Victoire des nationalistes en Corse : "La question du référendum d'autodétermination va se poser à terme"
Les nationalistes obtiennent la majorité absolue dans la nouvelle collectivité unique de Corse, qui verra le jour en janvier. Ils disposent désormais d'un pouvoir inédit pour établir un dialogue avec le gouvernement.
Victoire inédite, mais attendue, pour les nationalistes corses. Lors du second tour des élections territoriales, dimanche 10 décembre, la coalition qui rassemble les autonomistes de Gilles Simeoni et les indépendantistes de Jean-Guy Talamoni a recueilli 56,46% des voix, loin devant les listes concurrentes, selon les chiffres définitifs communiqués par le ministère de l'Intérieur. Avec 41 élus sur un total de 63 sièges, elle aura ainsi la majorité absolue dans la nouvelle collectivité territoriale unique, qui remplacera dès janvier les deux départements et l'Assemblée territoriale.
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Si la question de l'indépendance n'est pas à l'ordre du jour, le mouvement Pè a Corsica, espère accélérer l'autonomie de l'île de Beauté et obtenir satisfaction sur plusieurs points, de la place de la langue corse en passant par la fiscalité. Pour mesurer les conséquences du vote, franceinfo a interrogé Thierry Dominici, spécialiste de la Corse et enseignant à l'université de Bordeaux.
Franceinfo : Quel bilan peut-on tirer de ce scrutin ?
Thierry Dominici : La liste Pè a Corsica (coalition des formations de Gilles Simeoni et de Jean-Guy Talamoni) est allée au-delà des nationalistes. Je connais des continentaux qui vivent en Corse depuis des années, et ont voté Gilles Simeoni pour des raisons politiques. Ils ont voté en quelque sorte pour le "Macron corse". Mais la victoire de Pè a Corsica va entraîner une pression vers un nationalisme plus dur ou un indépendantisme. Rappelons qu'au total, l'idée nationaliste a fait 53% des voix au premier tour, avec un parti autonomiste (Femu a Corsica) et deux partis indépendantistes (Corsica Libera de Jean-Guy Talamoni et U Rinnovu de Paul-Félix Benedetti).
Que va changer ce vote ?
Les nationalistes vont pouvoir avancer dans leurs revendications. Gilles Simeoni et Jean-Guy Talamoni continuent de marteler trois points fondamentaux à leurs yeux, votés lors de la mandature de 2010 : la co-officialisation de la langue, le statut de "résident" et l'amnistie pour les militants recherchés ou le retour sur l'île des détenus incarcérés.
La langue corse pourrait-elle être rapidement placée sur un pied d'égalité avec le Français ?
Ce n'est pas demain matin qu'il y aura des procès en langue corse, ou l'usage du corse dans l'administration. La langue corse est la langue vernaculaire, mais le français reste la langue véhiculaire. Cette mesure possède toutefois une très forte dimension symbolique, qui pourrait atténuer quelques tensions, en suscitant un sentiment de reconnaissance d'une minorité dans le cadre national français. Le pluralisme, c'est la capacité d'un Etat d'avoir une identité assez forte pour ne plus avoir peur de ses minorités nationales. Depuis la création de l'Assemblée de Corse, beaucoup d'intervenants parlent en corse.
Quid du statut de résident ?
Il s'agit de donner plus d'opportunité à un insulaire pour le droit au logement et à la propriété. En tant que Corse et insulaire, je n'y ai pas droit, car il faut cinq à six années de résidence pour le revendiquer, mais je suis parti sur le continent faire mes études et travailler à l'université de Bordeaux. A l'inverse, un collègue qui a toujours vécu sur le continent et qui est installé à la fac de Corse y a droit. Le nationalisme corse, donc, n'est pas ethnique. Cette mesure répond davantage à une volonté sociétale que politique.
Cette mesure a déjà été votée par une grande partie de l'Assemblée territoriale. Mais à l'époque, le Premier ministre Manuel Valls avait rappelé qu'en tant que région, la Corse n'avait pas la "compétence de la compétence" de faire appliquer une telle mesure. Les nationalistes veulent donc élargir les compétences de la Corse.
Pourquoi ce vote nationaliste séduit-il autant en Corse ?
Il existe aujourd'hui un processus d'autodétermination interne sur le plan européen. Les démocraties rencontrent une crise de participation : les partis traditionnels ont du mal à se recomposer et à réagir face au changement. Le phénomène En marche ! n'a pas pris en Corse, car l'autonomiste Gilles Simoni a représenté un phénomène similaire, usant des mêmes stratégies. Un nouveau parti politique est arrivé sur le continent, et une force neuve est arrivée en Corse, sans être issue du système traditionnel ou du système clanique corse, qui se partageait le pouvoir en alternance depuis la IIIe République. C'est quelque chose de totalement nouveau.
Le nationalisme corse est si nouveau ?
Le nationalisme peut être qualifié aujourd'hui d'institutionnel, car il détient aujourd'hui tous les pouvoirs politiques. Mais passer de l'opposition à la majorité est compliqué. Par exemple, il risque d'y avoir un bras de fer entre un indépendantisme non institutionnel et un indépendantisme institutionnel. Ces deux dernières années, il y a déjà eu des réactions de la jeunesse, qui se sentait délaissée, mise à la marge de la société. Ces jeunes revendiquaient dans la rue ce qu'ils appelaient une "lutte de masse", en dehors des partis indépendantistes dans lesquels ils ne se reconnaissent pas. Ces mouvements engagés dans des luttes de libération nationale peuvent monter au créneau. L'exemple catalan a montré les risques d'une absence de dialogue.
Pensez-vous qu'un référendum d'autodétermination soit envisageable à moyen terme ?
Tous les Etats unitaires de l'Union européenne sont confrontés à ce phénomène. La grosse modification que va rencontrer la Constitution de la Ve République, c'est qu'à terme la question du référendum d'autodétermination interne va se poser. A un moment, l'Etat sera bien contraint de poser la question aux électeurs insulaires sur leurs volontés, comme pour les Kanaks de Nouvelle-Calédonie.
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