Réseaux sociaux : pourquoi Facebook, Instagram et X se mettent-ils à proposer des abonnements payants ?

Le groupe Meta, propriétaire de Facebook et Instagram, a annoncé qu'il allait lancer une formule payante en Europe pour éviter les publicités. Un choix stratégique, loin d'être isolé dans le secteur des réseaux sociaux.
Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Courant novembre 2023, les réseaux sociaux Facebook et Instagram proposeront à leurs utilisateurs un abonnement payant s'ils veulent se débarrasser des publicités. (LIONEL BONAVENTURE / AFP)

C'était une rumeur tenace, presque aussi vieille que Facebook lui-même. Mais elle va bientôt devenir réalité. Le réseau social cofondé par Mark Zuckerberg va proposer une option payante courant novembre, tout comme Instagram, détenu lui aussi par le groupe Meta. Pour environ dix euros par mois, l'abonné sera débarrassé de tout contenu publicitaire. L'utilisation gratuite sera toujours possible, moyennant les réclames habituelles qui rémunèrent jusqu'à présent ces plateformes.

Avec cette décision annoncée lundi 30 octobre, Facebook et Instagram rejoignent le cercle des plateformes ayant franchi le pas du payant, comme Twitter (renommé X en juillet), qui avait créé la surprise et l'inquiétude en faisant progressivement payer ses fonctionnalités avancées. Pourquoi un tel virage, de la part de réseaux qui ont bâti leur popularité sur l'accès gratuit et la publicité ? Franceinfo fait le tour des arguments avancés par les géants du numérique.

Une façon d'équilibrer les sources de revenus

La décision de Meta, annoncée lundi dans un communiqué, a surpris les utilisateurs de longue date, mais pas les analystes. Début 2018, Mark Zuckerberg laissait déjà flotter l'idée d'une formule payante. "Il y aura toujours une version de Facebook qui sera gratuite", promettait toutefois le milliardaire, cité par la chaîne CNBC. En août 2019, le slogan historique "Facebook est gratuit, et le sera toujours", avait été discrètement effacé de la page d'accueil du réseau social, comme l'avait rapporté le journal américain USA Today

Fin 2023, Meta assure toujours "[croire] en un internet gratuit financé par la publicité", qui lui a rapporté en 2022 plus de 116 milliards de dollars (près de 110 milliards d'euros). Mais cette source de revenus peut parfois s'avérer instable. En décembre 2022, après le rachat de Twitter par le milliardaire Elon Musk, les annonceurs ont progressivement fui la plateforme, provoquant une baisse de 70% des dépenses publicitaires rien que pour ce mois, selon les données du Standard Media Index, citées par Euronews

Le réseau à l'oiseau bleu, rebaptisé "X", avait alors changé son fusil d'épaule en faisant payer la certification des comptes mais aussi le masquage des publicités ou encore la possibilité d'envoyer un message privé. Mais cela est loin de compenser le désintérêt des annonceurs, comme le confiait Elon Musk en juillet. Alors qu'il perd des utilisateurs depuis 2022, le réseau teste actuellement un accès totalement payant (pour 1 dollar symbolique par an) en Nouvelle-Zélande ainsi qu'aux Philippines, comme l'explique le Guardian.

Une volonté d'améliorer l'expérience utilisateur

Plus mesurées, d'autres plateformes intègrent des options payantes depuis plusieurs années déjà. C'est le cas de YouTube, qui propose un abonnement "Premium" à 12,99 euros par mois pour en finir avec les publicités. Même service offert par TikTok, qui facture un peu moins de 5 euros par mois le masquage des réclames. L'application la plus téléchargée au monde laisse aussi les créateurs proposer des contenus exclusifs à leurs abonnés, moyennant paiement bien sûr.

Du côté de Snapchat, l'offre payante à 3,99 euros par mois permet de personnaliser son application, d'accéder à un suivi plus poussé de ses publications ou encore de tester les nouveaux services en avant-première. En septembre 2023, un an après le lancement du service, le réseau annonçait avoir convaincu cinq millions d'abonnés Snapchat+ à travers le monde soit 0,6% de ses quelque 750 millions d'utilisateurs actifs mensuels revendiqués

Quant au réseau professionnel Linkedin, il propose des services premium depuis... 2005. Soit une offre lancée deux ans à peine après sa création. La plateforme offre ainsi tout un panel de services pour une dizaine de tarifs différents, selon le profil et les objectifs des utilisateurs. 

Pour Meta, un moyen de se conformer aux exigences européennes

Dans son communiqué, le groupe de Mark Zuckerberg présente aussi son offre à deux vitesses comme une main tendue vers l'Union européenne et sa réglementation de plus en plus stricte sur le pistage des internautes ainsi que la revente de leurs données. "La possibilité pour les gens d'acheter un abonnement sans publicité équilibre les exigences des régulateurs européens tout en donnant le choix aux utilisateurs", estime Meta.

Le 22 mai, le groupe avait écopé d'une spectaculaire amende de 1,2 milliard d'euros pour avoir enfreint le règlement européen sur la protection des données (RGPD) avec son réseau Facebook. Bruxelles n'a pour l'instant pas réagi au lancement de ces nouvelles offres payantes. Selon le Guardian, le tarif des abonnements est notamment pris en compte par les Européens pour décider de la conformité avec la réglementation.

Des risques de dérives identifiés

Si le passage à des formules payantes peut s'avérer lucratif pour les plateformes, cela ne fait pas forcément les affaires des utilisateurs ou de la communauté. Pour Jean Cattan, secrétaire général du Conseil national du numérique, "on assiste à la conversion du modèle de la plupart des réseaux sociaux, avec un passage du gratuit vers le payant", a-t-il déclaré à l'AFP. Mais puisque Meta, par exemple, détient WhatsApp, Facebook, Instagram et Threads, "il faut une régulation qui veille à l'absence de monopole", a-t-il exhorté.

Selon lui, la multiplication des offres premium pourrait également aller à l'encontre de la liberté d'expression. "S'il faut payer sur tous les réseaux demain, les riches pourront davantage s'exprimer", avertit-il. "On irait à l'encontre de la neutralité du net et d'un traitement égal des utilisateurs (...)." 

Les privilèges accordés aux utilisateurs payants risquent enfin de faciliter la propagation de fake news ou l'usurpation d'identité. C'est par exemple arrivé sur Twitter au journal New York Times, "qui a refusé de payer un abonnement et a perdu sa certification historique", relatait à franceinfo en avril dernier Tristan Mendès-France, spécialiste du conspirationnisme et des fausses informations. "Un individu qui possédait une pastille [certification payante] s'est alors amusé à renommer son compte en reprenant le nom du journal."

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