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Attentat de Strasbourg : "Notre administration est à côté de la plaque" en matière de lutte contre la radicalisation, estime Gilles Kepel

L'universitaire appelle le président de la République à "se saisir de cette question".

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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L'universitaire, Gilles Kepel, invité de franceinfo, le 13 décembre 2018. (FRANCEINFO / RADIOFRANCE)

"Notre administration est à côté de la plaque" en matière de lutte contre la radicalisation, a estimé vendredi 14 décembre sur franceinfo Gilles Kepel, professeur des universités, directeur de la chaire Moyen-Orient Méditerranée à l'ENS-ULM, après l'attentat de Strasbourg, revendiqué par le groupe État islamique.

franceinfo : La période de Noël est propice aux attaques terroristes ?

Gilles Kepel : Les sites jihadistes, les télés en ligne des terroristes indiquent qu'il faut "taper" à Noël. Le marché de Noël, c'est à la fois le symbole d'une fête des infidèles et un lieu où il n'y a que du porc et de l'alcool. Concernant le marché de Noël de Strasbourg, le groupe État islamique a revendiqué l'attaque. J'ai lu leurs revendications en arabe : c'était un copier-coller de leurs anciennes revendications. L'auteur avait d'ailleurs laissé que c'était en réaction aux attaques de la coalition. Or il n'y a plus de coalition qui attaque Raqqa. Donc cela ne signifie pas qu'il y a toujours une coordination depuis Raqqa ou autre. Mais au fond, ce qui compte, c'est cette ambiance, ce sont ces images, ces montages qui circulent et qui montrent l'Arc de Triomphe en feu, avec des jihadistes mitraillettes au poing, avec des 'gilets jaunes' à côté. Ce sont des choses qui essaient de redonner courage aux jihadistes, qui l'ont perdu après la chute de Raqqa, et leur dire : 'La France est à feu et à sang, la démocratie n'existe pas, c'est le moment de s'insérer dans les failles, les interstices que le mouvement des "gilets jaunes" a amenés'.

Justement, Emmanuel Macron a annoncé depuis Bruxelles un renforcement européen de la surveillance des contenus jihadistes sur internet. C'est important ?

Oui, mais l'administration française vit toujours dans l'illusion qu'au fond, le jihadisme n'est pas significatif, que ces gens-là sont déprimés, que c'est l'islamisation de la radicalisation. Certains spécialistes, comme le sociologue Farhad Khosrokhavar (dans Le Monde ce vendredi 14 décembre), expliquent que Cherif Chekatt n'était pas un jihadiste mais un déprimé, qu'il a fait cela par désespoir. On a là l'explication de l'échec total de ce qu'a été notre politique par rapport à ce phénomène : l'incapacité à comprendre la dimension idéologique de la radicalisation, à comprendre ce qu'il se passait dans les prisons, etc... Il faudrait que le président de la République se saisisse de cette question et arrête de faire en sorte que notre administration soit à côté de la plaque sur ce type d'enjeu. 

Le titre de votre livre, c'est justement "Sortir du chaos : les crises en Méditerranée et au Moyen-Orient". Cela veut dire qu'il faut agir sur les politiques en Afrique ou au Moyen-Orient depuis l'Europe ?

Tout à fait. Si l'on considère que l'on peut vivre sans prendre en considération notre environnement nord-africain et moyen-oriental, celui-ci va s'occuper de nous, si l'on ne s'occupe pas de lui. Cherif Chekatt vient de Skikda, en Algérie, d'une famille très connue là-bas, l'un de ses proches est recherché par la sécurité militaire algérienne pour des faits de jihadisme. Nous avons eu entre 1 700 et 2 000 personnes qui sont parties de France pour faire le jihad en Syrie. Tout cela a eu pour conséquence la montée en puissance d'un électorat, qui est d'ailleurs proche de celui qui se mobilise parmi les 'gilets jaunes'. Un électorat qui a élu Matteo Salvini, par hantise de l'immigration, qui a fait monter l'AfD en Allemagne, ou qui s'est mobilisé encore récemment en Andalousie.

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