"Ericsson List" : en quoi la compétition autour de la 5G encourage la corruption
Le projet "Ericsson List" a révélé que le géant des télécommunications a participé à un système de corruption généralisé. Ces dérives s’inscrivent dans un contexte de guerre commerciale.
Selon le projet "Ericsson List", le géant suédois de la téléphonie a commis des infractions en Irak, alors même qu'il négociait avec la justice américaine une issue aux poursuites engagées contre lui pour avoir violé les lois anti-corruption dans d’autres pays. Cette enquête, réalisée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et 30 médias partenaires, dont la cellule investigation de Radio France, révèle qu'Ericsson a versé de l'argent a plusieurs acteurs de ce pays afin de maintenir ses activités dans le pays malgré le contexte de guerre.
Pourquoi prendre un tel risque ? Certains experts expliquent cette incohérence par l’importance des enjeux financiers que représente un marché qui pourrait être encore plus concurrentiel avec l’avènement de la nouvelle génération de technologie de téléphonie mobile, connue sous le nom de 5G. Selon Robert Atkinson, fondateur et président de la Fondation pour la technologie de l'information et l'innovation, cette compétition est particulièrement intense sur des marchés en devenir comme le marché irakien.
Un marché à 12 milliards de dollars
La 5G représentera un grand bond en avant, puisqu’elle est une réponse à l'augmentation du nombre d'appareils intelligents qui encombrent les fréquences radio existantes. Dans la lutte pour conquérir ce marché, on recense trois acteurs principaux. Il y a tout d'abord Ericsson, qui contrôle près de 15% du marché mondial des infrastructures de télécommunication, selon le cabinet d'études Dell'Oro Group. La plus grande implantation de l'entreprise se trouve aux États-Unis, avec plus de 113 millions de dollars de contrats passés avec le gouvernement américain depuis 2008.
Mais, aussi important que soit Ericsson, il est aujourd’hui éclipsé par le géant Huawei Technologies Co. soutenu par l'État chinois, qui contrôle environ 30% du marché mondial. Huawei a annoncé au début de l'année dernière avoir signé plus de 1 000 contrats 5G dans le monde. Certains experts estiment cependant que les politiques économiques agressives de la Chine, qui encouragent les exportations et limitent les importations, ont faussé le marché en propulsant Huawei devant ses concurrents.
Enfin, dans cette guerre commerciale, le troisième acteur majeur est la société finlandaise Nokia. Son plus gros contrat, de 3,5 milliards de dollars, a été passé en 2018 pour accélérer le déploiement de la 5G pour le compte de l'opérateur américain T-Mobile. Bien que Nokia ait à peu près autant de parts de marché qu'Ericsson, l'entreprise est en perte de vitesse depuis plusieurs années.
Huawei dans le collimateur
Considérant Huawei comme un agent du gouvernement chinois, les États-Unis et d’autres démocraties occidentales l’empêchent d’accéder à leur marché. Comme preuve de la soumission de Huawei au pouvoir politique, ils citent les lois chinoises qui obligent Huawei à communiquer les données de l'entreprise au gouvernement si celui-ci le lui demande. Les acteurs occidentaux redoutent aussi que, dans l'éventualité d'un conflit mondial, la Chine puisse demander à Huawei de couper ses services, ce qui provoquerait des perturbations majeures.
En un instant, des nations pourraient être privées d’accès aux banques, aux hôpitaux et à d'autres fournisseurs de services essentiels. "Ils pourraient dire : 'Au fait, nous allons envahir Taïwan et si vous intervenez nous éteindrons votre réseau 5G à distance'," explique encore Robert Atkinson. En 2020, la Suède a rejoint une poignée de pays qui interdisent aux entreprises de travailler avec Huawei ou d'utiliser leurs équipements pour leurs réseaux 5G. La Chine a riposté en accordant à Ericsson une part beaucoup plus faible que prévu des contrats de 5G chinois.
Les pots-de-vin : une arme économique
Résultat : les États-Unis et d'autres grandes démocraties s'appuient largement sur Ericsson, tandis que la Chine utilise presque exclusivement des équipements de Huawei. Les petits pays d'Asie et d'Afrique, eux, sont devenus des champs de bataille annexes. Pour conquérir ces marchés, Ericsson comme Huawei ont été accusées de verser des pots-de-vin. Une enquête du ministère américain de la Justice a révélé qu'Ericsson avait commis des violations éthiques dans cinq pays. Le groupe avait notamment payé des pots-de-vin à des fonctionnaires de Djibouti, point d'entrée stratégique de la Chine en Afrique.
Mais Jacob Helberg, conseiller principal au Centre de géopolitique et de technologie de l'université de Stanford, estime que Huawei n’est pas en reste. Selon lui, des versements de pots-de-vin aux dirigeants politiques de la part du géant chinois auraient aussi faussé le marché. "Les autres entreprises de télécommunication qui veulent concurrencer ces acteurs soutenus par l'État comme Huawei, subissent une forte pression pour s'engager dans des pratiques similaires afin d'être compétitives", explique-t-il.
Après les révélations sur des faits de corruption faites par l’ICIJ et ses 30 partenaires, dont la cellule investigation de Radio France, Ericsson a annoncé que l'entreprise allait améliorer son programme d'éthique et de conformité. Huawei, de son côté, a toujours rejeté toute allégation de transactions commerciales douteuses, déclarant sur son site web : "Huawei estime que la corruption nuit gravement à la concurrence loyale du marché et constitue une menace pour le développement de notre société, de notre économie et de nos entreprises."
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