Festival d’Avignon 2022. Une lecture magnifique avec Didier Sandre de la Comédie-Française : "Je suis à Avignon comme un oiseau qui passe"
Didier Sandre, sociétaire de la Comédie-Française, jouait en alternance en juillet Géronte dans "Les Fourberies de Scapin" et le Maître de Philosophie dans "Le Bourgeois Gentilhomme". Entre deux, cet amoureux des mots a pris le temps de descendre au Festival d’Avignon pour nous faire découvrir une autrice-ethnologue, Anne Sibran.
Se faufiler dans les ruelles de la Cité des papes à l’heure où le soleil rend enfin les armes, se diriger vers la cour du Musée Calvet et là s’évader, s’élever, se faire envelopper par la beauté des mots et la caresse d’une brise légère. Voilà ce que propose France Culture tout au long du Festival d'Avignon. A l’affiche ce soir-là, Didier Sandre, sociétaire de la Comédie-Française et la comédienne Marie-Sophie Ferdane (qui en fit partie) réunis pour nous offrir une très belle découverte : l’écrivaine Anne Sibran, sur scène elle aussi.
Une lecture à trois voix, composée d’extraits de deux livres très différents : l’un sur les chamans (Enfance d’un chaman, éditions Gallimard) et les forêts menacées d’Equateur où elle vit une partie de l’année, l’autre sur Cézanne et sa quête de la lumière et de la beauté (Le premier rêve du monde, éditions Gallimard). Le tout entremêlé de ses carnets de voyage. Vibrant et inspiré. Nous rencontrons Didier Sandre, quelques minutes après des applaudissements nourris.
Franceinfo : Qu’est-ce qui vous motive à vous livrer à cette lecture d’une autrice ultra-talentueuse mais encore méconnue ?
Didier Sandre : C’est une vraie découverte, je ne connaissais pas du tout Anne Sibran et pour moi l’exercice de la lecture c’est aussi une façon d’aller mettre le nez où je ne serais pas allé spontanément, parce que d’autres lectures, d’autres choses à faire… Ces rendez-vous avec le public sur des auteurs qu’on ne connaît pas forcément, c’est magnifique. Et c’est magnifique aussi d’en être le passeur. Surtout quand il s’agit d’une langue aussi travaillée, aussi stylée. Avec ce type d’écriture il ne faut pas faire de la diction jolie, être redondant par rapport à la beauté de la phrase, mais être le plus concret possible, non pas pour s’opposer à cette beauté mais pour mieux la transmettre.
Que représente Avignon dans votre longue carrière ?
Cela représente beaucoup de nostalgie. Bien que Les Damnés, il y a déjà 6 ans, soit très frais dans ma mémoire, il y a aussi évidemment Le Soulier de Satin (de Claudel, mis en scène par Antoine Vitez en 1987) qui a été beaucoup imprimé sur les murs de la ville, il y a même des fresques de certaines scènes sur les façades. Et puis avant j’avais fait Le Conte d’hiver de Shakespeare, mis en scène par Jorge Lavelli avec Roland Bertin, Anny Duperey… Une distribution comme on ne peut plus en avoir aujourd’hui dans les théâtres, il n’y avait que des stars dans cette production-là. Beaucoup de nostalgie mais malheureusement je joue demain à la Comédie-Française Le Bourgeois Gentilhomme, donc je ne peux pas m’imprégner encore, je suis là comme un oiseau qui passe.
Ça vous arrive de venir au festival en tant que spectateurs ?
Non ! Franchement, honnêtement, quand on n’a pas quelque chose de précis à faire en Avignon je pense qu’il y a d’autres moments pour aimer cette ville absolument somptueuse, et aussi d’autres moments pour voir du théâtre dans des conditions plus agréables. Mais quand on y est pour y faire quelque chose, c’est génial.
Est-ce qu’il y a ici un public particulièrement curieux, passionné ?
Quand on se promène dans les rues il y a une fièvre avignonnaise, une folie du théâtre, et en même temps il n’y a pas qu’un public d’Avignon, il y a des publics. On sent bien que c’est très hétérogène, le public ne vient pas pour les mêmes raisons. Quand on regarde les affiches le long des rues, on voit qu’il y a de tout, il y à boire et à manger, c’est une espèce de foire au théâtre, ça se dit depuis longtemps.
Ça vous effraye ?
Oui, un peu mais en même temps je m’en culpabilise parce que je sais aussi que je suis un acteur gâté, et que toutes ces affiches qui pendent aux ficelles le long des rues c’est le même amour du théâtre qui se manifeste, il faut bien commencer par un bout. Le théâtre, il faut l’expérimenter, le vivre, il y a beaucoup de prises de risques aussi dans le fait de venir présenter son travail, son envie de faire autre chose que ce à quoi la vie les prédestinait. Il y a beaucoup de courage, il y aura beaucoup de déception, et aussi des surprises magnifiques.
La Comédie-Française a fêté cette année les 400 ans de Molière avec une programmation dédiée, avez-vous apprécié en faire partie ?
Comme toujours avec Molière, pour moi c’est assez ambigu. Cette année Molière c’était à la fois une contrainte de programmation, de distribution, une obligation de jouer Molière parce qu’on est dans la maison de Molière et moi j’aime bien ne pas me sentir, comme dans la fable de La Fontaine Le loup et le chien, la bride autour du cou. Et comme toujours avec Molière, les surprises sont heureuses. Je n’ai jamais eu envie de jouer Géronte dans Les Fourberies de Scapin parce que c’est une pièce qui à la lecture m’ennuie plutôt, et dès qu’on se met à la jouer on oublie tout, on joue, ça joue. C’est là qu’on voit que Molière était vraiment un homme de théâtre, un acteur, les rôles sont écrits pour le rythme, la respiration, la voix des acteurs. Molière vous prend par les cheveux, il vous tire, il vous aspire, on n’est sans jugement.
Et jouer Molière face à un public aussi enthousiaste ?
Cette année était extraordinaire parce que c’était la première année après Covid où l’on retrouvait vraiment le public. Comme le dit Eric Ruf (l’administrateur du Français), si ça n’avait pas été l’année Molière est-ce qu’on aurait rempli autant la salle Richelieu ? Nous, on a été gâtés par cet anniversaire et la fréquentation magnifique alors que beaucoup d’autres salles souffrent de ces deux années de Covid et de restrictions.
Heureux à la Comédie-Française ?
Oui, en gros oui ! Mais je ne peux pas dire que ce soit facile tous les jours. Je pense que tous les acteurs de la troupe vous diraient la même chose. D’abord parce qu’on nous demande beaucoup et puis on est 60 acteurs mais il y a quand même 400 personnes dans cette maison qui regroupe tous les métiers du théâtre, les acteurs sont en minorité en quelque sorte. Mais c’est un outil extraordinaire. On m’avait proposé trois fois d’y rentrer, je ne me sentais pas prêt, je sentais que ce n’était pas une maison pour moi. Quand Muriel Mayette me l’a proposé la 4e fois je me suis dit : il n’y aura pas de 5e, il faut bien réfléchir ! J’ai bien réfléchi, j’ai écouté l’avis de certaines personnes et je lui ai dit oui. J’en suis, 8 ans après, très heureux!
Voix d'auteurs avec France Culture et la SACD : Anne Sibran
Les Fictions France Culture dans le cadre du Festival d'Avignon 2022
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