"Google nous rend service gratuitement" : le rédacteur en chef de Numerama s'insurge contre le "droit voisin" réclamé par les éditeurs de presse
Julien Cadot a publié une tribune à contre-courant de ses confrères de la presse. Il estime injustifié le procès fait à Google, estimant que le géant américain est dans sa fonction quand il référence et relaye de manière neutre les contenus sur internet.
Plusieurs éditeurs de presse français ont annoncé, jeudi 24 octobre, déposer plainte auprès de l'Autorité de la concurrence contre le géant américain Google. Ils l'accusent de bafouer le "droit voisin", un nouveau mécanisme censé favoriser un meilleur partage des revenus du numérique et qui entre en vigueur ce jeudi*.
Une lutte que ne soutient pas du tout Julien Cadot, le rédacteur en chef de Numerama. Selon lui, Google "rend service gratuitement" aux médias en terme de référencement de la presse en général sur Internet. De plus, alerte-t-il, "une relation économique entre Google et les médias" remettrait en cause, selon lui, "la neutralité d'un moteur de recherche".
Franceinfo : Pourquoi ce n'est pas une bonne chose de demander de l'argent à Google pour référencer des articles ?
Julien Cadot : Google, contrairement aux droits qu'il va payer aux musiciens, ne va pas reprendre nos articles. Il va envoyer des gens vers notre site. Donc, en réalité, on prend à la fois des lecteurs et de l'argent, que ce soit par les abonnements qui vont être transformés par la suite ou par la publicité qui va être affichée. Et le plus ironique, c'est que Google pourrait faire payer un tel service. Archiver le web, indexer le web, c'est quelque chose de compliqué. Et c'est imparfait aujourd'hui mais c'est quelque chose de coûteux et qui pour nous, est un service ultime en réalité, une vitrine pour nos contenus.
Mais les éditeurs de presse qui portent plainte contre Google estiment que le géant américain tire aussi des revenus de tous ces contenus. Est-ce que ce n'est pas normal de rendre un petit peu de cet argent à ceux qui ont créé les articles ?
Ce n'est pas vrai. Google tire des revenus de ses utilisateurs qui sont sur la plateforme Google. Si les médias n'étaient plus là, il y aurait certes de moins bons contenus mais il continuerait à gagner de l'argent. Et sur les plateformes dont on parle, Google News, Google Discover, il n'y a pas de publicité Google. Donc, en réalité, ce n'est que du bonus pour les médias. Moi, je vois un bras de fer qui n'a pas lieu d'être et devrait être orienté vers d'autres problèmes que la presse pourrait rencontrer.
Vous faites le parallèle, dans une tribune que vous avez publiée, entre Google et les kiosquiers ?
En réalité, aucun média ne mettrait que le titre de sa parution et demanderait au kiosquier de lui donner une redevance par sous rubrique par image de Une qu'il afficherait. Cela n'aurait aucun sens, ni économiquement ni éthiquement. En plus, ça demande de repenser la neutralité d'un moteur de recherche par une relation économique entre Google et les médias. Et ça, pour moi, ce n'est pas possible parce que c'est un des fondements du web que de faire des liens hypertextes, de renseigner des sources, d'avoir un droit de citation. C'est quelque chose qui constitue la "toile", comme on l'appelle.
Les journaux sont fragilisés économiquement notamment avec la place qu'a prise aujourd'hui le numérique par rapport aux ventes papier. Alors, si on ne fait pas payer Google, qu'est-ce qu'on fait?
On reproche à Google d'être dans une position dominante. Mais le nombre d'agrégateurs de presse qui sont gratuits ou qui sont fournis directement dans les smartphones augmente, et c'était des initiatives que la presse aurait pu prendre. Il ne faut pas se battre contre des choses qui n'existent pas ou qui pourraient amener des choses très négatives pour l'écosystème média français et européen.
*France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l'INA, qui éditent conjointement le site de franceinfo, soutiennent la notion de droits voisins, l'application de la directive européenne et dénoncent la décision de Google. Les entreprises de l'audiovisuel public appuient donc la démarche des éditeurs de presse. Face au fait accompli, France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l'INA n'ont pas eu d'autre choix que de répondre favorablement aux nouvelles demandes de Google. Ce qui montre bien la position dominante du moteur de recherche.
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