"Faut que t'arrêtes de parler de nous de cette manière" : pourquoi les athlètes paralympiques ne veulent pas être comparés à des "super-héros"

Teddy Riner et Marie-José Pérec avaient comparé les participants aux Jeux paralympiques aux Avengers, en référence aux personnages doués de pouvoir surhumains de la saga Marvel.
Article rédigé par franceinfo
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Théo Curin (au centre, en blanc) lors de la cérémonie d'ouverture des Jeux paralympiques, le 28 août 2024 place de la Concorde, à Paris. (LECOCQ CEDRIC / KMSP)

Des propos prononcés sans mauvaise intention, mais qui ont irrité certains parasportifs. Pour attirer l'attention sur les Jeux paralympiques, dont les épreuves ont débuté jeudi 29 août, Marie-José Pérec et Teddy Riner ont multiplié les métaphores. "On regarde les para-athlètes en disant que ce sont nos héros", a lancé la triple championne olympique sur RTL, au lendemain de la cérémonie de clôture des Jeux olympiques, le 12 août. "Et avec un handicap ! C'est des super-héros !", a renchéri le judoka, qui a remporté deux titres olympiques à Paris. "Pour nous, ce sont les Avengers", a conclu l'ancienne sprinteuse, en référence aux super-héros de la saga Marvel.

Ces propos n'ont pas plu au meneur de l'équipe de France de basket fauteuil, Sofyane Mehiaoui. "Faut vraiment que t'arrêtes de parler de nous de cette manière, tu ne nous aides pas, on est des personnes en situation de handicap et nous souhaitons être considérés comme des personnes normales", a tancé le basketteur, dans un message éphémère publié sur Instagram. "Quand on nous surexpose, ce n'est pas bien. On n'est pas des super-héros, on est des athlètes. Donc venez nous voir parce qu'on va faire des performances, on va faire des exploits sportifs, c'est pour tout ça qu'il faut venir nous voir".

La pongiste Thu Kamkasomphou, médaillée à tous les Jeux paralympiques depuis 2000, considère elle aussi que les para-athlètes ne doivent pas être traités comme des héros. "Quand on nous dit 'vous avez plus de mérite que d'autres', non !, affirme-t-elle dans L'Equipe. Pour moi, on fait du sport différemment. Ils [les athlètes valides] ont leurs difficultés, on a les nôtres. On n'est pas des super-héros, on est monsieur et madame Tout-le-monde". "Ce sont des compétiteurs avant tout, qui veulent être considérés comme des sportifs et que l'on doit traiter comme tels, expliquait à franceinfo Thierry Demaizière, auteur du documentaire A corps perdus, diffusé sur france.tv, pour lequel il a suivi six athlètes paralympiques pendant leur préparation pour les Jeux. C'est leur grosse revendication : qu'on ne les regarde pas comme des handicapés, mais comme de grands sportifs". 

La crainte d'une surexposition éphémère

Le chef de mission de la délégation tricolore, Michaël Jeremiasz, a éteint tout début d'incendie ou tout malentendu. Sur franceinfo, il a précisé la pensée de Sofyane Mehiaoui : "Si vous nous 'héroïsez', ça va être super grisant pendant onze jours [la durée des Jeux paralympiques], mais à partir du 9 septembre, vous allez oublier que notre quotidien est loin d'être héroïque. C'est un parcours du combattant pour trouver un logement, on a deux fois plus de risques d'être au chômage quand on est handicapé... Donc cette image de héros peut nous nuire." Une fiche a d'ailleurs été diffusée aux médias par le comité paralympique pour mieux parler du handicap. Il y est préconisé de privilégier le terme "dépassement de soi" à celui d'"héroïsme".  Mais tous les athlètes ne partagent pas cet avis. Le parajudoka Nathan Petit estime dans Le Parisien que "ce n'est pas grave d'utiliser les mauvais mots si l'intention reste bonne".

"Comment parler des champions ? En montrant ce qu'ils sont capables de faire, pas en parlant de comment ils ont été fauchés à un carrefour", poursuit Michaël Jeremiasz. Autrement dit : parler des performances sportives de ces athlètes, qui aimeraient que leur handicap ne soit mentionné que lorsque cela est nécessaire. "Quand je nageais, ça me dérangeait quand les journalistes commençaient mon histoire par mon handicap", confie ainsi au Parisien la triple championne olympique Ludivine Munos. 

"Ils ne veulent pas de pitié"

Cette image du super-héros n'a pas seulement été utilisée par Teddy Riner. La métaphore a atteint son apogée pour les Jeux paralympiques de Londres en 2012, avec une campagne "Rencontrez les surhommes", mise en ligne pour attirer l'attention du public sur la compétition. "Il y a eu cette mode, il y a quelques années, quand les para-athlètes ont commencé à être plus visibles aux Jeux de Rio et de Londres, où on en faisait des super-héros, retrace le co-auteur d'A corps perdus, Alban Teurlai. Ça les énervait. Ils ne veulent pas de pitié, ils ne veulent pas non plus être transformés en surhommes. Ils veulent qu'on les regarde comme des athlètes. Point".

Cette vision "étriquée" du handicap "laisse de côté l'idéal d'une société inclusive en promouvant seulement les individus les plus proches du modèle dominant", expliquaient des chercheurs français dans la revue Social Inclusion en 2020. Douze ans après Londres, le message a été entendu par le directeur artistique des cérémonies des Jeux de Paris. Pour la cérémonie d'ouverture des Paralympiques de mercredi soir, le metteur en scène Thomas Jolly a pensé le show pour sortir "des clichés héroïsants concernant les personnes en situation de handicap", comme il l'a expliqué à franceinfo. Et de souligner : "Je ne crois pas que ce soit être un héros que de relever des défis que le quotidien nous pose parce qu'il y a des barrières sociétales ou systématiques, comme l'absence d'ascenseur. Ce n'est pas être héroïque que de se déplacer."

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