"Facebook Files" : ce qu'il faut retenir des révélations de la lanceuse d'alerte Frances Haugen
Cette ancienne employée de l'entreprise créée par Mark Zuckerberg a dressé, devant le Sénat américain, un portrait accablant de Facebook. Elle affirme notamment que le réseau social a des effets néfastes sur la santé des adolescentes et ne protège pas assez ses utilisateurs contre les "fake news".
"Nous avons encore le temps d'agir. Mais il faut le faire maintenant", exhorte Frances Haugen. Il y a trois jours, cette ingénieure informaticienne était encore inconnue du grand public. Aujourd'hui, son visage incarne la rébellion contre la toute puissance de Facebook. Mardi 5 octobre, cette ancienne employée a témoigné devant la commission au commerce du Sénat américain, notamment sur l'impact du réseau social créé par Mark Zuckerberg et d'Instagram sur les jeunes utilisateurs. Pour étayer ses allégations, Frances Haugen s'appuie sur son expérience pendant deux ans en tant que cheffe de produit chez Facebook et sur des milliers de documents qu'elle a emportés avec elle au printemps dernier, regroupées sous l'appellation de "Facebook Files". Voici ce qu'il faut retenir de ses révélations.
Facebook a minimisé son influence sur les adolescentes
En quittant Facebook en mai, Frances Haugen a emporté avec elle de nombreux documents issus de recherches internes à l'entreprise avant de les confier notamment au Wall Street Journal (en anglais). Dans un article publié mi-septembre, le quotidien américain révèle que Facebook effectuait des recherches sur son réseau social Instagram depuis trois ans pour en évaluer les effets sur les adolescents. Les études ont notamment montré que 32% des adolescentes estimaient que l'utilisation d'Instagram leur avait donné une image plus négative de leur corps lorsqu'elles n'en étaient déjà pas satisfaites.
Une diapo d'Instagram diffusée lors d'une réunion en interne en 2019 affichait ainsi : "Nous empirons le rapport à son corps d'une ado sur trois". "Les ados accusent Instagram d'augmenter les niveaux d'anxiété et de dépression", précisait une autre. Conscient donc du problème, Facebook a minimisé, selon l'ex-employée, son influence sur la psychologie des dizaines de millions de jeunes qui se connectent chaque jour.
"Je crois qu'il est d'une importance vitale que nous mettions en place des mécanismes qui prévoient que les recherches internes de Facebook soient rendues publiques régulièrement."
Frances Haugen, ancienne cheffe de produit chez Facebookdevant le Sénat américain
Dans un message publié mercredi sur Facebook (en anglais), le patron du groupe Mark Zuckerberg a répondu à ces accusations : "Si nous voulions ignorer la recherche, pourquoi créerions-nous un programme d'études de pointe pour comprendre ces problèmes importants ? Si nous ne nous soucions pas de lutter contre les contenus préjudiciables, pourquoi embaucherions-nous autant de personnes qui s'y consacrent ?" Et le créateur de Facebook d'ajouter :
"Au cœur de ces accusations réside l'idée que nous privilégions les profits plutôt que la sécurité et le bien-être. Ce n'est tout simplement pas vrai."
Mark Zuckebergdans un message sur Facebook
Facebook a désactivé des filtres contre les "fake news"
Frances Haugen affirme également que Facebook a supprimé, après l'élection présidentielle américaine de 2020, des filtres contre la désinformation pour favoriser une augmentation de la fréquentation de ses plateformes. "Facebook s'est rendu compte qu'en changeant l'algorithme pour plus de sécurité, les utilisateurs passaient moins de temps sur la plateforme, cliquaient sur moins de publicités, et eux, gagnaient moins d'argent", a-t-elle expliqué à la chaîne américaine CBS (en anglais) dimanche 3 octobre, au moment de dévoiler son identité.
“Facebook has realized that if they change the algorithm to be safer, people will spend less time on the site, they'll click on less ads, they'll make less money,” says Facebook whistleblower Frances Haugen. https://t.co/wbxxfgorNE pic.twitter.com/zpQIwcdatr
— 60 Minutes (@60Minutes) October 3, 2021
Facebook a bien mis en place des équipes pour limiter la désinformation au moment des élections et modifié ses algorithmes pour réduire la diffusion de fausses informations. Mais son équipe, qui s'intéressait aux risques que pouvaient poser certains utilisateurs ou certains contenus à l'approche d'élections, a été démantelée peu après le scrutin de novembre 2020. A peine deux mois plus tard, les réseaux sociaux ont été utilisés par des internautes pour préparer le rassemblement du 6 janvier à Washington, qui a mené à l'intrusion au Capitole.
La responsabilité de "l'insurrection" sur le siège du Congrès "incombe aux personnes qui ont infligé les violences et à ceux qui les ont encouragées, dont le président [Donald] Trump", a rétorqué Nick Clegg, le vice-président de Facebook. Selon lui, il est donc "trop facile de chercher une explication technologique à la polarisation politique aux Etats-Unis". Le responsable de la plateforme a toutefois reconnu que Facebook devait essayer de "comprendre comment [le réseau social] contribue aux contenus négatifs et extrêmes, aux discours haineux et à la désinformation".
Facebook permet à certains utilisateurs d'échapper à la modération
Dans les révélations du Wall Street Journal figure également un programme de Facebook qui permet à certaines célébrités, responsables politiques et internautes en vue de ne pas avoir à obéir aux mêmes règles sur la modération des contenus que le reste des utilisateurs. Selon le quotidien américain, qui cite des documents internes à l'entreprise, ce programme baptisé "Crosscheck" ou "XCheck" n'applique pas les mêmes contrôles aux messages postés sur les comptes Facebook et Instagram de ces "VIP" que sur les comptes des internautes lambda.
En 2020, jusqu'à 5,8 millions d'abonnés ont bénéficié de ce programme. Certains ont été exemptés des règles tandis que d'autres ont pu poster des messages enfreignant théoriquement les instructions en attendant qu'un employé de Facebook les examine. D'après le Wall Street Journal, Facebook a par exemple permis en 2019 à Neymar de montrer à ses millions d'abonnés des photos dénudées d'une femme qui l'accusait de viol, avant de les supprimer.
Cela ne signifie pas qu'il y a "deux systèmes de justice" sur le réseau social, a rétorqué Andy Stone, un porte-parole de Facebook, dans une série de tweets (en anglais). Si certaines pages ou comptes reçoivent une deuxième couche de vérification, c'est pour s'assurer que les règles sont mises en œuvre de façon appropriée et "éviter des erreurs", a-t-il affirmé. "Nous savons que l'application de nos règles n'est pas parfaite et qu'il y a des compromis faits entre vitesse et précision", a-t-il encore défendu.
Facebook est dirigée de "manière unilatérale" par Mark Zuckerberg
Lors de son audition devant le Sénat, Frances Haugen a particulièrement pointé du doigt Mark Zuckerberg. "Il a un rôle unique dans l'industrie de la tech parce qu'il détient 55% des droits de vote de Facebook. Il n'y a pas d'entreprise aussi puissante qui soit contrôlée de manière aussi unilatérale. Donc finalement, la responsabilité revient à Mark", a-t-elle critiqué.
"Mark Zuckerberg ne rend de comptes à personne. Et il est, dans les faits, le concepteur en chef des algorithmes."
Frances Haugen, ancienne cheffe de produit chez Facebookdevant le Sénat américain
Plusieurs sénateurs ont invité le patron de Facebook à venir répondre à leurs questions prochainement.
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