Rachat de Twitter : on vous raconte la semaine où Elon Musk a lancé son plan pour "libérer" l'oiseau bleu
A la recherche de rentabilité, le milliardaire entend changer la culture de l'entreprise à marche forcée. La moitié des salariés ont ainsi été licenciés et la création d'un abonnement payant a été évoquée.
Quelques jours après avoir racheté Twitter, pour 44 milliards de dollars, le milliardaire Elon Musk a déjà lancé une profonde refonte en interne du réseau social à l'oiseau bleu. La moitié environ des 7 500 employés dans le monde ont été priés de prendre la porte, selon un document interne consulté par l'AFP, vendredi 4 novembre. Le fondateur de Tesla avait également dissous le conseil d'administration et licencié l'ex-patron, Parag Agrawal, ainsi que le directeur financier, Ned Segal, et la responsable des affaires juridiques, Vijaya Gadde.
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Le milliardaire libertarien veut notamment assouplir la modération des contenus : "L'oiseau est libre", s'était-il félicité jeudi soir, pour célébrer l'acquisition du réseau social. De quoi susciter l'inquiétude des salariés, de nombreux utilisateurs et d'ONG, qui appellent au contraire les réseaux sociaux à mieux lutter contre les abus, le harcèlement et la désinformation. Twitter, qui comptait 238 millions d'usagers quotidiens dits "actifs", fin juin, attire en effet un public moins large qu'un géant comme Facebook, mais beaucoup de décideurs politiques, d'entreprises et de médias.
L'inquiétude des annonceurs
"Twitter est désormais entre de bonnes mains, et ne sera plus dirigé par les fous de la gauche radicale qui détestent véritablement notre pays", a salué l'ancien président américain Donald Trump dont le compte a été suspendu. L'ex-président russe, Dmitri Medvedev, a pour sa part souhaité "bonne chance" à Elon Musk pour "surmonter les préjugés politiques et la dictature idéologique". Ce rachat est également suivi de près par l'Union européenne et le réseau social devra respecter la nouvelle réglementation sur les grandes plateformes, a d'ores et déjà averti le commissaire européen Thierry Breton.
A compter de 2024, le règlement sur les services numériques imposera le retrait rapide de tout contenu illicite (selon les lois nationales et européennes), dès qu'une plateforme en aura connaissance. Il contraindra les réseaux sociaux à suspendre les utilisateurs violant "fréquemment" la loi. Les très grandes plateformes, dont Twitter, devront afficher une transparence accrue sur les algorithmes qu'elles utilisent et seront auditées une fois par an par des organismes indépendants. Vendredi, Elon Musk a annoncé son intention de doter la plateforme d'un "conseil de modération des contenus avec des points de vue très divers".
"Aucune décision majeure sur les contenus ou réactivation de compte n'aura lieu sans l'intervention du conseil."
Elon Musk, propriétaire de Twittersur Twitter
Pas de quoi rassurer les annonceurs, alors même que la plateforme peine toujours à dégager des bénéfices. Le géant américain de l'agroalimentaire General Mills (Cheerios, Häagen-Dazs...) a ainsi suspendu ses dépenses publicitaires sur Twitter. "Nous allons continuer à surveiller l'évolution de la situation et évaluer nos dépenses de marketing", a déclaré la porte-parole Kelsey Roemhildt. Auparavant, le constructeur automobile General Motors avait décidé d'arrêter temporairement de payer des publicités sur Twitter. Et Mondelez International, Pfizer et Audi (Volkswagen) ont pris des décisions similaires.
Un modèle économique très incertain
Les annonceurs, qui représentent 90% des revenus de la plateforme, craignent que la libéralisation des règlements de modération ne la rende inhospitalière. Et ils redoutent d'être associés à des contenus non consensuels. Elon Musk a tenté de les rassurer, en promettant que Twitter ne deviendrait pas une plateforme "infernale, où tout peut être dit sans conséquence". Dimanche dernier, il a pourtant relayé lui-même une théorie du complot sur l'agression du mari de l'élue démocrate Nancy Pelosi. Avant de se raviser et de supprimer son message.
Twitter a "déjà eu un comité de ce type dans le passé, comme d'autres réseaux sociaux. Cela ne débouche jamais sur grand-chose", dénonce à l'AFP Rebekah Tromble, professeur à la George Washington University. Les sociétés technologiques ont aussi mis au point des algorithmes sophistiqués pour filtrer les contenus problématiques, "mais en pratique, la modération est faite à la main par des dizaines de milliers de personnes sous-payées", ajoute-t-elle.
Elon Musk, par ailleurs, entend revoir les règles d'authentification. Des ingénieurs de Twitter ont commencé, dès le week-end, à travailler sur la refonte du système d'abonnement et de vérification des comptes. Puis le milliardaire a dévoilé un projet d'abonnement à 8 dollars par mois – montant qui sera ajusté selon les pays – à l'attention des utilisateurs souhaitant afficher le "badge bleu" certifiant leurs comptes. Ce forfait devrait également permettre de poster des vidéos et messages plus longs et d'être moins exposé aux publicités.
Trash me all day, but it’ll cost $8
— Elon Musk (@elonmusk) November 5, 2022
Car pour financer le rachat de Twitter, le tempétueux milliardaire a dû contracter des emprunts d'un montant de 13 milliards de dollars, qui vont devoir être remboursés par l'entreprise et non par le patron de Tesla. Il a également cédé pour environ 15,5 milliards de dollars de ses actions du constructeur de voitures électriques en deux vagues, en avril et en août, et adossé des prêts d'une valeur de 12,5 milliards de dollars à ses titres Tesla.
Des salariés licenciés sans ménagement
Dans ce contexte délicat, Twitter a décidé de licencier environ la moitié de ses salariés dans le monde, leur expliquant dans un courriel que l'objectif de cette décision était "d'améliorer la santé de l'entreprise". Le réseau social a aussi a annoncé la fermeture temporaire de ses bureaux afin "d'assurer la sécurité de chaque employé ainsi que celle des systèmes et des données de Twitter". Elon Musk a déclaré qu'il n'y avait "malheureusement pas d'autre choix quand l'entreprise perd plus de 4 millions de dollars par jour", et promis trois mois d'indemnités aux salariés concernés.
Un collectif de près de 50 associations de défense de la démocratie et de lutte contre la désinformation a adressé une lettre ouverte aux 20 plus gros annonceurs sur Twitter, dont Coca-Cola, Google et Disney, les exhortant à menacer Elon Musk de cesser toute publicité s'il mettait en place son projet "visant à saper la sécurité de la marque et les standards de la communauté, dont la liquidation de la modération de contenus".
Cela ne devrait pas empêcher Elon Musk de poursuivre à cadence forcée le changement de culture d'entreprise, avec des développeurs de Tesla appelés en renfort, pour évaluer le travail des employés de Twitter. "Nous assistons à la destruction en temps réel de l'un des systèmes de communication les plus puissants au monde", a réagi Nicole Gill, cofondatrice de Accountable Tech, l'une des ONG qui a rédigé la lettre ouverte. "Elon Musk est un milliardaire imprévisible et incohérent, il représente un danger pour cette plateforme qu'il n'est pas qualifié à diriger."
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