"Johnny, ça marche très bien" : comment les DJ des Jeux olympiques ambiancent le public parisien

Article rédigé par Clément Parrot - avec Pierre Godon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
L'ambiance dans le public pour un match de beach-volley entre la France et l'Espagne, le 30 juillet 2024. (COUVERCELLE ANTOINE / KMSP / AFP)
De Joe Dassin à Edith Piaf en passant par Daft Punk, les différents DJ recrutés pour animer les JO de Paris 2024 peuvent "piocher" dans une playlist composée de 4 000 morceaux. Ils s'adaptent à chaque fois au public et à l'épreuve, sans jamais oublier de respecter la "cohérence" recherchée par le comité d'organisation.

Il est presque 23 heures, mercredi 31 juillet, quand la chanson Que je t'aime de Johnny Hallyday retentit autour du bassin de La Défense Arena, à Nanterre (Hauts-de-Seine). Les spectateurs se lèvent alors pour saluer la troisième médaille d'or obtenue par le jeune prodige tricolore Léon Marchand, grâce à un doublé historique sur le 200 m papillon et le 200 m brasse. "A ce moment-là, presque a cappella même s'il y avait la musique derrière, le public a vraiment chanté pour Léon Marchand, c'était très, très beau", raconte Flore Maréchal, journaliste à franceinfo, présente sur place.

Derrière la voix de Johnny, il y a toute une réflexion des organisateurs pour faire monter l'ambiance au sein de stades olympiques. Deux morceaux "signatures" ont ainsi été choisis, en commençant par Que je t'aime pour l'entrée des équipes françaises sur le terrain et pour célébrer les titres olympiques tricolores. "On voulait vraiment essayer de faire chanter le public et lui permettre de déclarer son amour aux athlètes", explique Leslie Dufaux, responsable de la présentation sportive au sein du Comité d'organisation des Jeux olympiques et paralympiques. L'autre morceau est le thème officiel, intitulé Parade, composé par Victor Le Masne, et qui accompagne les athlètes vers les podiums lors de la remise des médailles. "On a pensé tout ça pour avoir une cohérence à travers les sites et pour qu'il se détache un certain ADN de ces Jeux", explique Leslie Dufaux.

"C'est très cadré"

Sur chaque site olympique, le DJ compose ensuite sa playlist dans un large catalogue de "4 000 morceaux dont 60% de musique francophone", précise Leslie Dufaux. Pour obtenir les droits des chansons, un contrat global a été signé avec la Sacem. Dans ce cadre précis, chaque DJ tente ensuite de trouver un peu de liberté. "A eux de piocher, de sentir le moment et de sentir l'ambiance", poursuit Leslie Dufaux. Dans chaque stade, un "topeur", sorte de chef d'orchestre de l'animation, est aussi chargé d'envoyer des consignes au DJ.

"J'ai fait une playlist 'Chill' pour le matin, une playlist 'Move Your Feet' [bouge tes pieds] pour la moitié de la matinée, et une playlist 'Shake Your Ass' [secoue tes fesses] pour les grands moments", se marre Manu*, l'un des animateurs de l'Arena du Champ-de-Mars, qui accueille les épreuves de lutte et de judo. "Ensuite, c'est très cadré, confirme-t-il. On choisit les titres directement sur des serveurs, ce qui permet de faire le décompte pour rémunérer les artistes."

Les équipes des différents sites ne peuvent pas ajouter de fantaisies, mais ils peuvent faire des demandes tant qu'ils ne s'aventurent pas sur des tubes contenant des paroles pouvant heurter le public. "J'ai demandé du Dalida, car il n'y en avait pas", sourit l'animateur du dojo.

"On a eu aussi des playlists avec des titres-clés. On a notamment les petites trompettes pour encourager les athlètes français."

Manu, DJ pour les Jeux olympiques

à franceinfo

"Johnny ça marche très bien avec le public, 'Alexandrie Alexandra' de Claude François aussi", remarque le DJ. Alors que le public de l'Arena du Champ-de-Mars s'apprête à regagner les tribunes pour une nouvelle session de judo, Manu hésite encore sur son programme. "Je pense que je vais commencer par de la chanson française ou alors j'ai aussi un peu de jazz manouche, je vais peut-être partir là-dessus", songe-t-il. 

Des supporters français encouragent Maxime-Gaël Ngayap Hambou, le 31 juillet 2024, à l'Arena du Champ-de-Mars, à Paris. (HERVIO JEAN-MARIE / KMSP / AFP)

Les shidos et les ippons s'enchaînent sur le tatami olympique et le DJ fait monter l'ambiance avec Fio Maravilha, le remix du groupe Bon entendeur du titre de Nicoletta. Puis au moment où le Français Maxime-Gaël Ngayap Hambou apparaît sur l'écran géant pour disputer sa demi-finale, la sono donne le rythme avec Alors on danse de Stromae. Le judoka s'incline finalement face au Japonais Sanshiro Murao, mais il se tourne très vite vers son match pour la médaille de bronze. L'ambiance musicale l'y encourage avec One More Time des Daft Punk.

"Ça met de l'ambiance !"

"J'ai trouvé ça très sympa, se réjouit Théo, 26 ans. Il y a un mélange de classiques de la chanson française, pour ambiancer un public finalement très français, et puis des trucs parfois plus dynamiques. Mais entre Edith Piaf et Joe Dassin, les touristes étrangers vont repartir avec plein de chansons françaises dans la tête." C'est justement tout l'objectif des organisateurs. "La vision de Paris 2024, c'est de faire sortir le sport des stades pour l'implanter dans la ville, et de mêler l'art, la culture et le sport partout", confirme Leslie Dufaux.

"On veut que les spectateurs étrangers et même français puissent avoir accès à un bout de culture française et repartir avec."

Leslie Dufaux, responsable de la présentation sportive de Paris 2024

à franceinfo

Le public semble conquis. "Ce mélange de français et d'international fonctionne très bien, ça met de l'ambiance et les gens répondent présents", juge Julien, 43 ans, qui vient d'enchaîner quatre sessions différentes. "C'est assez classique. Certains disent que c'est toujours un peu la même chose, mais on trouve ça pas mal", ajoutent Alexandre et Colline, deux amis de 28 ans. Sur tous les sites, des moments karaokés sont également prévus. "Et là, on les a vraiment teintés de grands marronniers de la chanson française", confie Leslie Dufaux. Au programme notamment : Aux Champs-Elysées de Joe Dassin, Allumer le feu de Johnny ou encore La Foule d'Edith Piaf.

"Quand vous avez 60 000 personnes au Stade de France qui chantent 'Emmenez-moi', ça vous file des frissons."

Leslie Dufaux, responsable de la présentation sportive de Paris 2024

à franceinfo

De l'autre côté du Champ-de-Mars, devant la tour Eiffel, DJ Tony enchaîne les sons sous un soleil de plomb pour faire monter l'ambiance avant le match de beach-volley des Françaises Aline Chamereau et Clémence Vieira. Pour accompagner les spectateurs jusqu'à leur siège, l'animateur joue Style du groupe américain Dangers Twins, LaLaLife du DJ allemand David Puentez ou encore Getting Thiz Money de L.O.C, avant de faire un clin d'œil musical à Snoop Dogg aperçu dans les travées. "Il y a des sports qui ont une identité musicale extrêmement forte, comme le volley et le beach-volley. On ne veut surtout pas trahir ça", commente Leslie Dufaux.

"On adapte en fonction du public"

Dans chaque stade, les producteurs restent donc libres de faire des choix pour coller à l'ambiance. Lundi, pour accompagner les tricks des compétiteurs du skateboard, l'animateur n'a pas hésité à se tourner vers les Red Hot Chili Peppers ou Limp Bizkit. En revanche, à Versailles pour l'équitation, l'ambiance est souvent plus proche du salon lounge de grand hôtel que d'un concert de Beyoncé au Stade de France"Evidemment qu'on n'accueille pas les gens de la même manière au golf ou au tennis, à Versailles ou au Grand Palais. On essaie autant que faire se peut de respecter l'identité des sports", explique Leslie Dufaux. "On adapte en fonction du public", confirme un DJ opérant jeudi à Versailles lors de l'épreuve du saut d'obstacles par équipes.

"Passer Johnny à l'équitation, ça ne va pas se faire dans les mêmes conditions qu'au rugby ou la natation. C'est plus feutré."

Un DJ

à franceinfo

Tout dépend aussi des personnes derrière la régie. "Quand vous avez des équipes anglaises, c'est plus difficile d'avoir la connaissance musicale française. Par exemple, au badminton, vous avez deux producteurs anglo-saxons", confie un directeur de production. Dans le décor magnifique du Grand Palais, qui accueille les épreuves d'escrime et de taekwondo, les équipes ont pour leur part longuement réfléchi à la mise en scène, notamment pour l'entrée spectaculaire des athlètes depuis le balcon. "On a pu faire des demandes complémentaires, avec notamment 'Allegro vivace' de Schubert et 'Misterioso' d'Offenbach, explique un membre de l'équipe de production. On a voulu mettre du classique pour différencier ce qui se passe en escrime de ce qui va se passer en taekwondo." 

Les équipes se sont également tournées vers le monde du cinéma, avec des groupes comme Audiomachine, Two Steps From Hell ou E.S. Posthumus. "On a voulu jouer sur quelque chose de plus cinématique, de plus épique, pour coller à la dramaturgie de l'escrime", explique encore la production.  Cette dernière a aussi légèrement adapté la consigne du Que je t'aime prévu lors des médailles d'or françaises. "Dans notre set-up musical, on a décidé de mettre un french cancan pour faire une standing ovation à nos athlètes. C'est tellement fort pour tout le monde. Donc le Que je t'aime vient après pour apporter l'émotion et les larmes." 

* Le prénom a été modifié.

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