Jeux paralympiques de Paris 2024 : "Ils veulent qu'on les regarde comme des athlètes", expliquent les réalisateurs d'un documentaire

Après les Jeux olympiques, Paris accueille les épreuves paralympiques, du 28 août au 8 septembre. A huit jours de l'événement, France 2 diffuse le documentaire "A corps perdus" qui suit le parcours qualificatif de six sportifs en situation de handicap.
Article rédigé par Isabelle Malin
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7 min
Le paratriathlète Alexis Hanquinquant remporte une épreuve de paratriathlon, le 19 août 2023, à Paris. (BOUKLA FABIEN / KMSP / AFP)

La cycliste française Anne-Sophie Centis, le triathlète tricolore Alexis Hanquinquant et le joueur de l'équipe de France de rugby fauteuil Cédric Nankin, mais aussi la coureuse cycliste américaine Oksana Masters, le nageur brésilien Gabriel Araujo et la taekwondoïste afghane Zakia Khudadadi... Ces six para-athlètes sont les acteurs du documentaire A corps perdus, réalisé par Thierry Demaizière et Alban Teurlai.

Diffusé mardi 20 août à 21h10 sur France 2, le film suit la préparation de ces six compétiteurs, en quête d'une qualification pour les Jeux paralympiques de Paris 2024. Pour franceinfo, les deux réalisateurs reviennent sur la genèse de ce projet et le regard qu'ils portent sur le handisport, sur lequel les caméras vont être braquées deux semaines durant, du 28 août au 8 septembre.

Franceinfo : Quel a été le point de départ de ce documentaire ?

Thierry Demaizière : C'est nous qui l'avons proposé à France Télévisions. Nous trouvions que c'était cohérent par rapport à notre travail de portraitiste, de travail sur le corps. On savait qu'avec les Paralympiques, nous aurions à la fois des histoires incroyables et des choses inouïes à filmer.

Alban Teurlai : Nous avions à cœur d'accrocher les spectateurs sur ces sportifs et leurs exploits. Lorsqu'on regarde ces athlètes, à l'aune de leur histoire, on sent que leurs performances viennent de très loin. Nous tenions à ce que ce film soit un écrin pour ces sportifs d'exception, car souvent, le regard posé sur le handicap est très cru, très misérabiliste. On voulait que ce soit beau.

Des six athlètes que vous avez filmés, quel est celui dont le parcours vous a le plus marqué ? 

T. D. : C'est difficile à dire, tant les destins de ces six sportifs sont incroyables. Je dirais le parcours d'Oksana Masters, née lourdement handicapée en Ukraine, abandonnée par ses parents, violée dans son orphelinat entre ses 5 et 7 ans et par chance adoptée par une Américaine.

"L'itinéraire de Zakia Khudadadi est aussi très touchant puisqu'elle a réussi à fuir les talibans et l'Afghanistan, où elle était vouée à une mort certaine."

Thierry Demaizière

à franceinfo

Mais à la fois la cycliste aveugle, Anne-Sophie Centis, qui est kinésithérapeute dans un service d'urgence à l'hôpital est également bouleversante. Tout comme le nageur brésilien Gabriel Araujo, qui a une joie de vivre inouïe alors qu'il est le plus lourdement handicapé, puisqu'il n'a pas de bras et des jambes très courtes, sans chevilles. Tous, chacun à leur façon, sont exceptionnels.

A.T. : Il est aussi important de préciser qu'Alexis Hanquinquant est le seul handicapé accidentel que nous avons dans le film, contrairement aux autres qui sont nés avec un handicap. Pour nous, valides, il est plus aisé de nous projeter sur lui.

Comment avez-vous choisi les sportifs que vous alliez filmer ?

T. D. : Dans un premier temps, nous pensions ne suivre que des athlètes français. Puis nous nous sommes dit que nous ne pouvions pas traiter les Jeux paralympiques qu'avec une sélection française. Nous avons donc décidé de filmer trois athlètes étrangers et trois athlètes français.

A.T. : La difficulté, c'est qu'il y a mille histoires à raconter sur le sport paralympique. Il fallait que l'on ait un équilibre entre hommes et femmes, un équilibre entre les Français et les étrangers, que toutes les couleurs de peau soient représentées, et qu'il n'y ait pas de doublon ni dans les histoires, ni dans les sports. C'était un tableau à plusieurs entrées.

Cela a-t-il été facile de les convaincre de participer à ce projet ?

T. D. : Oui, car ce sont des personnes qui sont en recherche de visibilité. Ils souffrent d'être trop souvent dans l'ombre. Ils sont donc forcément très honorés lorsqu'une caméra s'intéresse à eux, c'est tellement rare.

A.T. : Le triathlète français, Alexis Hanquinquant, dont on parle beaucoup dans le documentaire, est six fois champion de monde, six fois champion d'Europe, médaillé d'or à Tokyo. Il a battu des tas de records et pourtant, très peu de gens le connaissent. Il commence à avoir de la visibilité avec notre film, mais également parce qu'il a porté la flamme à la cérémonie d'ouverture et qu'il sera le porte-drapeau de la délégation française aux Paralympiques, mais il reste tout de même très peu connu.

Quel message portent-ils ?

T. D. : Ce sont des compétiteurs avant tout, qui veulent être considérés comme des sportifs et que l'on doit traiter comme tels. C'est d'ailleurs le but du film. Certains d'entre eux, bien qu'ils aient un handicap, sont quelques fois meilleurs que des athlètes valides. C'est le cas d'Alexis Hanquinquant, qui a déjà fait des compétitions en face de valides et qui a gagné.

"C'est leur grosse revendication : qu'on ne les regarde pas comme des handicapés, mais comme de grands sportifs."

Thierry Demaizière

à franceinfo

A.T. : D'ailleurs, Alexis Hanquinquant nous raconte que lorsqu'on le voit avec sa lame à la place de sa jambe amputée, on s'apitoie. En revanche, lorsqu'il court avec des valides et qu'il les bat, ses concurrents estiment que c'est grâce à sa lame qu'il est avantagé. Difficile pour lui de trouver sa place. Il y a eu cette mode, il y a quelques années, quand les para-athlètes ont commencé à être plus visibles aux Jeux de Rio et de Londres, où on en faisait des super-héros. Ça les énervait. Ils ne veulent pas de pitié, ils ne veulent pas non plus être transformés en surhommes. Ils veulent qu'on les regarde comme des athlètes. Point.

Ces champions arrivent-ils à vivre de leur sport ?

A.T. : C'est un peu la même forme d'injustice que celle qu'ils rencontrent sur le terrain de la notoriété, même si certains sponsors commencent un peu à s'intéresser à ceux qui gagnent beaucoup de médailles. Et je ne parle pas des primes, qu'il faut souvent diviser par dix ou par cent, je pense. 

"Un joueur qui gagne en tennis fauteuil à Roland-Garros empoche la même somme qu'un tennisman qui est battu dès le premier tour du tournoi. L'écart est colossal."

Alban Teurlai

à franceinfo

La plupart des athlètes sont obligés de travailler. Cédric Nankin, capitaine de l'équipe de France de rugby fauteuil, travaille au service de la communication de la SNCF. Il habite à Château-Thierry (Aisne), qui se trouve à 1h30 de Paris. Il fait trois heures de voiture, deux fois par semaine, pour aller à ses entraînements. Il doit tout le temps se débrouiller tout seul. Il installe seul, par exemple, son fauteuil dans sa voiture, alors que son équipe fait partie des trois meilleures équipes du monde. Il faut vraiment en vouloir. Les quelques personnes qui les entourent sont essentiellement des bénévoles et des associations.

T. D. : Ce qui est très parlant également, ce sont les prix des places pour les Jeux paralympiques, en comparaison des Jeux olympiques. Les tarifs n'ont rien à voir. Les Paralympiques restent encore des "sous-Jeux" et les sportifs en souffrent. Si notre documentaire pouvait donner envie aux gens d'acheter des places pour aller les voir, on a gagné. Ce n'est pas possible qu'ils performent dans des stades vides, étant donné les efforts qu'ils font pour en arriver là.

"Il y a tellement de résilience, tellement de combats pour arriver à ce niveau d'excellence."

Thierry Demaizière

à franceinfo

Pensez-vous que le regard que l'on porte sur le handicap va évoluer grâce à ces Jeux paralympiques ?

A.T. : Je crois, oui, et j'espère que le film et les Jeux vont y contribuer. Le handicap et l'inclusion ne sont pas perçus de la même manière par les gens qui ont 20 ans et par les gens qui en ont 60. Ce n'est pas vraiment un sujet pour les jeunes d'aujourd'hui. Je pense que c'est très générationnel, le regard que l'on porte sur le handicap.

Pour autant, la considération pour les Jeux paralympiques reste encore un combat. Cette année, les compétitions vont coïncider avec la rentrée scolaire. On peut craindre que les stades soient plutôt vides, puisque les gens seront au bureau ou à l'école.

T. D. : Chaque édition des Jeux paralympiques donne de plus en plus de visibilité aux athlètes. Et ce sera la première fois que des chaînes de télévision feront comme pour les Jeux olympiques, et retransmettront intégralement toutes les épreuves. C'est une vraie victoire comparée aux autres années.

Je trouve que le principal problème, c'est notre regard sur eux, et le regard de la société. Eux, ils se débrouillent plutôt bien. Certains ne veulent pas de prothèses. Ils ont plutôt des vies heureuses, et quelques-uns se disent que ce qui leur est arrivé à la naissance les a finalement aidés, d'une certaine manière, et poussés à se dépasser.

Le documentaire A corps perdus, réalisé par Thierry Demaizière et Alban Teurlai, est diffusé le 20 août à 21h10 sur France 2 et sur la plateforme france.tv. 

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