: Enquête Amazon : comment des produits sont remboursés en échange de faux commentaires élogieux

Dans la guerre du e-commerce, les commentaires cinq étoiles sont des gages de succès pour séduire les acheteurs. Pour améliorer leur visibilité sur les sites de vente en ligne, certains vendeurs n'hésitent donc pas à faire appel à des intermédiaires pour organiser le remboursement d'achats en échange de commentaires flatteurs. Franceinfo a voulu comprendre ces pratiques. 

L'enquête commence sur Facebook, au mois de septembre. Une suggestion de groupe apparaît à l'écran. Le nom contient l'abréviation "AMZ" et porte comme photo la flèche du logo Amazon, qui relie, comme un sourire, le A au Z. Nous rejoignons le groupe par curiosité et découvrons une communauté bien plus opaque que de simples fans du site de e-commerce. 

Le business des cinq étoiles

Sur le fil, un flot continu de photos de produits vendus sur Amazon : des souris et des écouteurs, des produits de beauté, des articles de sport, des objets de décoration, et beaucoup de sextoys. En légende, le nom du produit, ainsi qu'une phrase qui sonne comme un nom de code, "PP 100% refund". Traduction : "remboursement intégral par PayPal". 

Ce genre de groupes est présent un peu partout : aussi bien sur Facebook que sur la messagerie cryptée Telegram. Il s'agit à chaque fois de produits disponibles sur Amazon et proposés à la vente en échange d'un remboursement total. Seule contrepartie pour l'acheteur : rédiger un commentaire élogieux de l'article commandé, lui octroyer cinq étoiles sur cinq et prendre des photos.

Qui crée ces groupes ? Le vendeur lui-même, qui prend contact avec un intermédiaire chargé de trouver, via ces groupes, des clients qui vanteront les mérites de ses produits. L'intermédiaire perçoit entre trois et quatre euros par produit commenté. Pour les deux intermédiaires que nous avons contactés, cette activité est un complément de revenu, s'élevant en moyenne à 60 euros par mois pour l'un et 300 euros pour l'autre.

"Je travaille en ce moment avec huit vendeurs car ce n'est qu'un petit job à côté de mes études. Les vendeurs n'exigent pas de travailler seulement pour eux donc on peut en avoir autant que l'on veut."

Christophe*, un intermédiaire de produits remboursés

Et pour trouver des acheteurs, les intermédiaires s'adaptent. Sur Facebook, ils utilisent la messagerie privée alors que sur Telegram, ils passent la plupart du temps par un chatbot, un programme qui collecte nos informations de manière automatique. Mais il existe aussi des sites de e-commerce entièrement dédiés à ce marché de faux commentaires. Une interface où chaque produit s'échange contre un commentaire élogieux.

Un marché illégal

Pourtant, depuis 2016, Amazon interdit toute publication de commentaires en échange de produits gratuits. Mais comme nous avons pu le constater, le marché des faux commentaires est encore florissant.

Nous avons fait nous-mêmes l'expérience. Un sèche-cheveux attire notre attention. Nous envoyons un message à l'intermédiaire qui propose ce produit. L'échange est bref : il nous demande l'URL de notre profil Amazon, qui contient tous les commentaires que nous avons déjà postés, ainsi que l'adresse e-mail liée à notre compte PayPal pour le remboursement. Une fois ces deux informations envoyées, il nous donne le lien du produit sur Amazon. Une fois l'article acheté avec notre carte bancaire, l'intermédiaire réclame le numéro de commande Amazon et une capture d'écran de l'e-mail de confirmation de commande. "Make the reviews after 6/7 days", ajoute-t-il, comprendre "poster le commentaire 6-7 jours après réception du produit".

Nous répétons l'opération pour quatre autres produits : des sets de table, un antivol pour vélo, une tondeuse à cheveux et un parapluie. Une fois les commentaires rédigés, avec photos jointes, il faut attendre entre 24 et 48 heures avant qu'Amazon ne les publie. Il faut enfin envoyer le lien de ce commentaire à l'intermédiaire. Dernière étape : attendre les remboursements sur notre compte PayPal, qui sont au plus tard arrivés sous 11 jours. 

Un système gagnant-gagnant

Nous avons contacté d'anciens employés d'Amazon, une experte en e-commerce, des intermédiaires et des acheteurs réguliers. Tous nous ont confirmé que les vendeurs remboursaient l'achat de leurs produits pour se faire une place sur les sites de e-commerce. Les commentaires positifs et les ventes générées par ces achats remboursés propulsent leurs produits en haut du classement sur Amazon. Pour les vendeurs, c'est le nerf de la guerre : mieux leurs produits sont classés, meilleures sont les ventes. 

C'est donc un système gagnant-gagnant : les vendeurs remboursent quelques commandes pour générer de vraies ventes, les intermédiaires sont rémunérés au commentaire, et les acheteurs obtiennent des produits gratuitement. Même Amazon, qui n'est en rien impliqué dans ce marché, y trouve son compte : la plateforme gagne de l'argent grâce à ses ventes de produits remboursés, au même titre que de vraies ventes. 

Une perte de confiance dans les avis postés

Problème : ce marché parallèle fausse les moyennes des produits, car les acheteurs octroient une note généralement supérieure à la réalité. De vrais acheteurs sont donc dupés par ces faux commentaires. Des chercheurs californiens ont travaillé sur ce sujet :

"Notre étude suggère que les faux commentaires concernent surtout des produits qui semblent être de moins bonne qualité, parce que nos données montrent que dès que les vendeurs arrêtent de rembourser des commandes, la moyenne des notes de leurs produits diminue de manière significative."

Davide Proserpio, professeur assistant en marketing, University of Southern California

à franceinfo

Les consommateurs peuvent donc perdre confiance dans les avis postés sur les sites de e-commerce en recevant des produits de piètre qualité pourtant bien notés. C'est pour cette raison qu'Amazon alloue des moyens conséquents à la lutte contre les faux commentaires. L'entreprise a accepté de répondre à nos questions.

"Nous utilisons de puissants outils de machine learning et nous nous appuyons sur une équipe d'enquêteurs qualifiés [...] dans le but de stopper tout avis abusif avant même qu'il ne soit publié. Par ailleurs, nous assurons une veille continue de tous les avis existants afin de détecter tout signe d'abus."

Amazon France

à franceinfo

La riposte d'Amazon

Chaque semaine, ce sont 10 millions de commentaires qui sont analysés par Amazon. Malgré les progrès de l'intelligence artificielle et du machine learning (apprentissage automatique), la tâche reste difficile. En effet, les faux commentaires ont tout des vrais : des photos, un texte long et descriptif. Sur les cinq commentaires que nous avons publiés, trois sont restés en ligne, deux ont été dépubliés, l'un car l'article a cessé d'être vendu sur la plateforme, l'autre ayant certainement été repéré par l'algorithme d’Amazon. Nous avons fait don des articles que nous avons reçus à des associations et avons dépublié les faux commentaires que nous avons postés.

* Le prénom a été modifié.