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Quand les parents prennent l'école d'assaut

La prise d'otages de la directrice et d'enseignants d'une école catholique de Berre- l'Etang par des parents mécontents, ce mercredi 7 décembre, serait un acte isolé. Mais il met en lumière des crispations croissantes dans le monde éducatif.

Article rédigé par Christophe Rauzy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Les parents d'élèves mettent fin à la prise d'otages du personnel de l'école privée fréquentée par leurs enfants, à Berre-l'Etang (Bouches-du-Rhône), le 7 décembre 2011. (ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP)

L'école élémentaire privée de Berre-l'Etang, dans les Bouches-du-Rhône, a été le théâtre d'une prise d'otages inédite le 7 décembre 2011. Des parents d'élèves en colère ont séquestré pendant près de vingt heures la directrice de l'établissement, deux enseignantes et deux agents administratifs. Ils exigeaient, et ont obtenu, la mutation d'un instituteur-stagiaire de CM1. Les parents l'accusaient d'être en retard sur le programme, et fustigeaient un "manque d'autorité" et des "problèmes de sécurité".

S'il s'agit bien d'un acte isolé, survenu dans une école privée catholique, il met en lumière la tension croissante des relations entre l'institution et les parents d'élèves, de plus en plus inquiets quant au devenir de leurs enfants.

• Occupations, pétitions, les parents en action

Jusqu'ici, les parents mécontents avaient plutôt l'habitude d'utiliser des méthodes moins musclées. La plupart du temps, il s'agissait de protester contre un nombre insuffisant d'enseignants ou une fermeture de classe. Pas pour demander l'éviction d'un professeur.

Les cas de banderoles barrant les frontons des écoles, de pétitions remplies sous les préaux, et de parents bloquant l'accès à un établissement, se sont multipliés ces dernières années. La dernière mobilisation de ce genre s'est ainsi déroulée à Draveil (Essonne), en septembre 2011.

A Draveil, les parents d'élèves campent devant l'école (France 2)

Les occupations d'écoles avaient marqué les esprits en Seine-Saint-Denis en février dernier, comme le rappelle Le Monde. A Pantin, des parents avaient même porté plainte contre Luc Chatel, le ministre de l'Education nationale, pour "défaillance dans l'organisation du service public", détaille L'Express.

"Depuis plus de deux ans, les parents ont mené des milliers d'actions dans les écoles, expose Jean-Jacques Hazan, président de la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE). Ils ne contestent pas l'autorité des professeurs, ils sont à leurs côtés. Mais aujourd'hui, ils veulent jouer leur rôle et faire entendre leur voix."

• Les inégalités sociales créent des crispations

D'après les syndicats de l'éducation, le malaise des parents vient des suppressions de poste d'enseignants et des fermetures de classe voulues par le gouvernement, détaillées par Le Figaro. "Le climat de confiance parent-prof se fissure, avance Sébastien Fihr, secrétaire général du syndicat Snuipp-FSU. Parce que de nos jours, les enseignants n'ont pas les moyens de répondre aux attentes légitimes des parents." Autre cible des profs, la "mastérisation", décriée dans Libération, une "formation calamiteuse qui ne prépare pas les enseignants au dialogue".

"Trop simpliste", estime Marco Oberti, directeur du département de sociologie de Sciences Po Paris, auteur d'une étude comparative sur la sélectivité dans les lycées de Paris et de Chicago. Pour lui, plus que la formation des enseignants, ce sont surtout les inégalités sociales et territoriales qui se révèlent. "Le vrai problème est territorial, assure-t-il. Il existe des lieux de concentration de filières sélectives, où les classes supérieures sont davantage représentées. Et l'assouplissement de la carte scolaire n'a rien arrangé."

Une différence d'accès aux "bonnes classes" qui provoque l'exaspération et la montée des tensions : "Dans nos enquêtes, on constate que les classes moyennes et populaires s'en rendent compte. Elles comprennent que les classes supérieures ne jouent pas avec les mêmes règles du jeu, et bénéficient de réseaux et de moyens qu'elles n'ont pas. Jusqu'ici, les couches populaires avaient un trop-plein de confiance dans le système éducatif français. Son inégalité leur saute aux yeux désormais."

• La société change, les parents aussi

La crise aidant, la compétition scolaire est devenue la norme. "L'époque du cancre poétique est terminée, argumente Sébastien Fihr, du Snuipp-FSU. Aujourd'hui, l'objectif, c'est la réussite de tous. Personne ne doit être laissé au bord du chemin."

Il s'agit d'une conséquence directe du climat économique défavorable, de la peur du chômage, et de la volonté de rentabiliser la scolarité : "Les parents ont conscience que maintenant, il faut durcir le jeu pour obtenir une reconnaissance et une qualification", analyse le sociologue Marco Oberti.

Une situation qui encourage les parents à réclamer une refonte du système. "Il faut une nouvelle réflexion autour du sens de l'école", estime Jean-Jacques Hazan. Pour le président de la FCPE, "il faut mieux former les profs, mais aussi recréer un pacte de confiance. Et les parents veulent prendre la parole dans ce débat, car ils sont aussi des acteurs de l'école".

Les syndicats de parents et d'enseignants comptent maintenant sur les futures mobilisations du printemps, et sur la campagne présidentielle à venir, pour relayer le malaise, bien palpable, du monde éducatif.

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