Les partisans des salles de consommation de drogues ne désarment pas, malgré le veto de Matignon à ce dispositif
C'est un sujet sensible en haut de l'Etat. Mercredi, Matignon a lancé que ces salles n'étaient "ni utiles, ni souhaitables" alors que la ministre de la Santé avait réaffirmé son intérêt et souhaité une "concertation" sur le sujet.
Le Président du Sénat a proposé jeudi la création d'une mission parlementaire sur ces salles de consommation de drogue.
Le maire UMP de Marseille, Jean-Claude Gaudin, favorable à ce dispositif, a ainsi déclaré sur l'antenne de RTL : "Avec mon adjoint en charge de la santé, nous avons décidé de le faire. (...) Moi ce qui m'importe c'est la santé des gens (...) et pour cela, puisque Mme Bachelot nous l'a recommandé, je suis disposé à mettre en oeuvre celan ; si ça pose des problèmes de sécurité ou autre, je le verrai même avec M. le ministre de l'Intérieur", a déclaré l'élu marseillais.
Quant au Président de la Haute Assemblée, Gérard Larcher, il préconise la réflexion. "C'est un débat qui mérite d'être poursuivi sans doute sous une autre forme et c'est peut-être le rôle du Parlement de s'en saisir", a déclaré Gérard Larcher sur Europe 1, évoquant ensuite une mission parlementaire sur la question.
"Voilà un sujet dont il ne me semble pas inutile qu'il fasse l'objet d'un rapport parlementaire (...) Je suis totalement loyal à la majorité mais le rôle du Parlement, c'est de s'affranchir d'un certain nombre de contraintes qu'ont le gouvernement et les ministres et je pense qu'il y a là un vrai débat à avoir", a-t-il défendu.
"On ne va pas baisser les bras. Il faut expliquer aux politiques et aux Français ce que c'est pour sortir de la caricature et casser le fantasme qu'il y a autour", a déclaré pour sa part à l'AFP Pierre Chappard, coordonnateur d'un collectif d'associations de réduction des risques.
Appelant le Premier ministre, François Fillon, à "sortir de
l'obscurantisme", ce collectif lui "demande un rendez-vous la semaine prochaine". Il plaide pour l'ouverture de ces lieux où des toxicomanes pourraient venir consommer leur drogue dans de bonnes conditions d'hygiène, tout en bénéficiant d'informations et conseils médico-sociaux, comme dans plusieurs pays européens.
Désaccord entre Fillon et plusieurs de ses ministres
Dans une déclaration transmise à la presse mercredi soir, François Fillon explique que la priorité du gouvernement "est de réduire la consommation des drogues en France, non de l'accompagner voire de l'organiser".
Une position à l'encontre de celle de la ministre de la Santé qui a précisé les conditions indispensables à une expérimentation. "La création de ces salles d'injection de drogues serait "soumise à des pré-requis indispensables", a indiqué Mme Bachelot en marge d'une visite au centre hospitalier de Bayonne. Parmi ces pré-requis, la ministre de la Santé a cité "l'interdiction de tout acte de vente", la "prise en charge globale" des toxicomanes ayant recours à de tels centres et "l'adhésion de tous les acteurs locaux".
"Un certain nombre de communes" ont d'ores et déjà fait connaître leur intérêt pour la création de centres d'injection supervisée, a ajouté Roselyne Bachelot, citant notamment Paris, Marseille, Epinal, Bordeaux et Lille.
La secrétaire d'Etat à la famille Nadine Morano a appelé de son côté à "ouvrir le débat" sur les salles de consommation de drogue, estimant qu'il faut réfléchir à "tous les outils" pour lutter contre la toxicomanie et jugeant "légitime d'expertiser tous les moyens possibles visant à lutter contre la toxicomanie".
Lundi, 14 députés UMP avaient co-signé un texte contre ce qu'ils on nommé des "salles de shoot". Interrogée sur la polémique qui a suivi, Roselyne Bachelot a dit se situer "dans la ligne de Michèle Barzach et de Simone Veil" quant à la "réduction des risques". Elle a rappelé les actions de ces deux anciennes ministres de la Santé, l'une en faveur de la vente libre de seringues, l'autre pour la "politique de substitution" de drogues.
Le PS "favorable"
Le Parti socialiste s'est dit mercredi "favorable" aux salles de consommation de drogue sous surveillance médicale. "Tout ce qui va vers des solutions qui permettent à des personnes qui se droguent de rentrer en contact avec un personnel médical et d'être orientées vers des cures (...), on y est favorable", a déclaré Christophe Borgel, secrétaire national chargé des élections. Toutefois, a souligné le responsable socialiste, "ce n'est pas pour nous le premier pas vers une légalisation" de drogues. "La légalisation est une position que le Parti socialiste n'a jamais fait sienne."
La ministre de la Santé Roselyne Bachelot avait annoncé, en juillet à Vienne, son intention d'ouvrir une "concertation" sur ce sujet. L'Inserm, favorable au projet, lui avait fait une recommandation allant dans ce sens. En revanche, Etienne Apaire, président de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt), a jugé de tels centres "discutables sur le plan philosophique" et inefficaces d'un point de vue sanitaire. "Rendre l'usage acceptable par la communauté, c'est faire le choix de l'abandon et de l'esclavagisme à le dépendance", a-t-il plaidé dans Le Monde du 10 août.
"Mais pourquoi Roselyne Bachelot s'est-elle laissé aller en se disant plutôt favorable à la création de salles de consommation de drogue ?", a écrit le député Jean-Paul Garrau dans un communiqué reçu lundi, cosigné par 13 des ses collègues du groupe UMP. "Comme si le fait de se droguer dans un local aseptisé rendait la drogue plus douce et moins dangereuse!", écrivent les députés de la majorité.
Un lieu "extrêmement cadré"
Selon Pierre Chappard, coordonnateur d'un collectif d'associations de réduction des risques, les salles de consommation seraient une "porte d'entrée vers le soin" et d'un facteur de lien social, à l'opposé de l'image véhiculée par l'appellation "salles de shoot" employée par des députés UMP.
La dénomination utilisée par les députés de la majorité est "un terme "péjoratif" utilisé par les "opposants durs" parce que "ça fait croire qu'on peut y faire n'importe quoi dans les pires conditions sanitaires alors que c'est justement l'inverse", a déploré Pierre Chappard.
Un tel lieu "est extrêmement cadré, des professionnels - médecins, infirmiers, assistants sociaux, éducateurs - sont là pour conseiller et orienter les usagers de drogue: ce n'est pas un coffee shop ! On n'y achète pas de drogue, on ne peut pas y consommer de boissons alcoolisées !", a-t-il fait valoir.
Un espace qui permet "d'enclencher la prévention"
"Ces salles permettent d'agir sur la consommation et d'enclencher la prévention contre la transmission de maladies (hépatites, VIH) et les overdoses. Les études internationales des pays où cela est mis en place prouvent que ça attire les usagers les plus précaires. C'est une porte d'entrée vers le soin, ça ne pousse pas plus à la consommation", a-t-il poursuivi. Ces salles sont "avant tout un lieu d'accueil où discuter, boire un café, recréer du lien social et ainsi prendre l'usager dans sa globalité et pas que comme un drogué", a encore plaidé Pierre Chappard.
Selon les associations, "on refuse encore ce dispositif en France pour des raisons idéologiques fondées sur la théorie de l'abstinence à tout prix qui a été dévastatrice" dans les années 80.
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