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L’action d’Anonymous contre des sites pédophiles va-t-elle trop loin ?

Des membres se réclamant du mouvement de hackers ont publié les données personnelles d’environ 500 personnes qui fréquenteraient des sites pédopornographiques. Une mise au pilori numérique qui pose question.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Deux activistes portent le masque de Guy Fawkes, symbole des Anonymous, à Mexico (Mexique), le 22 avril 2012.  (RONALDO SCHEMIDT / AFP)

"Nous, Anonymous, voulons affaiblir sinon éradiquer ce fléau d’Internet." Le fléau en question, c'est la pédopornographie. Depuis samedi 7 juillet, des membres se réclamant du mouvement de hackers ont publié les données personnelles d’environ 500 personnes dont les numéros de téléphone, adresses e-mail, IP et parfois même postales ont été retrouvés sur des sites pédopornographiques. Nom de code de l’opération : #OpPedoChat. 

Plusieurs dizaines d'adresses sont situées en Belgique et ces données sont actuellement analysées par la police belge spécialisée sur internet, la Federal Computer Crime Unit. La justice belge enquête par ailleurs pour tenter d’identifier les pirates qui les ont mises en ligne.

Débusquer le côté obscur du net

Ce n’est pas la première fois que des Anonymous ciblent des pédophiles présumés. Fin 2011, les données personnelles de plus de 1 500 personnes avaient été publiées après le piratage de plusieurs sites à caractère pédopornographique, dont Lolita City, bien dissimulés sur le réseau Tor, qui permet de préserver l'anonymat de ses utilisateurs. Cette action avait été baptisée #OpDarknet, pour débusquer le côté obscur du net.

Qu'en est-il ressorti ? Ces Anonymous sont parvenus à rendre inaccessibles – au moins temporairement – plusieurs de ces sites. Mais les utilisateurs ont-ils été inquiétés ? Le FBI a été invité à prendre connaissance des listes de noms divulguées, mais aucune communication n’a été faite par la suite.

"Un effet contre-productif" et "dangereux"

"On peut se demander si ce genre d’actions n’est pas plutôt une entrave aux enquêtes", analyse Jean-Marc Manach, journaliste spécialiste en nouvelles technologies et protection de la vie privée sur le site Owni. "Si des faits illégaux ont lieu sur ces sites (…), c’est l’affaire de la police, a réagi de son côté l'association belge Child Focus. En clouant publiquement au pilori des personnes, vous leur enlevez l’envie de se soumettre à un contrôle et à un traitement. Cela a donc un effet contre-productif."

Contre-productif et "extrêmement dangereux", estime Daniel Kaplan, délégué général de la Fondation internet nouvelle génération (Fing). "Ça s’appelle faire justice soi-même. On livre des gens à la vindicte populaire", prévient-il. Parmi les noms dévoilés sur le site Pastebin figure celui de Hans-Peter Luyckx, un conseiller communal du parti nationaliste flamand Vlaams Belang à Evere (Belgique). Comme le rapporte RTL.be, ce dernier a affirmé que son adresse avait été piratée et envisage de porter plainte contre X. Il a également démissionné provisoirement de son parti.

L'éthique du hacker pas toujours respectée

"Aussi criminels ces sites puissent-ils être, montrer du doigt publiquement de présumés pédophiles peut potentiellement ruiner des vies innocentes", commente le spécialisé dans les nouvelles technologies Wired. Et de rappeler les conséquences de "l'opération Ore", la plus grande enquête menée sur des sites pédophiles au Royaume-Uni, lancée en 1999. Au total, près de 4 000 personnes dont la carte de crédit avait été utilisée sur ces sites avaient été arrêtées, sans que la police ne vérifie au préalable si ces cartes avaient été volées. Les noms ont fini par être publiés dans la presse et 35 personnes se sont suicidées.

Cette nouvelle action d’Anonymous pose ainsi la question de la limite du piratage de données sur Internet, mené au nom de la transparence démocratique. Jean-Marc Manach rappelle toutefois que ce genre d’actions est contesté au sein même du mouvement : "Dans l’éthique hacker, on ne révèle pas de données personnelles et on n’interdit pas aux autres de s’exprimer [en piratant et en bloquant des sites]."

Pourtant, nombre d’opérations sont menées dans le sens inverse. Par définition, "tout le monde peut se cacher derrière Anonymous, même le FBI", souligne Jean-Marc Manach, rappelant le cas de Sabu, ce membre influent d’Anonymous devenu un informateur du FBI. Ses renseignements ont permis d'arrêter cinq personnes soupçonnées d'appartenir au réseau. "Si des données très sensibles d’une entreprise sont publiées, cela peut être son concurrent qui est derrière", cite encore en exemple le spécialiste.

"Claire dérive" ou "épiphénomène" ?

Le cas de WikiLeaks est un peu différent dans la mesure où le leader de l’organisation, Julian Assange, est identifié et agit à visage découvert. Et jusqu’à présent, le site ne s’est attaqué qu’à des institutions, organismes ou personnes publiques (câbles diplomatiques américains, dossiers des prisonniers de Guantanamo Bay, mails du régime syrien…). Daniel Kaplan ne remet pas en cause pour autant l’anonymat des Anonymous. "Il y a des cas d’intervention militante où il se justifie, comme lorsqu’il est question d'abus de pouvoir", estime-t-il. Mais pour ce qui est des adresses de présumés pédophiles, "on est dans une claire dérive".
 
C'est un "épiphénomène, de l’ordre du fait divers", relativise Jean-Marc Manach. "Au final, les personnes qui consultent ces listes de noms sont très peu nombreuses." Mercredi 11 juillet, en fin de journée, près de 46 000 personnes s’étaient connectées sur les pages du site Pastebin. Rien à voir, selon le journaliste d’Owni, avec le nombre d’Américains qui ont accès à la liste des criminels sexuels rendue publique aux Etats-Unis, géolocalisation à l’appui. Une dérive, cette fois-ci, "complètement institutionnalisée et cautionnée par les autorités"

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