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Ramadan : peut-on se faire renvoyer pour avoir jeûné ?

L'avocat Eric Rocheblave revient sur la suspension de quatre animateurs musulmans, lundi, par la mairie de Gennevilliers (Hauts-de-Seine).

Article rédigé par Vincent Daniel - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Quatre moniteurs de colonie de vacances ont été suspendus le 20 juillet 2012 par la mairie de Gennevilliers (Hauts-de-Seine) pour avoir observé le jeûne du ramadan.  (FREDERICK FLORIN / AFP)

Suspendre des salariés pour cause de ramadan, est-ce légal ? Quatre moniteurs musulmans de colonie de vacances ont été suspendus par la mairie communiste de Gennevilliers (Hauts-de-Seine) pour avoir observé le jeûne, a indiqué, lundi 30 juillet, la municipalité. Cette décision est intervenue après la visite d'un responsable des centres de vacances lors d'un séjour sportif à Port-d'Albret (commune de Vieux-Boucau, Landes), vendredi 20 juillet, le premier jour du jeûne du ramadan. 

Le responsable a rappelé aux animateurs que, selon leur contrat de travail, ils devaient se restaurer et s'hydrater pendant la journée. Les quatre moniteurs ont dû quitter la colonie le lendemain. Le contrat de travail, que l'Agence France-Presse a pu consulter, précise en effet que l'animateur "veille à ce que lui-même, ainsi que les enfants participant à la vie en centre de vacances, se restaurent et s'hydratent convenablement, en particulier durant les repas". L'animateur doit être "en pleine possession de ses moyens physiques", selon l'article 6 de ce contrat.

Pour les quatre personnes suspendues, il s'agit d'une décision "injuste et inadmissible". Ils envisagent d'"aller devant les prud'hommes". Que dit le droit ? Voici les réponses d'Eric Rocheblave, avocat spécialisé dans le droit du travail.

Pour justifier sa décision, la mairie de Gennevilliers invoque une clause du contrat des quatre animateurs. Est-ce légal ?

Eric Rocheblave : Les employeurs ont une obligation de résultat en matière de sécurité et de santé de leurs salariés. C'est-à-dire que lorsqu'un employeur confie à un de ses salariés un travail, ce travail ne doit pas dégrader l'état de santé de ses salariés. Donc, un salarié qui fait un jeûne pour des motifs religieux ou même qui respecte un régime peut-il exercer toute sorte d'activités professionnelles ? Je ne le pense pas, et les juges ne le pensent pas non plus. Dès lors que l'employeur fait la démonstration que les tâches qu'il confie à ses salariés ne sont pas compatibles avec son état de santé, il peut éventuellement mettre des clauses dans le contrat de travail.

C'est le cas notamment des personnes qui travaillent en hauteur, qui font des randonnées sous le soleil, en altitude : dans ce cas, il faut nécessairement s'alimenter et s'hydrater. Un employeur peut donc encadrer ce type d'activités, en dehors de toute considération religieuse. Dans le cas de Gennevilliers, la décision de l'employeur n'est pas choquante, la colère des salariés ne me choque pas non plus. Ce n'est évident ni dans un sens, ni dans l'autre. Il faudra que les juges arbitrent. Il n'y a pas eu de décision de justice concernant la compatibilité d'une activité professionnelle avec un jeûne religieux.

Les animateurs dénoncent une discrimination religieuse. Est-ce le cas ?

Si les salariés font la démonstration médicale qu'un jeûne n'était pas incompatible avec leur activité, l'employeur aurait porté atteinte à leur liberté religieuse pour un motif qui n'est pas justifié. Et il y aurait éventuellement une discrimination liée à l'appartenance d'un salarié à une religion. L'employeur devra prouver que la mesure qu'il a prise était exempte de toute discrimination. On peut porter atteinte à la liberté d'un salarié (y compris religieuse) quand cette atteinte est proportionnée et justifiée, sur le plan médical notamment, en fonction de l'activité. Par ailleurs, un salarié musulman qui fait le ramadan et qui fait un malaise pourrait très bien se retourner contre son employeur car son activité professionnelle n'était pas compatible avec un jeûne. 

Si on ne peut pas jeûner pour exercer certains métiers, cela pose la question des régimes ou des personnes qui sautent un repas...

Un employeur peut parfaitement s'offusquer d'un régime suivi par l'un de ses salariés. On dépasse la question religieuse. C'est vraiment au cas par cas : tel métier est-il compatible avec un jeûne ? Sans porter de jugement, on peut imaginer que ne pas boire, ne pas manger, quand il fait 35 °C ou 40 °C, et faire une marche d'encadrement pendant cinq heures par jour, cela peut avoir une incidence sur l'état de santé du salarié (l'employeur serait fautif), mais aussi sur son activité (l'encadrement). Etre avocat ou journaliste et jeûner, c'est plus ou moins compatible... On imagine aussi des métiers où cela ne l'est pas, comme les salariés d'EDF qui montent en haut des pylônes par exemple.

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