Rentrée des classes : quatre questions sur les nouveaux cours de morale à l'école
Les élèves du CP à la terminale participeront à partir de cette année à des cours d'"enseignement moral et civique", en lieu et place de l'éducation civique. Mais à quoi vont-ils ressembler ?
"C’est une nouveauté dont on attend beaucoup", assure Najat Vallaud-Belkacem. A partir de la rentrée, mardi 1er septembre, "l'enseignement moral et civique" va remplacer, du CP à la terminale, les traditionnels cours d’éducation civique. L'aboutissement d'un projet lancé début 2013 par l'ancien ministre de l'Education nationale, Vincent Peillon. Pour les 12,3 millions d'élèves qui vont reprendre le chemin de l'école cette année, fini, donc, les cours uniquement théoriques sur les institutions françaises et sur le b.a.-ba du droit. Place à la réflexion et au dialogue, sur la liberté, le respect, la laïcité, le vivre-ensemble… Mais la nouveauté semble laisser les professeurs sceptiques.
Que va-t-on apprendre aux enfants ?
Jusqu'à présent, les cours d'éducation civique avaient d'abord pour but de sensibiliser les écoliers à l'exercice de la citoyenneté. Quels sont les symboles de la France ? Quels sont les droits et les devoirs ? Qu'est-on libre de faire et de ne pas faire ? A quoi cela sert-il de voter et d'avoir des représentants ? Comment et pourquoi s'engage-t-on au service de la communauté ? Autant de questions abordées, le plus souvent, de manière très théorique.
Désormais, l'éducation civique va être accompagnée d'un "enseignement moral". Objectif : développer l'esprit critique et le principe d'autonomie de l'élève, et "favoriser le développement d'une aptitude à vivre ensemble dans une République indivisible, laïque, démocratique et sociale". Cet enseignement reposera sur quatre principes : "penser et agir par soi-même", "comprendre le bien-fondé des normes et des règles régissant les comportements individuels et collectifs", "reconnaître le pluralisme des opinions, des convictions, des croyances et des modes de vie" et "construire du lien social et politique".
"Beaucoup de thèmes sont repris : le droit, le fonctionnement démocratique... Tout ceci était enseigné dans les cours d'éducation civique d'avant", constate Alexandre Acou, professeur des écoles à Paris, interrogé par francetv info. "Le changement, c’est qu'on insiste sur certains points tels que la laïcité, l’approche religieuse, la multiplicité des confessions et la société de l’information", observe Didier Karkel, professeur d'histoire-géographie au lycée Jean-Renoir de Bondy (Seine-Saint-Denis), joint par francetv info. Un changement loin d'être anodin, quelques mois après les événements de Charlie Hebdo, et les débats qui en avaient découlé.
Vont-ils avoir des heures de cours dédiées à cela ?
Oui. Dans une étude publiée en début d'année (PDF), le Conseil national d'évaluation du système scolaire (CNESCO) déplorait que les heures dédiées à l'éducation civique ne soient "pas toujours dispensées dans leur totalité". "Ces heures peuvent servir notamment à achever la couverture des programmes scolaires dans d'autres matières", regrettaient les auteurs de ce rapport. En d'autres termes : les professeurs d'histoire-géographie, chargés de dispenser cette matière, négligeaient trop souvent les heures d'éducation civique au profit... de l'histoire-géo.
Là, un horaire sera spécifiquement dédié à cette nouvelle matière, à raison d'une heure par semaine à l'école primaire, et d'une heure tous les quinze jours au collège et au lycée. Dans le secondaire, les séries professionnelles et technologiques n'avaient pas d'heures spécifiquement dédiées : dorénavant, l'enseignement moral et civique y sera également obligatoire.
Comment ces cours se dérouleront-ils ?
Avec ce nouvel enseignement, "ce qui est vraiment différent, assure la ministre Najat Vallaud-Belkacem, c'est la forme qu'il prend : un temps important est accordé aux débats, aux jeux de rôle, aux moments de dialogue". De fait, dans les programmes, le ministère conseille en effet toutes sortes d'activités : danse, théâtre, conseils d'élèves, débats, participation à des audiences au tribunal...
"Ce qui est préconisé, c'est que les élèves apprennent à argumenter, qu'ils aient un recul sur les choses, un sens critique, décrypte Alexandre Acou. C'était moins accentué avant. Maintenant, les élèves vont devoir pratiquer un début de démocratie." Concrètement, le manuel Nathan, dédié aux collégiens, propose par exemple de réaliser une émission de radio sur le refus du racisme et de l'antisémitisme, d'animer et de participer à un débat sur le lien entre la sécurité et la liberté en France, d'organiser une course sportive au profit d'une association caritative ou encore d'imaginer et de participer à un concours contre le sexisme, etc.
Comment les enseignants ont-ils été préparés ?
A les écouter, les professeurs interrogés par francetv info semblent plutôt sceptiques. "Ce sont des choses qu'on faisait déjà, assure Didier Karkel, du lycée Jean-Renoir de Bondy. On voit bien que le simple fait d'expérimenter en classe aide à faire mieux passer les connaissances. On tiendra compte du changement des programmes, mais il n'y aura pas d'avant-après à proprement parler."
Surtout, de nombreux enseignants pointent un manque de préparation et d'information autour de la mise en place de ce nouveau cours. "Ça a un côté un peu précipité", déplore Christine Guillonnet, professeur d'histoire-géographie, interrogée par France 3. "En tant qu'enseignants en activité, nous n'avons reçu aucune formation sur la morale ou quoi que ce soit", regrette Diane Madar, institutrice à Saint-Quentin (Aisne), contactée par francetv info.
Et pour cause : depuis le début de l'année, seuls 1 000 enseignants environ ont bénéficié d'une formation sur la laïcité et l'enseignement moral. "Sur Eduscol, un site très utilisé pour la construction des programmes, les évolutions concernant l'enseignement moral et civique n'apparaissent pas encore", renchérit son confrère parisien Alexandre Acou. "Cela va se jouer lors de la pré-rentrée, imagine Diane Madar. On aura une réunion avec les directeurs et l'inspecteur. C'est à ce moment-là que les lignes directrices du programme nous seront expliquées."
En attendant, pour construire leurs cours, les enseignants restent donc dans le flou. A quelques jours de la rentrée des élèves, les professeurs n'ont pas tous reçu les nouveaux manuels. Face à leur inquiétude, Najat Vallaud-Belkacem, elle, assure qu'"une grande souplesse sera laissée aux établissements". Une souplesse qui semble réjouir Didier Karkel, professeur en Seine-Saint-Denis : "Il y a autant de façons de mettre en œuvre le programme qu'il y a de publics", insiste-t-il.
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