Vidéo La déchéance de nationalité visant les auteurs d'infractions terroristes est-elle une promesse intenable ?

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C’est un engagement de l'Etat, face au nombre croissant de détenus condamnés pour terrorisme, qui sortent de prison : tous les binationaux jugés dangereux seront déchus de leur nationalité française pour être expulsés.
Une promesse difficilement tenable qui aboutit le plus souvent à une impasse.
La déchéance de nationalité visant les auteurs d’infractions terroristes, une promesse intenable ? C’est un engagement de l'Etat, face au nombre croissant de détenus condamnés pour terrorisme, qui sortent de prison : tous les binationaux jugés dangereux seront déchus de leur nationalité française pour être expulsés. Une promesse difficilement tenable qui aboutit le plus souvent à une impasse. (L'Oeil du 20H)
Article rédigé par L'Oeil du 20 heures
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C’est un engagement de l'Etat, face au nombre croissant de détenus condamnés pour terrorisme, qui sortent de prison : tous les binationaux jugés dangereux seront déchus de leur nationalité française pour être expulsés. Une promesse difficilement tenable qui aboutit le plus souvent à une impasse.

L'homme que nous sommes partis rencontrer dans une petite commune de l'est de la France aurait dû quitter le territoire il y a bientôt un an. Frère aîné de l'un des terroristes du 13 novembre 2015 à Paris, il a été condamné en 2016 à neuf ans de détention pour avoir rejoint les rangs de l'Etat islamique en Syrie.

Je ne suis pas là pour faire pleurer dans les chaumières, ni pour jouer la carte de la victimisation, j'irai là où on me dira d'aller.

Hicham, déchu de sa nationalité française et en attente d'expulsion

A l'Œil du 20H

Celui que nous appellerons Hicham* est sorti de prison fin 2023. Il pensait avoir payé sa dette à la société, jusqu'à la publication d'un décret du gouvernement qui le déchoit immédiatement de sa nationalité française. "Je suis plus français tout simplement. J'ai plus de documents, j'ai dû restituer mon passeport, ma pièce d'identité. Je suis dans l'impossibilité de pouvoir travailler. On m'a fait comprendre que j'étais indésirable, qu'on voulait plus de moi ici", dit-il. 

Né en France, naturalisé à l'âge de 10 ans, il est désormais sous le coup d'un arrêté d'expulsion. Mais ni l'Algérie - le pays de son père -, ni le Maroc - celui de sa mère -, n'acceptent de lui délivrer un laissez-passer consulaire : "J'ai fait l'objet d'un arrêté ministériel d'expulsion, et les autorités administratives françaises se sont heurtées à l'impossibilité de pouvoir m'expulser vers les pays concernés. Ces pays n'ont pas donné suite."

L'assignation à résidence, un coût pour l'Etat

Hicham est alors placé en centre de rétention administrative (CRA) : 210 jours, la durée maximale légale. Il est depuis deux mois assigné à résidence : "Je suis astreint à un pointage trois fois par jour, du lundi au dimanche, jours fériés, chômés, avec une interdiction de sortir de la commune dans laquelle je suis assigné et avec un couvre-feu de 21h à 7h du matin. Ça, tous les jours. J'ai aussi fait l'objet d'autres mesures administratives : comme le gel des avoirs, ce qui m'empêche d'avoir une carte bancaire." 

Hicham est logé dans un hôtel sommaire, à l'écart du centre-ville et situé à près de 300 km de son domicile. C'est la Préfecture qui prend en charge les coûts de son hébergement :  "Clairement, je coûte de l'argent. Je suis un poids pour l'Etat, pour les finances publiques. À 90 euros la nuit, faites le calcul. Le déjeuner et le dîner, ça, c'est à mes frais." Soit un total de 2 700 euros par mois, à la charge de l'Etat. Auxquels s'ajoutent près de 130 000 euros, le coût de sept mois en rétention administrative, selon les chiffres de la Cour des comptes. Hicham espère partir bientôt pour le Maroc mais l'impasse administrative pourrait s'éterniser des mois, voire des années.

En décembre dernier, Josiane Chevalier, préfète du Bas-Rhin, se félicitait de l'expulsion d'Hisham qu'elle souhaitait voir intervenir : "Le plus vite possible, on l'espère". Aujourd'hui, à demi-mots, elle dresse un constat d'échec : "J'espère que le Maroc finira par accéder à notre demande, qu'on va pouvoir obtenir le laissez-passer. C'est un dossier complexe. Et les dossiers complexes, on n'arrive pas à les faire aboutir aussi rapidement qu'on le voudrait."

Des arrêtés d'expulsion difficilement mis en œuvre

La déchéance de nationalité est une sanction prévue par le Code civil. Elle ne s'applique qu'aux binationaux naturalisés depuis moins de 15 ans, condamnés notamment pour "atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation" ou pour "acte de terrorisme". Au vu de l'expérience de Hicham, qu'en est-il exactement ? C'est sous la présidence d'Emmanuel Macron que le nombre de déchéances a explosé : deux procédures en 2019, quatre en 2020 et 2021, six en 2022, onze en 2023 et déjà vingt depuis le 1er janvier 2024. Régulièrement, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, annonce sur le réseau social X (anciennement Twitter) de nouvelles déchéances en vue d'expulsions. 

A en croire Lucie Simon, avocate pénaliste au barreau du Val-de-Marne, ces mesures sont rarement suivies d'effet. Trois de ses clients ont été déchus de leur nationalité française ; malgré des mesures d'expulsion, ils sont toujours présents sur le territoire : "Une des personnes que je défends a demandé sept fois des laissez-passer au consulat marocain. (...) Ils ont fait toute leur vie en France et lorsqu'ils se voient déchoir de la nationalité française et expulser, ces pays-là - finalement - ne les connaissent pas. Pas de papier, pas de passeport, pas d'acte de naissance, d'acte d'état civil. Les pays ne veulent tout simplement pas les reprendre, explique-t-elle. Ce ne serait même pas les reprendre, ce serait tout simplement les accueillir pour la première fois.

Parmi les quarante-sept Français déchus de leur nationalité depuis 2019, combien ont effectivement quitté la France ? La question est sensible et le ministère de l'Intérieur ne communique pas sur les chiffres. Une source au sein de Beauvau assume néanmoins la stratégie des autorités : "Ces pays ne veulent pas s'emmerder à recevoir un terroriste, il y a de ça. Mais on parle de gens qui ont commis des actes terroristes, qui sont dans le haut du spectre de la condamnation pénale. Notre logique, c'est de leur pourrir la vie." 

* Prénom d'emprunt

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