Ces Corses réclament l'amnistie de "prisonniers politiques" : "On leur fait payer leur engagement"
A Ajaccio, l'Associu Sulidarita soutient et milite pour la libération d'une vingtaine de détenus proches des milieux indépendantistes. Ses membres dénoncent des incarcérations "pour des faits politiques". Rencontre.
Ici, la bandera corsa n'est pas seulement accrochée au mur. Dans ce petit local du quartier des Salines, à Ajaccio (Corse-du-Sud), le drapeau à tête de Maure pend aux barreaux d'une "porte de cachot" que surplombent les initiales RF. Pour République Française. A gauche, une tête guillotinée demande "la fin de la justice coloniale". A droite, les portraits de 19 détenus corses. Leurs photos sont épinglées sur deux cadres ornés de barreaux et de ces mots : "Amnistia pa i patriotti incarcerati e ricercati" ("amnistie pour les patriotes incarcérés et recherchés").
Bienvenue chez l'Associu Sulidarita, l'association de soutien aux prisonniers corses et à leurs familles. Forte d'un budget de 200 000 euros, elle distribue un mandat mensuel de 200 euros à ces prisonniers et finance les billets d'avion de leurs proches jusqu'aux prisons du continent. C'est peu dire qu'ici, les déclarations de Manuel Valls – "En France, il n'existe pas de prisonnier politique" – ont été mal reçues. "Ce sont des détenus incarcérés pour des faits politiques", martèle Cathy Bartoli, la vice-présidente de l'Associu Sulidarita. "Ils n’ont pas volé le sac d’une vieille dame", appuie Laetitia Leca, de Corsica Libera. Le parti indépendantiste de Jean-Guy Talamoni héberge Sulidarita dans ses locaux.
Assassinat, explosifs et voiture-bélier
Les faits qui sont reprochés aux 19 détenus soutenus par l'association – quatre autres, dont Yvan Colonna, n'ont pas de lien avec Sulidarita – sont divers et variés. Pierre Alessandri, 55 ans, a été condamné à perpétuité le 11 juillet 2003 pour l'assassinat du préfet Claude Erignac. Pierre Paoli, arrêté en février 2015, est soupçonné d'avoir organisé les "nuits bleues" de 2012. Xavier Ceccaldi, 30 ans, arrêté en 2013, est accusé selon sa compagne d'avoir "participé à une série d'attentats". Nicolas Battini, 21 ans, est incarcéré depuis mai 2013 dans l'enquête sur l'attaque à la voiture-bélier de la sous-préfecture de Corte (Haute-Corse) en avril 2012. Mais tous ces actes ont un point commun : ils sont considérés comme terroristes, puisqu'ils ont été commis par des militants indépendantistes, proches pour certains du Front national de libération de la Corse (FLNC).
Un FLNC qui s'est engagé en juin 2014 dans un "processus de démilitarisation". Cette décision a donné le coup d'envoi de la campagne d'amnistie lancée par Sulidarita pour l'ensemble des prisonniers corses. "Lorsque la guerre est finie, les prisonniers sont libérés", plaide Cathy Bartoli. L'association a écrit un texte, qu'elle a fait adopter par "plus de la moitié des 360 communes de l'île", le Conseil départemental de la Haute-Corse et l'Assemblée territoriale. Les nouveaux élus insulaires, Gilles Simeoni et Jean-Guy Talamoni, ont porté cette revendication jusqu'au bureau de Manuel Valls.
"Pourquoi leur détention se passe aussi mal ?"
Ce dernier n'a cependant pas l'intention de les écouter. "Il ne peut y avoir aucune amnistie et il n'y en aura pas", a martelé le Premier ministre, après avoir rejeté le qualificatif de prisonniers politiques. "S’il n’y a pas de prisonniers politiques, pourquoi leur détention se passe aussi mal ? Pourquoi ont-ils droit à un traitement particulier ?", s'agace Cathy Bartoli. Autour de la grande table du local de Sulidarita, quelques proches des détenus témoignent. "Cela commence dès le début, avec ce que j'appelle la torture blanche, dénonce Elise Gaddini, 25 ans, compagne de Xavier Ceccaldi. Pendant sa garde à vue, on lui a bandé les yeux et on l'a fait monter et descendre des escaliers jusqu'à l'étourdir."
François Paoli, le frère de Pierre, n'hésite pas à parler d'"anti-corsisme". "Chez nous, dès qu’on entend un nom sur une écoute, c’est la prison directe, s'énerve-t-il. Alors que les terroristes du Bataclan, on a appris qu’ils étaient surveillés, mais qu’ils pouvaient traverser les frontières et tuer 130 personnes." "Mon frère est assigné à résidence à Levallois, sous prétexte qu'en Corse, il pourrait s'échapper, alors qu'il a une polyarthrite et qu'il peut à peine marcher", s'indigne Michèle, la sœur de Jean-Pascal Cesari. De manière générale, l'association dénonce une série de violations des droits de chacun de ses détenus. "Manuel Valls parle de respecter la loi, mais la prison, c’est la loi de la jungle", juge Cathy Bartoli.
"Les détenus corses sont traités comme les autres"
Début 2016, deux incidents ont fait descendre Sulidarita dans la rue et provoqué le blocage de l'université de Corte, lundi 25 janvier. A Fleury-Mérogis (Essonne), Xavier Ceccaldi et Cédric Courbey ont été condamnés à 20 jours de quartier disciplinaire pour avoir mené, selon les surveillants, un blocage de promenade. "Le mitard, c'est la taille d'un chenil. Ce n'est pas chauffé et la fenêtre de la cellule de mon compagnon ferme mal", en plein mois de janvier, dénonce Elise Gaddini. A Bois d'Arcy (Yvelines), l'électricité n'aurait pas été rétablie dans la seule cellule de Nicolas Battini, après une coupure de courant, alors qu'il avait besoin de son ordinateur pour réviser. Après sa réaction outrée, le jeune homme a été placé en quartier disciplinaire pour rébellion.
Contactée par francetv info, l'administration pénitentiaire dément en bloc. "Il n'y a pas de traitement particulier des détenus corses. Ils sont traités comme les autres", indique-t-on. Ce qui s'est passé à Fleury-Mérogis relève de la procédure normale contre les détenus identifiés comme leaders – ce que démentent les deux hommes – d'un mouvement de blocage. Quant à Nicolas Battini, il est "impossible" que le courant n'ait pas été rétabli dans sa seule cellule. "Le délai d'intervention n'a pas dépassé les 45 minutes, mais le détenu a peut-être estimé qu'ils n'avaient pas réagi suffisamment rapidement", précise l'administration.
Des prisonniers éloignés de leur famille
Au-delà de ces incidents, l'Associu déplore les détentions préventives à rallonge – plus de deux ans dans les cas de Ceccaldi et Battini –, l'incarcération sur le continent plutôt qu'à Borgo (Haute-Corse) et les poursuites pour terrorisme. "C’est le même prix de tuer 70 personnes au Bataclan que de détruire une villa. Ils mettent les morts au même plan que des pierres", regrette Laetitia Leca.
"Chez nous, on parle de triple peine : incarcération, mauvais traitement et éloignement, résume Elise Gaddini. Que la justice mette des personnes en détention, OK. Mais ils peuvent les rapprocher, pour que les enfants puissent voir leur père plusieurs fois par semaine." Certains détenus, comme Emmanuel Peru, détenu à Villepinte (Seine-Saint-Denis), sont, en effet, pères de famille. "Son petit est complétement déprimé", se désole la jeune femme.
"On leur fait payer leur engagement politique"
L'administration pénitentiaire rappelle que les prévenus doivent être à la disposition du juge, à proximité du tribunal où leur dossier est instruit. Une fois condamné, il faut, pour être transféré à Borgo, que la condamnation soit définitive, que le reliquat de peine soit inférieur ou égal à sept ans et que le détenu présente "une faible dangerosité". "Ce n'est pas propre aux Corses. Ils arrivent régulièrement en France que des détenus ne soient pas incarcérés là où ils voudraient", balaye l'administration.
Ce n'est pas l'avis de Loïc Bussy, avocat au barreau de Douai (Nord) et proche de Sulidarita. "Si l'un de mes clients est détenu à Lille, mais demande son rapprochement familial à Lyon, il l'obtiendra en quelques semaines. Pour un Corse, c'est quasi impossible. On lui opposera un refus plus politique que juridique", observe-t-il. L'avocat ne comprend pas pourquoi ils ne sont pas transférés à Borgo, une vraie prison avec les mêmes garanties que sur le continent. Selon lui, "l'Etat fait payer aux Corses leur engagement politique".
Même les adversaires politiques des nationalistes ne comprennent pas la réponse de Manuel Valls. "L'amnistie de prisonniers politiques a déjà été pratiquée en France, avec la Nouvelle-Calédonie par exemple et des gens qui avaient pourtant tué des gendarmes", observe Jean-François Profizi, le porte-parole de l'association France-Corse. L'ancien élu socialiste y met cependant un bémol. "Vous les avez vu les armes du FLNC ? Ils ont simplement dit : 'Nous entamons un processus de démilitarisation' et depuis, rien, observe-t-il. S'ils annonçaient la dissolution du FLNC, je serais d'accord pour tirer un trait." Il juge l'amnistie "prématurée pour l'instant".
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