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Interview Auréolée de 4 Molières, Léna Bréban est dans le Festival Off d’Avignon pour un spectacle jeune public drôle et espiègle

"Même pendant cette année folle, je n’ai jamais quitté le terrain". La comédienne et metteuse en scène Léna Bréban, c’est une vague d’enthousiasme et de fraîcheur dans la touffeur d’Avignon. Rendez-vous après la représentation sous un platane, dans la cour du théâtre Présence Pasteur, autour d’un pac à l’eau bienvenu (sirop de citron populaire en Provence), pour parler de ce spectacle à destination des jeunes : "Renversante".

Article rédigé par Sophie Jouve
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
La comédienne-metteuse en scène Léna Bréban au Festival Off d'Avignon (SOPHIE JOUVE)

10h ce matin-là, la petite salle du Théâtre Présence Pasteur où se joue Renversante est bien remplie. Quelques enfants, beaucoup d’adultes. L’histoire : deux jumeaux, un garçon et une fille, s’interrogent sur le monde où ils vivent, où les genres sont renversés. Ici, les femmes dominent, impensable qu’un homme devienne par exemple "présidente de la république". Les noms des rues portent des noms de femmes célèbres, les publicitaires utilisent l’homme comme objet de désir pour vendre une voiture, des hommes qui bien sûr s’occupent des enfants. Harcèlement de rue, résultats scolaire, vocations… Sur scène, avec quelques objets et beaucoup de punch, les deux comédiens, Léna Bréban elle-même et Antoine Prud'homme de la Boussinière, démontent avec espièglerie beaucoup d’idées reçues et de clichés sexistes. Sous une forme théâtrale de 30 minutes, pas plus, toujours suivie d’un débat de la même durée, où chacun peut y aller de sa réflexion ou de son anecdote.    

franceinfo Culture : Ce spectacle Renversante vous l’avez joué dans les collèges, pourquoi venir le présenter ici, au Festival Off d’Avignon ?
Léna Bréban : J’ai eu vraiment envie de jouer Renversante pour tous les publics. Ce qui se passe ici m’intéresse, avec les grands-mères qui amènent les petits-enfants. On s’était déjà rendu compte en le jouant dans les collèges, en classe de 5e, que les profs avaient envie de voir ce spectacle avec leurs propres enfants. Les adultes, ça leur parle à fond car nous, les filles, on a toutes vécu la même chose.

"Renversante" de et avec Léna Bréban, avec Antoine Prud'homme de la Boussinière (Espace des Arts)

Comment vous est venue l’idée de ce spectacle à destination des 5e ?
Ça vient d’une conversation avec mon producteur : sur un projet je voulais qu’il soit écrit autrice et il me disait Pffou ! On s’est engueulés. Et puis j’ai lu le livre de Florence Hinckel, Renversante, publié à l’Ecole des loisirs et c’est parti de là. Ce que j’ai trouvé génial dans le texte de Florence Hinckel, c’est l’humour. Il me manquait cette porte d’entrée-là, et pourtant je m’étais dit : il faut passer un bon moment à parler de ça sinon c’est prétentieux, donneur de leçons, tout ce que je déteste. Se marrer et discuter. Hinckel m’a donné la clé.

Ce spectacle a tourné dans de nombreux collèges ?
Il a été produit par l’Espace des Arts de Saône-et-Loire, dont je suis artiste associée, il a même tourné ailleurs que dans ce département. C’est hyper revigorant d’aller dans les classes mais on ne vend jamais le spectacle sans la discussion qui va suivre. C’est ma façon de militer, c’est un sujet extrêmement important pour moi, essentiel. Mon rêve dans les années qui viennent, ce serait de le jouer l’après-midi dans un collège et le soir devant un public familial.

Les clichés qua vous dénoncez ont-ils encore la vie dure ?
Il y a encore du boulot ! Surtout sur les représentations que les filles ont d’elles-mêmes, elles ne prennent pas la parole par exemple, ce sont les garçons qui parlent, c’est notre constat sur 220 dates. J’ai dû réfléchir à comment faire parler les filles. Elles sont très préoccupées par le fait d’être belle, c’est ce qui ressort. C’est fou de demander à un être humain d’avoir pour priorité quelque chose sur lequel il n’a aucun contrôle.

Vous qui avez eu une année folle, avec le succès que l’on sait de votre pièce Comme il vous plaira d’après Shakespeare (4 Molières), vous n’avez pas choisi des vacances reposantes ?
C’est un peu bizarre (rires pensifs). Le terrain théâtral, je ne l’ai jamais quitté. Même pendant le Shakespeare (Comme il vous plaira) j’ai continué à faire des dates dans des collèges, c’était important pour moi. Et pendant le confinement, le fait d’aller jouer des petites saynètes sous les fenêtres des Ehpad (cela s’appelait Cabaret sous les balcons), ça m’a ramenée quelque chose qui me manquait terriblement : que les gens puissent venir nous parler, et les voir en plein jour. Avant j’avais été très protégée, je venais de grands théâtres, j’ai joué avec de grands metteurs en scène, je dinais après le spectacle avec mes partenaires, et au fond j’avais zéro contact avec le public. Ce confinement m’a rappelé pourquoi je fais ce métier. D’ailleurs les comédiens du Shakespeare ont tous cette envie, Barbara (Schulz) aime les gens, elle veut dialoguer.

Justement ces 4 Molières (dont celui de meilleure actrice pour Barbara Schulz) ont été une belle surprise ?
C’est dingue ! Ce Shakespeare est parti d’une histoire d’amitié avec Barbara avec qui j’avais déjà joué. J’étais ravie que son travail soit reconnu. Tout le monde a pu voir la beauté de cette femme. Et Ariane Mourier (Molière du second rôle), formidable, a aussi été récompensée et les autres Molière… (dont celui pour Léna Bréban, Molière de la meilleure mise en scène). Quand j’étais petite je me rappelle très bien regarder la cérémonie, j’étais obsédée de théâtre, et je me disais que peut-être un jour je recevrais un Molière. Ce n’est pas l’essentiel mais c’est gratifiant et super joyeux.

Le Festival d’Avignon, ça représente quoi pour vous ?
Je suis très fascinée par les gens qui aiment le théâtre. Je me dis punaise, ils viennent sur leur temps de vacances, ça coûte cher de venir à Avignon, il faut se loger, acheter des places… La passion du théâtre je la partage avec ces gens-là, il y a ça et puis toute l’histoire du théâtre est passée par là : la Cour d’honneur, Jean Vilar… Un des plus beaux spectacles que j’ai vu c’est ici : Bernadette d'Alain Platel.

Avignon c’est aussi beaucoup de sueur ?
C’est sûr, là maintenant je me retrouve à tracter, c’est hyper drôle, ça vous oblige à une humilité de dingue. Je passe de "Oui elle a reçu 4 Molières" à "Bonjour on joue à 10 heures du matin une pièce sur l’égalité, à destination des enfants et des ados… ".

Le tractage ça fonctionne ?
Ça fonctionne carrément ! Pour la voix ça n’est pas très bon, c’est très bruyant ici, alors il faut hurler pour parler aux gens et essayer de les choper. On se disait, avec Antoine Prud’homme, mon partenaire, que ce qui est beau ici, c’est que les festivaliers vous disent : parlez-moi de votre spectacle, dites-moi… Et tout à coup on doit leur dire pourquoi ils doivent absolument venir nous voir. Parfois on se prend des râteaux horribles. L’autre jour je dis à une dame, elle était avec ses trois fils : "bonjour c’est sur l’égalité". "Ah oui ? Eh bien moi j’y crois pas, j’élève mes garçons c’est comme ça et je ne crois pas au féminisme non plus. Bonne journée !".

Comment organisez-vous vos journées ?
Je me lève tôt, on monte le décor, on joue, on démonte le décor. Après on va voir des spectacles. Demain soir je vais voir celui de Samuel Achache (Sans Tambour). L’autre jour j’ai entendu une fille tracter à côté de moi, je me suis dit ah le pitch a l’air bien, donc je vais y aller. Et puis se reposer après une année très intense. Je m’étais dit que j’allais faire trop la fête à Avignon ! En fait pas du tout, je suis chez moi le soir, paisible. Et puis j’ai des rendez-vous de boulot. Un spectacle musical sur Colette que je prépare, il est produit par l’Espace des Arts de Chalon-sur-Saône.

Vous aimeriez-aussi participer au festival In ?
J’adorerais mettre en scène dans le in évidemment. J’adorerais jouer aussi. Mais mes rêves ne sont pas de cet ordre-là. J’aimerais bosser avec Wajdi Mouawad par exemple, dans le in ou le off.

En étant associée à la scène nationale de Chalon-sur-Saône, vous évoluez au contact d’un territoire rural ?
A Paris on ne connaît pas les gens pour qui on joue. Dans une ville de province le public, ce sont des gens qu’on croise dans la rue ou à la pharmacie, il y a une fidélité qui se crée. C’est intéressant de se rendre compte que notre pays est fait aussi de ce public-là.

L’accueil de ce spectacle vous donne de l’espoir ?
Il me donne du courage, la niaque. On a des réactions tellement géniales des gamins, on voit des choses qui scintillent dans leur regard pendant le spectacle. Je suis fière de Renversante, très fière. Et puis les enfants, pour la plupart, découvrent le théâtre. Si j’arrive à le leur faire aimer et leur faire passer des messages en plus, c’est formidable. Le théâtre c’est tout sauf chiant !

"Renversante "
Festival Off d'Avignon
Du 7 au 23 juillet 2022

Présence Pasteur
13, rue Pont Trouca, Avignon
10h
04 32 74 18 54

"Comme il vous plaira", d’après Shakespeare
Reprise en septembre au Théâtre de la Pépinière 

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