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Les marchés s'apprêtent-ils à entrer en guerre contre la France ?

Un nouveau produit financier contesté, Hollande présenté comme la bête noire de la finance, des menaces spéculatives qui planent… Faut-il craindre une attaque des marchés après la présidentielle ? 

Article rédigé par Myriam Lemétayer
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Des traders à la Bourse de New York, le 13 avril 2012. (REUTERS / BRENDAN MCDERMID)

Non, les marchés n'ont pas fondu en rangs serrés sur la dette française lors du lancement, lundi 16 avril, du Foat, ce produit financier dénoncé par certains comme une arme de spéculation massive. Mais si le démarrage du contrat a "fait pschitt", selon La Tribune, la menace spéculative plane toujours.

Et le sujet est sensible à quelques jours du premier tour de la présidentielle, dimanche. Alors que Nicolas Sarkozy a estimé que le programme de François Hollande allait provoquer une "crise de confiance massive", François Fillon a prédit de nouvelles attaques spéculatives "à la minute" où le socialiste serait élu.

Apparemment, certains "bruits" vont dans le même sens, confirme Nicolas Bouzou, directeur du cabinet de conseil Asterès : "Il y a une rumeur selon laquelle, suite à l'élection de François Hollande, beaucoup d'investisseurs essaieraient de se débarrasser de la dette française." Alors, les marchés financiers se tiennent-ils prêts à attaquer après la présidentielle ? Doit-on craindre un raid organisé contre la France ? FTVi a mené l'enquête.

Qui pourrait s'en prendre à la dette ?

Selon des chiffres de la Banque de France publiés dans le bulletin de l'Agence France Trésor de mars, la dette française (qui s'élève à plus de 1 700 milliards d'euros) est détenue à 65% par des investisseurs "non-résidents". Le Monde rappelle que cette proportion n'était que de 32 % en 1993.

Ces créanciers se répartissent entre fonds de pension, grandes banques, compagnies d'assurance et fonds souverains de pays émergents. "Ils sont plutôt sûrs et n’ont pas forcément envie de jouer sur la dette. Mais si les taux d'intérêts [des obligations françaises] dérapaient, ils seraient obligés d'ajuster leur portefeuille", souligne Philippe Waechter, directeur des études économiques chez Natixis Asset Management. 

Les hedge funds, quant à eux, sont réputés plus agressifs. Ces fonds spéculatifs ont été accusés de se faire beaucoup d'argent en provoquant la panique sur la dette grecque, relève Le Figaro. Mais ils ne peuvent dynamiter un marché à eux seuls.

Peut-on imaginer une action organisée ?

L'impression que les investisseurs vont tous dans le même sens vient du fait qu'il y a un "effet d'entraînement", selon Philippe Waechter : "Personne n'a intérêt à prendre une position tout seul." Un adage en économie dit ainsi que mieux vaut avoir tort avec le marché que raison tout seul. 

Mais, affirme l'expert, "le fait de dire qu'il pourrait y avoir une coalition du marché tient du fantasme". 

Comment peut se concrétiser une attaque ?

Grosso modo, une attaque contre la France peut prendre deux formes :

• Les investisseurs se débarrassent massivement des obligations de l'Etat français. Leur prix baisse, ce qui les rend moins attractives. Les investisseurs exigent des primes de risque plus élevées donc l'Etat doit proposer des taux d'intérêts de plus en plus hauts pour financer ses déficits. 

• Les investisseurs achètent en quantité des credit default swaps (CDS), des assurances contre le défaut de paiement d'un Etat. Le raisonnement est simple : si beaucoup de personnes se couvrent contre le risque, c'est qu'elles ont des raisons de se méfier de la signature de la France. Les taux d'intérêts exigés de l'Etat s'accroissent encore. 

La menace que représentent les CDS est difficile à jauger. "On ne sait pas combien il y en a, ni qui les détient car c'est un marché de gré à gré, sans chambre de compensation pour comptabiliser les échanges et surveiller ce qui se passe", avance Nicolas Bouzou, du cabinet Asterès.

Pourquoi un nouveau contrat sur la dette maintenant ?

Ces derniers jours, les craintes se sont concentrées autour du Foat, un contrat à terme sur les obligations d'Etat à dix ans dénoncé comme un nouveau joujou mis à la disposition des spéculateurs

Face à la polémique grandissante, un porte-parole d'Eurex, la filiale du groupe boursier Deutsche Börse à l'origine du contrat, a déclaré que le lancement du produit n'avait "rien à voir" avec la présidentielle. Le Foat répond "à une forte demande des acteurs de marché français et autres acteurs européens, à la recherche d'un outil de protection adapté"

Plus qu'un complot des marchés qui voudraient prendre d'assaut la dette française, Eurex jouerait donc un jeu simple : il répondrait à la demande de clients qui s'attendent à des fluctuations du taux d'intérêts des obligations françaises. 

"C'est une société privée qui ne cherche qu'à faire du profit. Ils anticipent des tensions sur la dette française, et sont sans doute prêts à les nourrir. Il y a toujours beaucoup d’argent à se faire dans les périodes troublées", estime ainsi un employé de la finance sur Mediapart (article abonnés).

Que va-t-il vraiment se passer ?

Plusieurs économistes contactés par FTVi évoquent une possible hausse des taux d'intérêts des obligations d'Etat dans les semaines qui viennent, à l'instar de Marc Touati, économiste, auteur de Quand la zone euro explosera... (éd. du Moment).. "Il est très probable que les taux d'intérêts pour les obligations françaises augmentent après les élections, parce que la France n’est plus crédible sur le front de la réduction de ses déficits." Et d'ajouter : "Si on était sérieux, la spéculation ne marcherait pas."

Le lien entre élection présidentielle et spéculation est au contraire "fantasmagorique", selon Philippe Waechter, de Natixis, pour qui il y aura seulement "un peu de volatilité". "Les investisseurs internationaux nous interrogent beaucoup sur la situation de la France, les résultats attendus du deuxième tour. S'ils avaient eu des inquiétudes spectaculaires, ils seraient déjà intervenus sur le marché de la dette."

Le grand chambardement n'est pas garanti non plus pour Philippe Tibi, président de l'Association française des marchés financiers et d'UBS France, qui livre sur LePoint.fr : "Il n'y a pas une attente, avec des snipers qui seraient couchés dans l'herbe en attendant de voir la dette française évoluer après l'élection."

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