Xavier Emmanuelli, fondateur du Samu social de Paris, a annoncé qu'il allait démissionner de son poste de président
La démission de l'ancien secrétaire d'Etat chargé de l'action humanitaire (de 1995 à 1997), 72 ans, intervient en pleine crise du Samu social, confronté à des restrictions budgétaires de l'Etat qui le finance à 92 %.
"Ce n'est plus gérable", a-t-il expliqué dans dans une interview parue mercredi.
Selon Xavier Emmanuelli, "l'urgence sociale, personne n'y croit". "Ca appartient aux petits hommes gris, comme disait Nietzsche. Les technos, les mecs qui pensent structure, budget, et pas souci de l'autre", poursuit-il.
"C'est comme dans le dessin animé de Tex Avery, tout le monde se refile le bâton de dynamite avant qu'il pète. On est dans le 'c'est pas moi, c'est toi': c'est du ressort de l'État, non, c'est celui de la mairie. Ils se tirent dans les pattes, ils n'ont pas les mêmes objectifs, c'est à celui qui ne paiera pas ou, au contraire, qui se dira le plus généreux. Je me suis battu toute ma vie, je ne veux pas couvrir ça", justifie le Dr Emmanuelli. "Quand vous êtes dans la gestion, dans un rapport de forces, ce n'est plus possible."
Xavier Emmanuelli n'a pas précisé pas à quelle date sa démission serait effective. Il a indiqué qu'il "continuerait quand même le Samu International".
Au Samu social, le financement de l'hébergement en hôtel a été amputé de 25%. "Le Samu social de Paris, avec la coordination du 115", numéro national d'urgence et d'accueil des sans-abri, "est en danger", avait alerté le médecin fin juin. La structure s'est ainsi vu contrainte de fermer le 30 juin son seul centre d'hébergement d'urgence parisien accueillant des femmes, le centre Yves-Garel (XIe), vétuste et délabré.
Réactions
Bertrand Delanoë, maire de Paris, a demandé jeudi au gouvernement de "rétablir immédiatement les crédits nécessaires au bon fonctionnement du Samu social, supprimés au cours des derniers mois". Il réagissait aux déclarations la veille sur France 2 du secrétaire d'Etat au Logement Benoît Apparu, qui a expliqué que l'Etat allait "diminuer de 4.500 le nombre de places d'hôtel et les substituer par des places de logements".
Dès mercredi, le maire de Paris a rendu hommage, dans un communiqué, à l'action de Xavier Emmanuelli et déploré, lui aussi, un engagement insuffisant de la part des pouvoirs publics. "Cette démission intervient dans un contexte difficile pour le Samu social, alors que le gouvernement a considérablement réduit les moyens dévolus à l'hébergement d'urgence", a écrit Bertrand Delanoë. "Aujourd'hui, l'accueil des enfants, des femmes et des hommes sans abri, qui est de la pleine responsabilité de l'Etat, vit une crise sans précédent qui ne pourra que s'accentuer avec l'arrivée de l'hiver", a-t-il poursuivi dans un le communiqué avant de conclure: "Cette situation a déjà des conséquences dramatiques pour des centaines de familles en grande difficulté qui sont remises à la rue avec leurs enfants ou placées dans les urgences hospitalières."
Le Premier ministre François Fillon a rendu hommage mercredi à l'oeuvre de Xavier Emmanuelli, qui a émissionné de la présidence du Samu social, et a affirmé que le sort des personnes sans bri était une préoccupation majeure du gouvernement.
"S'il renonce, c'est pour lui, j'imagine, un déchirement terrible. Le Samu social, c'est l'engagement de sa vie", a souligné Bernard Lacharme, le secrétaire général du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées, présidé par Xavier Emmanuelli depuis 1997. "Lorsqu'il parle de la grande exclusion, c'est avec ses tripes", a-t-il ajouté. "Il a contribué à recrédibiliser le fait d'aller vers les autres, quand la précarité explosait dans Paris", a complété le directeur de l'association Aurore, Eric Pliez.
L'association France Terre d'Asile a estimé que cette démission, "si spectaculaire soit-elle", n'était que "la partie émergée du profond malaise qui s'est emparé du secteur social en France".
"Je regrette sa décision car il a énormément apporté, il a même créé en grande partie le secteur de l'hébergement et le principe même du Samu social. Il est une des figures emblématiques de l'hébergement en France", a déclaré le secrétaire d'Etat au Logement Benoist Apparu. Selon lui, le gouvernement défend "une nouvelle stratégie", basée sur le principe du "logement d'abord", et "qui n'est pas forcément totalement partagée par Xavier Emmanuelli", qui est dans une logique "de l'aide d'urgence".
Pour la fondation Emmaüs, la démission de Xavier Emmanuelli est "un cri d'alarme parfaitement justifié". "Il y a manifestement une forme de désengagement des pouvoirs publics et de l'Etat dans le domaine très particulier qui est l'accueil d'urgence (...), alors qu'il y a 100.000 personnes à la rue", a précisé le président de la fondation, Christophe Deltombe. "Aujourd'hui, il y a des familles dans la rue, des enfants dans la rue (...) les associations ne sont plus capables de donner un toit aux gens qui en ont besoin", a-t-il ajouté refusant "d'opposer le logement et l'accueil d'urgence".
Benoist Apparu "oublie complètement une chose qui est très importante, c'est qu'une personne qui a vécu à la rue pendant longtemps est désocialisée et a besoin d'un accompagnement", a estimé Christophe Deltombe. On ne peut pas passer directement de la rue à un logement normal, a-t-il poursuivi.
Pour la candidate à la primaire socialiste Martine Aubry, "si une personne comme Xavier Emmanuelli, qui a consacré sa vie à cet engagement, est poussée aujourd'hui à une telle extrémité, c'est que la situation est plus qu'alarmante". "Le désengagement de l'Etat décidé par ce gouvernement est inacceptable et "relève de la non-assistance à personnes en danger", a ajouté la candidate PS.
De l'humanitaire à l'urgence
Homme de terrain, Xavier Emmanuelli s'est forgé au fil des décennies une image de médecin des pauvres. D'origine corse, né le 23 août 1938, ce fils d'instituteur exerce d'abord comme médecin généraliste (1967) après ses études. Il se spécialise ensuite en anesthésie-réanimation (1976). Militant dans les rangs du PC, il s'engage dans la lutte anti-coloniale, avant de devenir médecin dans la marine marchande.
A son retour, il se forme à l'urgence et participe à l'aventure du Samu hospitalier sous la direction du Pr Pierre Huguenard.
Co-fondateur avec Bernard Kouchner de Médecins sans frontières (MSF) en 1971, il participe aux actions de l'ONG tout en exerçant en région parisienne: il est attaché à l'hôpital intercommunal de Créteil et chef du service d'anesthésie-réanimation de l'hôpital de Saint-Maurice (Val-de-Marne).
En 1987, il est nommé médecin-chef à la prison de Fleury-Mérogis, où il est confronté à la toxicomanie et au SIDA.
C'est lors de consultations au Centre d'hébergement et d'assistance aux personnes sans abris de Nanterre (Hauts-de-Seine), qu'il rejoint en 1992 comme médecin-chef, qu'il a l'idée d'appliquer aux problèmes sociaux les méthodes de "l'urgence" médicale. Avec l'aide de Jacques Chirac, alors maire de Paris, il crée le 22 novembre 1993 les premières "équipes mobiles d'aide" du Samu social de Paris, chargées d'"aller à la rencontre" des sans-abris. Il présidait cette structure depuis sa fondation.
Jacques Chirac le nomme en mai 1995 secrétaire d'Etat chargé de l'Action humanitaire d'urgence. Ses détracteurs accusent alors le médecin de "trahison", car il aurait renié le communisme de ses jeunes années. "Je n'ai épousé ni les idées de droite ni celles de gauche. Le problème n'est pas un problème de politique politicienne", répond-il dans son interview à Charlie Hebdo.
Xavier Emmanuelli est aussi parfois accusé d'être trop consensuel, trop respectueux à l'égard des autorités publiques. Il n'a toutefois cessé ces dernières semaines de dénoncer le peu d'intérêt porté, selon lui, par le gouvernement à "l'urgence sociale". Mais pour le directeur de l'association Aurore, Eric Pliez, sa démission intervient aussi à un moment où cette notion "laisse peu à peu place à d'autres questions, comme celle de l'insertion à long terme des personnes, après une prise en charge en urgence".
Xavier Emmanuelli préside également depuis 1997 le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées.
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