Manifestation de taxis : "On veut la suppression des VTC ou le remboursement de nos licences"
Près de 3 000 taxis en colère ont bloqué gares et aéroports en France, jeudi, pour dénoncer la concurrence des VTC et d'UberPOP, qu'ils jugent déloyale. Reportage porte Maillot, à Paris, où la journée a été émaillée de dégradations.
6h30, porte Maillot, dans l'ouest de la capitale. A la sortie du métro, des rangées de taxis vides envahissent la route. Une seule voie est laissée libre. Les chauffeurs de taxi, pour certains présents sur les lieux depuis 4 h du matin, filtrent les voitures. Ils sont au moins 2 800 dans toute la France, selon la police, à participer à la grève nationale qui a lieu jeudi 25 juin, alors que la tension est montée d'un cran ces dernières semaines entre taxis et VTC.
Des cris s'élèvent un peu plus loin, là où sont regroupés les chauffeurs. Les esprits sont déjà échauffés. Un photographe est pris pour cible. Il reçoit du gaz lacrymogène directement dans les yeux. "On ne veut pas de médias ici !" lance un homme parmi la foule qui se dirige vers le périphérique en courant.
Une colonne de fumée s'échappe de sous le pont qui enjambe les voies désertes. Les chauffeurs ont aligné des pneus et y ont mis le feu afin d'interrompre la circulation. Des pétards éclatent. "C'est pas Paris ici, c'est Bagdad", plaisante un passant. "Les petits jeunes sont les plus virulents, explique un chauffeur en retrait. Ceux qui ont acheté leur licence il y a un, deux ou trois ans et qui sont pris à la gorge. Certains ont même les huissiers chez eux. Personnellement, j'ai perdu 30% de mon chiffre d'affaires depuis l'arrivée des VTC."
Les syndicats, "y en a pas un pour rattraper l'autre"
Les policiers, cachés derrière leur bouclier, entrent dans le jeu. Ils chargent des manifestants d'un côté, et parviennent à les repousser devant le palais des Congrès. "Attention aux taxis les gars, arrêtez de reculer !" lance un manifestant. Policiers et pompiers s'immobilisent, légèrement en retrait.
Les chauffeurs de taxi apostophent violemment les syndicats. "Alors, vous allez parler de quoi au gouvernement, hein ?" L'an dernier, des discussions n'ont abouti à rien. Les taxis sont très peu syndiqués et ne font pas confiance à ces représentants qui ne "[leur] ressemblent pas" et ne sont jamais d'accord entre eux. "Pourquoi on leur parle à eux, d'ailleurs ? Y en a pas un pour rattraper l'autre", s'énerve un chauffeur. "Ce qu'on veut, c'est la suppression des VTC ou le remboursement de nos licences !" hurle quelqu'un dans le mégaphone, sous les acclamations.
Des pétards explosent 200 mètres plus loin, et déjà les manifestants s'ébranlent dans cette direction. Une colonne de policiers s'élance au pas de charge. Ce jeu du chat et de la souris durera toute la matinée, sans toutefois dégénérer en affrontement. "Allez tous là-bas les gars, comme ça on va leur faire croire qu'il se passe quelque chose et on va pouvoir faire nos petites affaires ici." "Faites des équipes, on fait ce qu'on peut pour que ça soit le bordel, ça charge là-bas", s'exclame un homme qui a saisi le mégaphone, tel un coach qui remotive ses troupes.
"On n'est pas des mauvais garçons, c'est le désespoir"
Des journalistes apparaissent. Ceux qui ne se font pas discrets sont rapidement pris à partie, accusés de défendre la cause des Uber.
Soudain, un van noir, un VTC, débouche d'une artère. Une clameur se fait entendre dans la foule des taxis qui s'avance, menaçante. Le chauffeur s'enfuit en courant. Les hommes en colère tentent de retourner le véhicule. A 50 mètres de là, une autre voiture, seule sur la chaussée, a les pneus crevés, le rétroviseur et les vitres cassés.
"Bien sûr que cette violence ne va pas nous donner une bonne image, mais on n'a plus le choix ! s'emporte un chauffeur. Ça fait trois ans qu'on manifeste pacifiquement et qu'on ne nous entend pas. On a refait l'historique des revendications sociales en France et malheureusement, il n'y a que ça qui fonctionne !" "Là, vous nous voyez comme ça, mais en réalité, on n'est pas du tout des mauvais garçons, assure un autre. C'est le désespoir."
Une fumée noire s'élève de la foule. Les manifestants ont retourné la voiture cassée sur le toit et ont mis le feu à l'essence qui a coulé par terre. Les forces de l'ordre, moquées par les manifestants, se déploient, reçoivent quelques projectiles.
"La concurrence, oui, mais avec les mêmes cartes en main"
Sur la rue, jonchée de morceaux de verre, il y a ceux qui agissent et, un peu plus loin, ceux qui observent ("Qu'est-ce que j'aimerais pas être CRS", soupire un chauffeur) ou discutent sur la dégradation de leur situation depuis l'arrivée des VTC en 2009. Et puis il y a ceux, plus calmes, qui racontent leur quotidien qui s'est transformé en galère.
"C'est de la frustration, parfois tu arrives à une station à l'aéroport, tu attends, les autres font du racolage à la porte de sortie alors que c'est interdit, affirme Tidiane. D'autres fois, on t'a commandé une course et lorsque tu arrives, les clients viennent de monter dans un Uber. Parfois, les VTC se moquent même de nous !" Les manifestants dénoncent la libéralisation brutale d'une profession qui reste très réglementée pour les taxis. "On n'est pas contre la concurrence, mais chacun doit avoir les mêmes cartes en main", estime Benoît*.
Et les sujets de rancœur sont nombreux : une loi Thévenoud pas appliquée, un statut et, donc, des charges différentes (27% de charges pour les VTC, contre 47% pour les artisans taxis), une licence coûteuse – entre 200 000 et 250 000 euros – pour les taxis parisiens, alors que les VTC n'en ont pas besoin. D'autant plus que les infractions sont nombreuses du côté des VTC en raison de contrôles insuffisants. "Un des mecs qu'on a fait sortir de sa voiture tout à l'heure, il portait un bracelet électronique ! s'exclame Hocine*. Nous, on est obligés d'avoir un casier vierge pour devenir taxi. Et si on fait le moindre faux pas, on peut avoir une commission disciplinaire et on risque une suspension de quinze jours."
Uber, 20% de commissions et pas d'impôts
Plusieurs chauffeurs détaillent le montant de leurs frais. Comme Khaled, qui a acheté sa licence il y a trois ans. Aujourd'hui, il la rembourse chaque mois 2 472 euros, quand le crédit de sa voiture est de 643 euros. Ce à quoi il ajoute près de 2 300 euros de frais (charges sociales, TVA, radio, carburant, assurance). Un travail 7 jours sur 7 pour 1 000 euros de bénéfice par mois. "Vous croyez qu'on est contents d'être là ? Je perds de l'argent en ce moment."
Les taxis pointent du doigt la concurrence de la société américaine Uber, qui "marche sur notre système français", comme l'affirme l'un d'eux, drapeau français en main toute la journée. En effet, sur chaque course, Uber se fait facturer 20% de commissions aux Pays-Bas. Grâce à un montage complexe, détaillé par BFM, les profits sont ensuite envoyés aux Bermudes, un paradis fiscal où ils ne sont pas imposés. "Et vous savez qui est l'actionnaire majoritaire d'Uber ? Google, un habitué des arrangements fiscaux", souligne Yassin*, persuadé, comme plusieurs chauffeurs, que si le gouvernement laisse faire, c'est parce qu'il touche des enveloppes. Un sentiment accentué depuis le recrutement, le 11 juin dernier, d'un conseiller du ministère des Transports au poste de directeur de la communication d'Uber France.
Preuve que le problème ne concerne pas uniquement les taxis français, des Espagnols, des Anglais et des Belges se sont joints à la manifestation. "On veut faire une union de tous les taxis d'Europe, explique Pablo*, venu de Barcelone. On entame un circuit pour signer des partenariats avec l'ensemble des organisations syndicales. Notre prochain arrêt sera Bruxelles."
Le ministre de l'Intérieur revenu d'urgence de Marseille
Avec l’arrivée de la chaleur brûlante de l’après-midi, la fatigue commence à se faire sentir. Les chauffeurs s’assoient à l’ombre sur les grands escaliers métalliques du palais des Congrès. Ils sont nombreux à faire le ramadan et à ne pouvoir ni manger ni boire. Les syndicats enchaînent les réunions. Ils ne parviennent pas à s'accorder.
Certains veulent accepter le rendez-vous avec le cabinet de Manuel Valls, la majorité refuse. "On a été reçus l'année dernière par les mêmes personnes et on n'a rien eu ! On veut les décisionnaires : le Premier ministre ou le ministre de l'Intérieur !" martèle la Fédération nationale des taxis indépendants, le syndicat majoritaire, sous les hurlements d'approbation de la foule. "Le principal est de rester uni", lancent plusieurs voix.
Malgré une incartade de trois syndicats, partis discrètement au premier rendez-vous sans l'aval du groupe, l'intersyndicale a finalement été reçue à 18 heures par Bernard Cazeneuve, le ministre de l'Intérieur, revenu d'urgence à Paris alors qu'il était en déplacement à Marseille.
* Les prénoms ont été changés.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.