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Le tour d'Allemagne meurtrier d'un trio néonazi devant la justice

Le procès de Beate Zschäpe, seule survivante du groupe néonazi Clandestinité nationale-socialiste, s'ouvre lundi à Munich.

Article rédigé par Camille Caldini
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Beate Zschäpe, en 2004. (AP / SIPA)

Dix meurtres, deux attentats, quinze braquages et beaucoup d’interrogations. L'un des plus grand procès de crimes racistes de l'après-guerre a débuté, lundi 6 mai, à Munich (Allemagne). Sur le banc des accusés, Beate Zschäpe, seule survivante du groupe néonazi Clandestinité nationale-socialiste (NSU), refuse de parler. Pour pallier son silence, la justice allemande va entendre quatre autres suspects et quelque 600 témoins.

Prévu en avril, puis reporté en raison de l’absence de places réservées à la presse turque, le procès durera au moins 80 jours. Il en faudra sûrement plus pour comprendre comment Beate Zschäpe et ses deux complices, Uwe Mundlos et Uwe Böhnhardt, ont tué dix personnes, entre 2000 et 2007, sans être inquiétés par la police.

Une maison explose, un camping-car brûle

Le 4 novembre 2011, une maison explose à Zwickau, dans l’est de l’Allemagne. Son occupante, Beate Zschäpe, l’a quittée quelques minutes plus tôt, en prenant soin de déposer ses chats chez une voisine. Dans la maison, un Ceska 83, qui a servi, d’après les analyses balistiques, à commettre, dans tout le pays, neuf meurtres de ressortissants turcs et grecs, jamais élucidés.

Au même moment, à 180 kilomètres à l’ouest, dans la petite ville d’Eisenach, les pompiers éteignent un camping-car en feu. A l'intérieur, les corps sans vie de Uwe Mundlos, 38 ans, et Uwe Böhnhardt, 33 ans. Poursuivis par la police, ils se sont suicidés après avoir mis le feu au véhicule. A l'intérieur, l’arme de service d’une policière abattue en 2007.

Une jeunesse néonazie

Uwe Böhnhardt et Beate Zschäpe, pendant leurs vacances en 2004. (BKA / DDP IMAGES EDITORIAL / SIPA)

"Je suis celle que vous cherchez." Brune, les yeux bleus derrière des verres correcteurs teintés, le regard aussi froid que ses traits sont doux, Beate Zschäpe, 36 ans, se livre quatre jours plus tard à la police de Zwickau. Depuis, elle est murée dans le silence. La presse allemande raconte qu’elle a grandi auprès de sa grand-mère, alors que sa mère multipliait les mariages ratés. Son père ne l’a pas reconnue à sa naissance.

A 18 ans, elle tombe amoureuse de Uwe Mundlos. Elle finit par le quitter, sans s'éloigner, pour Uwe Böhnhardt. Les deux jeunes hommes deviennent sa famille. Ensemble, ils rendent visite à sa grand-mère. Avec eux, surtout, elle fait ses premiers pas sur la scène néonazie, qui émerge dans l'est de l’Allemagne, après la réunification. Pendant leur temps libre, ils aiment jouer à un Monopoly de leur invention. Une case "camp de concentration" remplace la case "prison".

"Les actes plutôt que les mots"

Le trio se nomme d'abord "Camaraderie de Jena" et fréquente d’autres organisations, plus importantes, connues des services de renseignement. Leurs premières actions, à la fin des années 1990, ressemblent à de mauvaises plaisanteries : fausses lettres piégées, bombes factices fabriquées dans le garage de Beate. Les autorités les surveillent. Se sachant traqués, ils disparaissent très vite, changent d’identité, savent se faire oublier. Ils entrent dans la clandestinité en 1998, quand la police découvre la cache où ils bricolent leurs faux explosifs.

Photos parues dans un journal local, en 1998, quand Beate Zschäpe et ses complices étaient recherchés pour des bombes factices. ( REUTERS)
 

La cellule Clandestinité nationale-socialiste commet son premier meurtre en 2000. La victime, un fleuriste de 38 ans, reçoit huit balles, devant le stand qu’il tient à un coin de rue du centre de Nüremberg. C’est le début d’une série de neuf assassinats racistes, commis de Hambourg, dans le nord, à Munich, dans le sud. Suivront un épicier, un serrurier, des vendeurs de kebabs… Les attaques ne sont jamais revendiquées, car le groupe préfère "les actes plutôt que les mots". En parallèle, le trio braque des banques, pour financer ses activités et vivre caché.

A l'époque, la police attribue d'abord ses crimes à des règlements de comptes liés au trafic de drogue. Mais les trois néonazis en cavale documentent leurs actions. La police a trouvé dans la maison de Beate Zschäpe des DVD gravés. Dessus, un film de 15 minutes, signé "Clandestinité nationale-socialiste", retrace le tour d'Allemagne glauque d'une Panthère rose cynique, agrémenté de photos et de coupures de presse, sur les neuf scènes de crime. 

Des agents du renseignement soupçonnés

Lorsque l'affaire est élucidée, en 2011, les médias allemands se tournent vers le Bundesamt für Verfassungsschutz, l'Office de protection de la Constitution, l'un des principaux services du renseignement allemand. Ses agents, infiltrés dans tous les réseaux extrémistes du pays, ont commis des erreurs. Pire, ils ont peut-être aidé les terroristes en couvrant leurs activités. Au fil de l'enquête, l'Allemagne découvre les négligences et les dysfonctionnements de la police et des services de renseignement intérieur, qui ont empêché la résolution des meurtres.

Les suspects ont bénéficié du soutien plus ou moins direct de 129 personnes, selon la police, alors que les premiers éléments de l'enquête, en 2011, évoquaient des "loups solitaires". Seulement quatre personnes, soupçonnées d'avoir fourni aux terroristes une aide logistique, comparaissent avec Beate Zschäpe. Toutes sont proches du NPD, le parti néonazi dont l'Allemagne n'arrive pas à se débarrasser, malgré la volonté des Länder. Un parti dont certains des plus hauts dirigeants travaillent au service du renseignement.

"Rien n'a changé"

La chancelière Angela Merkel a présenté en personne des excuses devant le Conseil des droits de l'homme des Nations unies, à Genève, en avril. En 2012, elle avait qualifié ces meurtres de "honte pour l'Allemagne" lors d'une cérémonie d'hommage aux victimes. Mais depuis la découverte de cette "cellule de Zwickau", comme l'appelle la presse allemande, "rien n'a changé", explique un ancien policier au Spiegel (lien en allemand).

Les associations antiracistes le déplorent et dénoncent un "racisme institutionnalisé", dans la police notamment. "S'il y avait eu une attaque comme à Boston et que des Allemands avaient été tués, ce serait différent. Mais les terroristes ont délibérément visé une population considérée comme superflue", dénonce Anetta Kahane, présidente de la fondation Amadeu-Antonio, interrogée par l'hebdomadaire. Les trois millions de Turcs qui vivent en Allemagne comptent sur ce procès pour ne plus être superflus.

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