L'effacement de la dette de la Grèce est-il la bonne solution ?
Après le vote d'un nouveau plan d'austérité et l'opposition croissante de la rue, certaines voix s'élèvent pour réclamer l'annulation de la dette grecque. Une solution qui aurait de multiples conséquences et qui divise les économistes.
Passer l'éponge sur le fardeau de la Grèce. Cela fait partie des moyens envisagés pour sortir le pays de la crise profonde dans laquelle il se trouve. En septembre 2011, Dominique Strauss-Kahn, ancien directeur du Fonds monétaire international, avait suggéré cette solution. "La dette, on voit bien qu'elle est massive et qu'il faut la réduire à tout prix, sauf au prix de la stagnation et de la récession (...), il faut accepter de reconnaître qu'il faut prendre sa perte. Tout le monde doit la prendre, les Etats et les banques", expliquait-il alors.
Plus récemment, cette solution a été prônée lundi 13 février par Vincent Peillon, responsable du pôle éducation dans l'équipe du candidat socialiste François Hollande. "Il faut annuler la dette de la Grèce. Sinon, cela nous coûtera encore beaucoup plus cher (...). La Grèce, c'est 1%, 1,5% du produit intérieur brut (PIB) européen et l'Europe est incapable de résoudre ce problème depuis le début." Avec la nouvelle cure de rigueur et ses mesures draconiennes imposées aux Grecs, l'annulation totale de la dette apparaît une nouvelle fois comme un recours possible. Mais les économistes sont divisés sur ses avantages et ses inconvénients.
1. Les atouts
Actuellement, une renégociation de la dette grecque est en cours. Elle devrait permettre l'effacement de 100 milliards d'euros sur les 350 milliards de dette publique du pays. Cette opération touchera essentiellement ses créanciers privés (banques, assurances, fonds d’investissement, fonds de pension), qui enregistreront des pertes.
Interrogé par FTVi, Philippe Dessertine, professeur de finances à l'université Paris X-Nanterre et directeur de l'Institut de haute finance, estime que l'annulation totale de la dette grecque est "pratiquement la seule voie de sortie". "Maintenant, il va probablement falloir que les créanciers publics, en particulier la Banque centrale européenne (BCE), fassent la même chose" que les créanciers privés.
• La finance grecque pourrait être assainie
Avec une dette qui représente 160% de son PIB, la situation économique de la Grèce est alarmante. 2012 devrait être la quatrième année consécutive de récession. Si l'annulation de sa dette pourrait rebuter les marchés, Athènes a déjà énormément de mal à emprunter et à gagner leur confiance. "Quoi qu'il en soit, l'action de la Grèce sur les marchés est fermée, et pour longtemps" prévient Philippe Dessertine.
"A partir du moment où les mécanismes européens auront permis l'annulation de la dette, cela voudra dire que la Grèce pourra se financer non pas directement mais par le biais de l'Europe, explique l'économiste. Ce qui est déjà le cas aujourd'hui : les taux d'intérêt se sont allégés parce que des mécanismes européens de stabilité permettent aux pays fragiles de s'endetter." Autre atout, selon Philippe Dessertine, les engagements pris récemment par les Grecs et l'effacement de la dette permettraient au pays de repartir sur de meilleures bases. "Si la Grèce repart dans une logique beaucoup plus vertueuse (ce qui est clairement l'option prise par les gouvernements grecs), ça permettra à terme à la Grèce de revenir de manière autonome sur les marchés", explique l'économiste.
• La crédibilité de la zone euro serait renforcée
Effacer la totalité de la dette grecque signifierait "une prise en compte réelle de la difficulté grecque par l'Europe", aux yeux de Philippe Dessertine. La Grèce serait ainsi maintenue au sein de la zone euro et "la crédibilité de celle-ci en tant qu'espace solidaire du point de vue financier" en serait renforcée.
"Si la Grèce est endettée autant et de cette manière, c'est d'abord parce que l'Europe n'a pas fait jouer les mécanismes compensatoires des pays riches vers les pays pauvres", souligne Philippe Dessertine. Toutefois, "cela veut dire une économie supplémentaire très forte pour ces pays [riches]. Ils devront convertir une partie de leur propre dette en dette grecque, ce qui signifie une obligation de rigueur beaucoup plus forte." D'autant que cette solidarité est prévue par les textes de l'Union européenne. "Au fond, l'Europe doit appliquer ses traités pour de vrai. C'est le grand enjeu que nous pose la Grèce, et dans une certaine mesure le Portugal, l'Irlande et l'Espagne."
• La démocratie grecque serait préservée
Mais l'annulation de la dette grecque peut se révéler indispensable au-delà du cercle économique. "Les efforts que fait la population grecque sont vraiment extraordinaires. Et ils peuvent avoir une conséquence extrêmement grave : la mise en danger de la démocratie en Grèce", prévient Philippe Dessertine. Face à une population appauvrie et révoltée, "nous risquons d'avoir des évènements géopolitiques qui pourraient avoir des conséquences beaucoup plus lourdes que les effets déjà délétères d'une crise économique et financière", insiste l'économiste.
2. Les risques
Après la déclaration de DSK sur l'annulation de la dette grecque, François Fillon avait qualifié l'idée d'"irresponsable". "Cela signifie que le laxisme budgétaire d'un Etat est financé par les autres", avait estimé le Premier ministre. Chez les économistes aussi, la question divise. "Si la Grèce annulait sa dette, ce serait la panique, avec un coût trop élevé pour le pays", estime Alexandre Delaigue, professeur d'économie à Saint-Cyr, interrogé par Terra Eco. A court de liquidités, Athènes "devrait aller encore plus loin dans l’austérité, en augmentant les impôts ou en procédant à de vastes coupes budgétaires", poursuit-il.
• L'économie grecque aurait du mal à redémarrer
Pour Céline Antonin, économiste au Centre de recherche en économie de Sciences Po (OFCE), l'annulation totale de la dette grecque "ne résoudrait pas en profondeur les problèmes du pays. (...) Le souci fondamental de la Grèce, c'est comment retrouver la croissance." De plus, "la porte des marchés resterait fermée, souligne la spécialiste. Or, la Grèce a besoin qu'on lui prête de l'argent." Et en étant un paria sur les marchés financiers, difficile de restaurer la croissance, de stimuler les investissements, de favoriser la compétitivité... En clair, de faire redémarrer l'économie.
• Les créanciers de la Grèce seraient plombés
En cas d'annulation de la dette, les pertes pour les créanciers de la Grèce pourraient être très lourdes. Selon Céline Antonin, la dette grecque détenue par la France (public et privé confondus) représente 2% de notre PIB, "ce qui n'est pas négligeable". L'effacement de cette dette représenterait "55 milliards d'euros de pertes. Ça signifie plus de rigueur chez nous et chez nos partenaires européens."
Le risque serait donc de grever le PIB de plusieurs pays de la zone euro qui ne sont déjà pas en très bonne santé. Pour Céline Antonin, "s'il doit y avoir une solidarité européenne envers la Grèce, elle doit jouer sur le volet croissance via les fonds structurels pour investir" et ainsi relancer la machine économique.
• D'autres pays pourraient demander le même traitement
Si on efface la dette de la Grèce, pourquoi ne pas le faire avec d'autres pays en mauvaise santé ? Certains économistes redoutent des réactions en chaîne. "L'effet de contagion serait extrêmement rapide : tous les pays endettés de la zone euro réclameraient la même chose. Et il serait difficile de le leur accorder", estime Jérôme Creel, économiste à l'OFCE, interrogé par 20minutes.fr. Il pointe également le mauvais signal envoyé aux pays qui ont fait des erreurs de gestion : "Effacer leur dette serait comme une prime à l'erreur, une récompense au mauvais élève."
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