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Twitter Blue : pourquoi les nouvelles règles de certification payante peuvent encourager la désinformation sur le réseau social

Depuis le 1er avril, il n'est plus possible de différencier les comptes historiquement authentifiés de ceux qui ont obtenu leur badge bleu en payant l'abonnement Twitter Blue.
Article rédigé par Quang Pham
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Le compte servant à promouvoir l'abonnement payant Twitter Blue, permettant à tous les utilisateurs prêts à débourser 9,60 euros par mois de bénéficier d'un badge auparavant réservé aux utilisateurs authentifiés. (JAKUB PORZYCKI / NURPHOTO / AFP)

Une mesure qui sème un peu plus le bazar sur le réseau social. A partir du samedi 1er avril, Twitter devait faire disparaître la pastille certifiant l'authenticité d'un compte pour la réserver aux seuls abonnés de sa formule payante, Twitter Blue. Jusqu'alors, le badge bleu était attribué gratuitement au regard de la notoriété des utilisateurs concernés, afin d'éviter que ceux-ci ne voient leur identité usurpée. Mais les équipes du réseau social racheté par Elon Musk semblent avoir en partie rétropédalé : les comptes authentifiés selon l'ancienne politique semblent avoir à ce jour conservé leur badge.

Mais alors que cela était encore faisable avant le 1er avril, il n'est désormais plus possible de distinguer les comptes historiquement certifiés des profils qui ont simplement payé un abonnement à Twitter Blue, facturé 9,60 euros par mois. Franceinfo vous explique pourquoi la nouvelle politique de certification peut encourager la désinformation sur Twitter.

Parce qu'il est de plus en plus difficile d'identifier les profils authentiques

Avant le rachat du réseau par Elon Musk, la certification des comptes Twitter était considérée comme le gage d'un profil authentifié. "L'ancienne certification se faisait au cas par cas, après une vérification assez rigoureuse de l'identité de la personne ou de la structure qui en faisait la demande", rappelle Tristan Mendès-France, spécialiste du conspirationnisme et des fausses informations.

La mise en place de Twitter Blue à la fin de l'année 2022 a changé la donne. "S'il est possible qu'il existe un contrôle interne [de l'authenticité d'un compte], il apparaît que du moment qu'on paye son abonnement à Twitter Blue, on a droit" à sa pastille bleue, estime Tristan Mendès-France. Les effets pervers de cette mesure ont été immédiats : une fois les abonnements payants ouverts au public, de nombreux utilisateurs ont créé des comptes usurpant l'identité d'entreprises, de stars américaines du basket ou même du président Joe Biden, profitant de la confusion entraînée par la présence du badge pour faire circuler des plaisanteries ou des informations fantaisistes. Devant le chaos généré par la situation, Twitter avait été contraint de suspendre sa formule payante quelques jours, avant de la remettre en ligne le 12 décembre avec quelques mesures de protection (article en anglais) pour limiter les dérives.

Les nouvelles règles instaurées samedi 1er avril, qui suppriment la distinction entre comptes vérifiés selon l'ancienne méthode et ceux abonnés à Twitter Blue, ne vont pas arranger les choses. "Ce compte est certifié car il est abonné à Twitter Blue ou parce qu'il avait obtenu une certification avec l'ancien système", peut-on désormais lire si on clique sur la coche bleue d'un profil.

Cette perte de traçabilité a déjà encouragé de nouvelles tentatives d'usurpation d'identité. C'est arrivé au "New York Times qui a refusé de payer un abonnement et s'est vu retirer sa certification historique", raconte Tristan Mendès-France.

"Un individu qui possédait une pastille s'est alors amusé à renommer son compte en reprenant le nom du journal. On est alors arrivé à la situation ubuesque où le vrai compte du New York Times n'avait pas de badge, tandis que le faux compte qui se faisait passer pour le journal bénéficiait, lui, de cette certification", déplore le spécialiste en désinformation.

Parce que les abonnés payants verront leurs messages mis en avant, quelle que soit leur fiabilité

Même si l'échéance a été repoussée pour une période encore indéterminée, les entreprises ou les médias devront à terme payer un abonnement mensuel de 1 000 dollars par mois et 50 dollars par compte affilié (respectivement 913 et 46 euros environ) pour être certifiés sur Twitter, ou accepter de perdre leur badge. "C'est extrêmement inégalitaire comme système, dans la mesure où des petits médias et des petites entreprises n'auront pas les moyens de se payer cette pastille", analyse Tristan Mendès-France. Un constat partagé par Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières.

Au lieu de réformer sa plateforme de manière à favoriser l'accès à l'information fiable, Elon Musk veut en faire un espace à deux vitesses, où seuls ceux qui payent ont voix au chapitre, peu importe qu'ils produisent ou non des informations d'intérêt général.

Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières

à l'AFP

Dans sa description des futures fonctionnalités de Twitter Blue, le réseau annonce en effet que les tweets des abonnés figureront "en haut des réponses, des mentions et des résultats de recherche". Le 28 mars, Elon Musk avait notamment précisé qu'à compter de la mi-avril, seuls les comptes certifiés seraient mis en avant dans la rubrique de recommandations "pour vous" de l'application. Mais devant le tollé provoqué par cette mesure, le milliardaire avait fait machine arrière le même jour, assurant avoir "oublié" de préciser que ces recommandations seraient aussi issues de la liste des comptes suivis par l'utilisateur.

Parce que la fin de la distinction entre comptes certifiés et payés profite à la "complosphère"

Lorsque le service Twitter Blue a été mis en place en novembre dernier, "les grands influenceurs de la 'complosphère' se sont tous rués dessus pour avoir une pastille de certification", se rappelle Tristan Mendès-France. Une situation d'autant plus problématique qu'à terme, Twitter est censé "donner une bonification de visibilité aux comptes qui ont payé", rappelle le spécialiste. Le fait de pouvoir savoir qu'un profil avait eu besoin de payer sa certification permettait toutefois jusqu'à présent d'avoir un indice sur une crédibilité potentiellement moindre du compte.

La suppression de cette information, depuis le 1er avril, revient à attribuer le même niveau de certification à un compte complotiste et à un autre issu d'une source fiables. Des petits logiciels paramétrables dans les navigateurs web, comme l'extension Eight Dollars pour Google Chrome ou Firefox par exemple, permettent cependant de pouvoir à nouveau distinguer le statut, "payé" ou "certifié", des badges Twitter.

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