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Lutte contre le terrorisme : où en sont les centres de déradicalisation promis en janvier 2015 ?

Afin de lutter plus efficacement contre le terrorisme, l'exécutif avait annoncé dès janvier 2015 la création d'un centre de déradicalisation. Mais la mise en place s'avère délicate.

Article rédigé par Vincent Daniel
France Télévisions
Publié
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Le centre de Pontourny, à Beaumont-en-Véron (Indre-et-Loire) accueillera le futur centre de déradicalisation à partir du 1er septembre. (MAXPPP)

Réclamés par plusieurs personnalités politiques, les centres de déradicalisation peinent à voir le jour. Après l'attentat de Nice, le 14 juillet, et l'assassinat d'un prêtre, le 26 juillet, en pleine messe à Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime), les réponses qu'apporte le gouvernement à la menace terroriste sont de nouveau remises en question. Parmi elles, la création de centres de déradicalisation. Signe que la question est sensible, le comité interministériel de prévention contre la délinquance (CIPD), placée sous la houlette du ministère de l'Intérieur, refuse de communiquer à ce sujet. 

C'est ce CIPD qui pilote le premier centre du genre. Il doit accueillir ses premiers "candidats" à Beaumont-en-Véron, en Indre-et-Loire, à partir du 1er septembre. Selon nos informations, le personnel est déjà au travail. L'établissement qui accueillera le centre de déradicalisation est un ancien centre éducatif et de formation professionnelle qui employait notamment des éducateurs spécialisés. La plupart d'entre eux est donc actuellement en formation pour s'adapter à ce nouveau public. L'équipe sera également constituée de psychologues, de psychiatres et de différents experts (religion, géopolitique, insertion professionnelle).

Ouverture du premier centre le 1er septembre

Le centre est prévu pour accueillir une trentaine de jeunes. Une circulaire a été envoyée aux préfets afin qu'ils signalent, en lien avec les services sociaux et les familles, des jeunes susceptibles d'être volontaires pour intégrer ce programmes. Il s'agit d'invidus en rupture avec la société, ayant montré des signes de radicalisation comme des velléités de départ pour la Syrie ou l'Irak, mais qui ne font pas l'objet de poursuites judiciaires. En clair, ce type de centre ne concerne pas ceux qui reviennent de zones contrôlées par l'organisation Etat islamique.

La durée de la prise en charge de jeunes est fixée à dix mois. Si le centre est fermé, ils pourront être autorisés à sortir, notamment le week-end, dans le cadre de règles fixées avec les professionnels chargés de leur suivi. Le programme qui leur est offert portera davantage sur la reconstruction et la réinsertion que sur la déradicalisation en elle-même. "Comme si le cerveau était une machine que l’on pouvait déprogrammer ! Notre projet, plus subtil et plus complexe aussi, consiste à accompagner chaque jeune qui le souhaite pour qu’il se reconstruise et retrouve sa place dans la société", explique à La Croix le psychanalyste Fethi Benslama, qui pilote la partie psychologique.

"Il faut rester prudent sur les chances de réussite"

Conscient des critiques émises par certains spécialistes, Sebastien Pietrasanta, député PS auteur d'un rapport sur cette question, estime que ces centres peuvent constituer un "outil de lutte contre le terrorisme". "Il faut rester prudent sur les chances de réussite, explique l'élu à francetv info. On ne peut avoir aucune certitude car on travaille avec des humains. La dissimulation ou le refus sont possibles. Evidemment, le travail de renseignements et de surveillance ne doit jamais être relâché. Mais, il ne faut pas négliger les résultats encourageants qui ont pu être obtenus à l'étranger", souligne Sebastien Pietrasanta. Dans son rapport (pdf), l'élu s'était notamment penché sur les cas du Royaume-Uni, du Canada et de l'Allemagne. 

Annoncé par l'exécutif en janvier 2015, après les attentats contre Charlie Hebdo et l'Hyper Cacher, le premier centre de déradicalisation ouvrira ses portes un an et neuf mois après. Un "délai regrettable", déplore le député. Une lenteur qui s'explique par deux difficultés selon lui : "Le montage juridique extrêmement difficile pour faire exister ce type de structures et surtout la question du lieu adéquat, il faut prendre en compte les populations voisines et trouver une structure pour rentrer rapidement dans les lieux."

Une "troisième voie" entre la prison et l'assignation à résidence

En mai 2016, Manuel Valls a annoncé la création de 13 centres de réinsertion pour "personnes radicalisées" ou susceptibles de basculer dans le jihadisme, soit un par région, sans donner de calendrier. Et la loi du 3 juin 2016 permet désormais de créer des centres qui dépasseront le simple cadre du volontariat. La justice pourra décider de placer des jihadistes présumés dans des centres de déradicalisation (différents de ceux du premier type). "Il fallait se doter d'un nouvel outil qui soit une alternative à la prison, mais qui ne soit pas une assignation à résidence", précise Sebastien Pietrasanta. Là encore, on ignore quand ce type de centres verra le jour. 

Dans le cas de l'attaque contre l'église de Saint-Etienne-du-Rouvray, l'un des deux assaillants, Adel Kermiche était assigné à résidence sous bracelet électronique dans l'attente de son procès. "Entre l'emprisonnement et la libération sous contrôle judiciaire, il n'existe pas de troisième voie, déplorait l'ancien juge antiterroriste Marc Trévidic, interrogé par L'Express. Il faut trouver un outil judiciaire et non administratif. Nous sommes faces à des profils atypiques, pour qui le contrôle judiciaire classique ne peut pas marcher."

Toutefois, Sebastien Pietrasanta se veut "lucide" face à cette nouvelle possibilité pour les juges, à utiliser "au cas par cas". "Il faut rester précautionneux, prévient-il, fataliste. Pour un gamin de 19 ans prêt à tout pour mourir, le centre ne conviendra pas."

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