de source proche de l'enquête, confirmant une information du Parisien.
Il lui a dit en substance : "Je ne veux plus d'attentat sur le sol français et en contrepartie, (...) je vous garantis qu'il ne vous arrivera rien". Alors que cet accord est porté sur la place publique, retour sur l'histoire de cet attentat meurtrier perpétré il y a 37 ans au coeur du quartier juif du Marais.
Des tueurs remontent la rue "sans précipitation"
A 13 heures, ce lundi 9 août 1982, la rue des Rosiers est largement déserte à l'heure du déjeuner. "Soudain, raconte Le Monde daté du surlendemain, une explosion déchire l'air du côté de la charcuterie-restaurant Goldenberg, au 7 de la rue". Dans ce restaurant juif très connu, une trentaine de personnes déjeunent quand une grenade est lancée depuis la porte. Deux tueurs tirent des rafales, fauchant clients et employés de l'établissement. "Le tir, précis, dure au moins une minute, peut-être trois. La caissière s'écroule, atteinte au ventre. Un employé, d'origine tunisienne, a la poitrine en sang", décrit le quotidien du soir.
"Peu après, poursuit La Croix, ils [les tueurs] ressortent du restaurant et, sans se presser, rejoignent deux complices restés à proximité de la voiture. Ils continuent à tirer sur les passants et ils tuent un autre serveur – arabe – de 'Chez Goldenberg'". Après avoir remonté la rue des Rosiers, ils tournent à droite, dans la rue Vieille-du-Temple, empruntent la rue des Blancs-Manteaux, puis disparaissent au détour d'une ruelle.
Selon Le Monde, une vision "effrayante par son aspect irréel" restera "gravée dans les mémoires du plus vieux quartier juif de la capitale" : l'image de la course décontractée, régulière, " comme pour un footing matinal ", dit un commerçant, "de deux tueurs remontant sans précipitation la ruelle presque déserte, comme si rien, vraiment, ne pressait". Les secours évacuent les victimes de l'attentat, qui a fait six morts et vingt-deux blessés, tandis que la police judiciaire commence à recueillir, dans ses locaux, les témoignages.
Un attentat pire que les autres, mais qui s'inscrit dans une série
L'émotion est vive. Le président de la République, François Mitterrand, interrompt ses vacances à Latché, dans les Landes, pour rentrer à Paris. Le contexte est électrique. Lorsque le chef de l'Etat veut se rendre rue des Rosiers pour se recueillir sur les lieux du drame, une partie de la foule l'attend sur place aux cris de "François Mitterrand complice, journalistes assassins", souligne Claude Sérillon, qui présente les premières images au 20 heures de France 2.
Cette attaque survient moins de deux ans après celle visant une synagogue qui avait fait quatre morts et une quarantaine de blessés rue Copernic à Paris, suscitant une émotion considérable et une grande manifestation parisienne. Et elle s'inscrit dans une série déjà longue depuis le début de l'année 1982, rappelle l'ancien policier Georges Moréas dans son blog du Monde : "En mars, une bombe explose dans le train Le Capitole : cinq morts, vingt-sept blessés. En avril, une voiture piégée explose, rue Marbeuf, à Paris [devant les bureaux d’un hebdomadaire libyen] : un mort et soixante-trois blessés. En juin, un commando d’Action directe s’en prend à l’école américaine de Saint-Cloud. En juillet, c’est une banque. Le caissier est blessé. Puis une bombe explose rue Saint-Maur, à Paris ; à Lyon, c’est le consulat de Turquie qui est visé. Le même mois, une bombe explose près de la cabine téléphonique du Pub Saint-Germain, dans le 6e".
Le juge Bruguière cible très vite Abou Nidal
Autant dire que les pistes semblent multiples, aussi bien internes qu'externes, sur fond de tensions au Proche-Orient, en pleine guerre du Liban. Mais le juge Jean-Louis Bruguière, à qui l'enquête est confiée, suspecte rapidement Abou Nidal, un groupe palestinien dissident de l'organisation de libération de la Palestine (OLP) dirigée par Yasser Arafat. "Les portraits-robots ne donnent rien. La cible et la méthode employée incitent pourtant le magistrat à soupçonner d’instinct le groupe Abou Nidal", écrit Paris Match en 2015.
Le magistrat a été mis sur la piste par les munitions des tueurs, retrouvées "bien en vue dans le bois de Boulogne : un sac en plastique contenant un pistolet-mitrailleur WZ 5,56, trois chargeurs et 29 balles de 9 millimètres", poursuit l'hebdomadaire. Ce type d'arsenal correspond à celui dont se sert habituellement le groupe. "Pour les enquêteurs, c’est la signature d’Abou Nidal", même si le groupe, contrairement à ses habitudes, n'a pas revendiqué l'attentat.
Les membres du commando ne seront jamais extradés
En 2007, le juge Marc Trevidic reprend le flambeau. Il va peu à peu identifier les différents membres du commando. Et en 2015, le magistrat délivre des mandats d'arrêt internationaux contre quatre suspects vivant en Jordanie, dans les territoires palestiniens ou en Norvège. Mais il ne parviendra jamais à obtenir leur extradition.
C'est en 2015 encore, par les hasards de l'affaire politico-financière Clearstream, que le juge Trevidic va lever le voile sur un angle mort de l'enquête. Il découvre que le général Rondot, un vétéran des services secrets français, "a négocié un accord" avec Abou Nidal. Après l'attentat de la rue des Rosiers, le groupe promet de ne plus frapper en France si ses hommes peuvent y circuler sans être inquiétés. En 2018, l'ancien patron du renseignement français, Yves Bonnet reconnait l'existence de ce "marché non-écrit" dans un documentaire sur France 2. Et en janvier 2019, comme l'a révélé Le Parisien, il l'avoue à un juge.
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