Commission sur le complotisme : son rôle est "d'éclairer le public" sur les mécaniques de la désinformation
"Il nous appartient, non pas de donner des leçons, mais d'essayer de démonter les mécanismes", explique l'historien Jean Garrigues, membre de cette commission lancée par Emmanuel Macron et qui compte une quinzaine de personnalités.
Le rôle de la commission sur le complotisme et la désinformation lancée par Emmanuel Macron à quelques mois de l'élection présidentielle est "d'essayer d'éclairer le public" sur "ces mécaniques qui conduisent à la désinformation", a expliqué sur franceinfo jeudi 30 septembre, l'historien Jean Garrigues, membre de cette commission. Une équipe d’une quinzaine de personnalités, notamment d’universitaires, avec à sa tête le sociologue Gérald Bronner, devra "préconiser des solutions pour essayer justement de mettre un peu plus de raison, un peu plus de transparence dans les réseaux sociaux". La demande de modification des algorithmes "fait partie des préconisations".
franceinfo : Faut-il mener à tout prix un combat contre le complotisme ?
Jean Garrigues : On a vu à quel point ce phénomène s'était développé sur les réseaux sociaux, que ce soit aux États-Unis ou en France, avec la question du pass sanitaire. Et je crois que l'intention de Gérald Bronner, c'est d'aller très, très vite. Cette commission va se réunir trois mois, ce qui est très rare pour trouver des solutions avant que n'intervienne le vif de la campagne présidentielle qui risque de donner lieu à toutes ces campagnes de désinformation, de manipulation, d'infiltration même de réseaux numériques étrangers dont on a vu les ravages, par exemple, aux États-Unis.
Si on tape le mot "climat" sur YouTube, la moitié des vidéos proposées sont des vidéos climato-sceptiques. Comment est-ce qu'on s'attaque à ça ?
Nous allons procéder à des auditions, notamment des représentants en France de ces grands groupes, de ces Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon) qui s'occupent du numérique.
Pour leur demander de modifier les algorithmes dans ce sens ?
Ça fait partie des préconisations. Je ne veux pas anticiper ce que sera le rapport final de cette commission, mais ça fait partie des questionnements importants que nous avons posés sur la table. Il y a possibilité, de manière algorithmique justement, d'essayer de faire reculer ce type d'inégalités devant l'information qui revient à de la désinformation. Ça fait partie des solutions à apporter.
De quelles armes disposez-vous face à ces groupes qui pèsent des centaines de milliards de dollars. Comment allez-vous les convaincre de changer leur modèle ?
L'une des premières armes, c'est d'autoriser précisément les chercheurs de toutes sortes que nous sommes, sociologues, politologues, spécialistes des réseaux sociaux, à analyser, investiguer de manière beaucoup plus forte, beaucoup plus présente sur les dérives des réseaux sociaux. Les travaux des chercheurs américains ont montré qu'il y avait là un gouffre à combler et qu'il fallait aller beaucoup plus loin dans la manière dont nous pouvons analyser ce qui se passe au niveau de Twitter, de Facebook, etc. Et l'influence, ce sera celle de la loi. Ce sera celle de ce que la loi pourra nous répondre et c'est pourquoi tout l'arsenal juridique pourra être convoqué. Nous auditionnerons des juges et des magistrats pour essayer de voir comment nous pouvons essayer de réguler d'une manière légale ceux qui, aujourd'hui, relève de beaucoup de dérives.
Gérald Bronner, qui est à la tête de cette commission, a dit notamment que l'une des solutions passera par une régulation des médias traditionnels. Certains ont vu aussitôt une forme de censure. Est-ce que ça veut dire, par exemple, interdire d'inviter telle ou telle personnalité à la télé ou à la radio ?
Ce n'est pas du tout l'intention de Gérald Bronner et il nous l'a bien précisé dans la réunion interne que nous avons réalisée avant ce lancement officiel. Ça n'est pas du tout notre démarche.
"Nous sommes des chercheurs d'opinions très différentes et surtout hostiles à tout interventionnisme dans la liberté de la presse."
Jean Garrigues, historien, membre de la commissionà franceinfo
L'idée pour nous, c'est de voir si éventuellement on pourrait substituer une logique plus civique, pédagogique, plus responsable. Je sais bien que pour l'immense majorité [des médias], cette éthique est pratiquée. Mais le problème, c'est que, sans s'en apercevoir, on entre dans des logiques de spectacle, de spectacularisation de l'information, de mercantilisation de l'information. Et il nous appartient, non pas de donner des leçons, mais d'essayer de démonter les mécanismes. Je crois que ce sera l'un des rôles, y compris d'ailleurs, sur les phénomènes de financement de ces des informations. Donc, il y a tout un questionnement pour nous, qui est d'essayer d'éclairer le public, les citoyens sur ces mécaniques qui conduisent à la désinformation ou aux Fake News.
Plusieurs ministres ont déclaré dans la presse qu'en 2022, pour l'élection présidentielle, Emmanuel Macron allait incarner "le camp de la raison" face aux obscurantistes, face aux anti-pass sanitaire, face aux anti-vaccins. Est-ce que vous craignez que votre commission soit récupérée par le pouvoir ?
Ça, c'est une logique politique qui regarde Emmanuel Macron et son parti, La République en marche. Notre logique à nous, je le répète, est une logique scientifique qui consiste à démonter un certain nombre de mécaniques et à préconiser des solutions pour essayer justement de mettre un peu plus de raison, un peu plus de transparence dans les réseaux sociaux. Donc, nous nous situons vraiment à côté de cette logique politique et c'est la raison pour laquelle, d'ailleurs, cette commission rendra son rapport avant la campagne électorale, de manière à ne pas être récupérée.
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