Comment la photo d'un jeune homme volage et de sa petite amie outrée est devenue le cliché de l'été
Le photographe Antonio Guillem avait pris ce cliché lors d'une séance photo à Gérone, en Espagne, pour illustrer l'infidélité, sans se douter que les internautes y verraient des milliers de métaphores.
Elle est sans doute la photo de l'été 2017. On y voit un jeune couple qui se promène dans la rue et croise une femme vêtue d'une robe rouge, arrivant en sens inverse. L'homme se retourne pour reluquer avec insistance l'inconnue, mais il est repéré par sa petite amie, qui prend un air scandalisé. Complètement anodin, ce cliché a été détourné avec humour et annoté dans des langues allant du turc à l'anglais en passant par l'espagnol et le français.
Dans ces détournements (des "mèmes") publiés tout l'été sur internet, chaque personnage incarne un sentiment ou une idée. Souvent, l'internaute se met à la place du jeune homme. La femme en rouge est ce qu'il convoite ("une sieste", dans le premier tweet ci-dessous) ou apprécie ("le socialisme", dans le second tweet), tandis que la petite amie représente tantôt la voix de la raison ("choses urgentes et importantes à faire"), tantôt un objet délaissé (le "capitalisme").
Dis one right here pic.twitter.com/KcAWDmJxGf
— gotta$$$migraine (@gxngstawifi) August 24, 2017
— Omar Essam LHC (@OmarEssamLHC) August 19, 2017
Comment internet s'est-il pris de passion pour ce trio anonyme ? Mardi 29 août, le quotidien espagnol El País a tenté d'obtenir la réponse en interrogeant l'auteur de la photo.
"Représenter l'infidélité de façon ordinaire"
"Il y a un mois, je ne savais même pas ce qu'était un mème", concède le photographe espagnol Antonio Guillem. Il a pris ce cliché en 2015, à Gérone, pour alimenter une banque d'images (dans son cas, iStock ou Shutterstock), ces bases de photos d'illustration payantes, censées représenter toutes sortes de situations de la vie quotidienne (afin d'accompagner ce genre d'articles difficiles à illustrer).
Pour cette session, il a convoqué deux mannequins avec qui il travaillait depuis plusieurs années : Mario, l'homme à la chemisette, et Laura, la jeune femme à la robe rouge. "J'ai eu envie de représenter l'infidélité de façon ordinaire, raconte le photographe. Les scénarios étaient improvisés parce que nous n'avions pas beaucoup de temps. Comme je travaille toujours avec les mêmes mannequins, il était assez facile de composer l'image." Avant de faire le tour du web, la photo avait été téléchargée 1 500 fois, selon El País.
Blagues d'initiés
Voyant dans cette mise en scène l'opportunité de plaisanter, notamment en illustrant notre constant désir de nouveauté, les internautes se sont emparés de cette image à une date que même l'encyclopédie en ligne KnowYourMeme n'a pu définir avec exactitude. Selon elle, une des premières occurrences d'un détournement de cette photo est apparue en janvier 2017 sur une page Facebook consacrée au rock progressif (vous savez, ce rock psychédélique et arty qui s'est développé dans les années 1960). Le jeune homme est présenté comme Phil Collins, ancien batteur de Genesis. Il lorgne sur la pop (la jeune fille en rouge), provoquant le dégoût du "prog-rock" (la petite amie).
KnowYourMeme a retrouvé l'auteur de cette blague d'initiés. De nationalité turque, il assure avoir trouvé ce visuel (avec un autre détournement) sur une page Facebook turque traitant de politique, sans pouvoir identifier le premier malin à avoir détourné cette image.
Une série comme un roman-photo
Depuis, l'image a fait le tour du monde. Certains internautes ont même retrouvé la série de clichés issus de cette même session, afin de continuer l'histoire de ces individus anonymes (on voit notamment les deux jeunes femmes rire autour d'un café).
a happy ending for this saga pic.twitter.com/NwkNIsL7S3
— margot (@riverphioenix) August 24, 2017
Antonio Guillem, qui s'est mis à la photographie quand la crise économique de 2008 a violemment frappé l'Espagne, rappelle Wired (en anglais), n'en veut pas aux internautes qui se sont emparés de son œuvre. "Ces mèmes ne nous ont pas fait gagner un centime, car la plupart d'entre eux n'ont pas téléchargé la photo légalement depuis une banque d'images. Cela ne m'inquiète pas, car la plupart des gens se servent de cette image pour s'amuser. Ce qui m'inquiète, et que je n'autoriserai pas, c'est que l'on puisse l'utiliser d'une façon qui soit néfaste pour les mannequins photographiés ou pour moi", dit-il.
— leon (@leyawn) August 22, 2017
Ce n'est pas la première fois que des photos de banques d'images, parfois un brin surréalistes, deviennent virales sur internet. Dès 2011, des sites avaient compilé des photos de "femmes hilares qui mangent de la salade", se moquant des improbables scénarios imaginés par les photographes.
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