Mediator : l'indemnisation des victimes freinée pour des raisons budgétaires ?
L'association d'aide aux victimes du Mediator (Avim) soupçonne l'Etat de faire pression sur les experts chargés d'étudier l'indemnisation des victimes du Mediator, pour des raisons budgétaires.
AFFAIRE MEDIATOR – Où est l’argent ? Pour les victimes du Mediator, ce médicament antidiabétique accusé d'avoir provoqué au moins 1 300 morts, le parcours du combattant se poursuit. Les experts de l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam), qui dépend du ministère de la Santé, ont épluché les 831 demandes de patients. Leur verdict est implacable : 85% d’entre elles ont été jugées irrecevables.
Contactée par FTVi, Irène Frachon lance de graves accusations. La pneumologue qui a révélé le scandale assure que "le rôle de l’Etat est contraint par des inquiétudes d’ordre budgétaire, qui pèsent sur la qualité du collège d’experts". Elle estime également que Servier "a fait pression sur les experts".
La rigueur budgétaire invite-t-elle l'Etat à faire preuve de prudence ? FTVi revient sur ce dossier tendu.
Comment ces indemnisations sont-elles versées ?
L'Oniam centralise les demandes des victimes présumées, qui passent entre les mains d’un collège de sept experts, présidé par un haut magistrat. Si le dossier est accepté, l’Oniam demande à Servier d'indemniser le patient.
Mais Servier a le droit de refuser. Auquel cas c’est l’Etat qui avance l’argent, via l'Oniam, spécialement doté. Pour revoir son argent, l’Etat devra remporter sa bataille judiciaire contre le laboratoire, qui écopera de 30% de pénalité au passage, comme l’explique notre confrère de France 2 Nicolas Chateauneuf.
"A chaque fois que Servier refuserait l’indemnisation fixée par l’Oniam, cela obligerait l’Etat à avancer du cash. Au total, plusieurs centaines de millions d’euros", résume Dominique Courtois, président de l'Association d'aide aux victimes du Mediator (Avim), contacté par FTVi.
"Les règles du jeu ont changé en route"
Les discussions des associations avec l'ancien ministre de la Santé Xavier Bertrand ont laissé penser que tous les patients ayant consommé du Mediator et souffrant aujourd'hui de valvulopathie cardiaque seraient indemnisés. Mais Dominique Courtois assure que "les règles du jeu ont changé en route". Les critères fixés pour indemniser les victimes auraient selon lui évolué depuis les derniers comités de suivi.
"On nous avait dit que les patients seraient indemnisés même en l'absence de déficit fonctionnel, ce qui n'est plus le cas. Pire, il faut apporter la preuve qu'on allait bien sur le plan cardiaque lors de la prise de Mediator, ce qui est impossible."
Dominique Courtois avance une explication à ce durcissement des règles : "Je ne pense pas que l’Etat soit allé dire aux experts de faire attention, mais comme Servier menace de contester la plupart des dossiers, la pression qui pèse sur les experts de l’Oniam est très importante et peut les freiner [aux dépens des victimes]". Somme toute logique, selon lui, à l'heure où le ministère souhaite redresser les comptes de la Sécu.
Mais l'Oniam balaie ces accusations et renvoie les associations à la loi du 29 juillet 2011 (section 4 bis). "Nous n'avons reçu aucune instruction de ce type-là de la part du ministère", réagit son directeur, Erik Rance, contacté par FTVi.
L'Oniam est pourtant doté de 15 millions d’euros en 2013
L'Etat est-il financièrement prêt à se porter garant au cas où Servier contesterait les décisions de l'Office ? Le projet de budget révèle quelques indications. Une ligne sur les "avances à l'Oniam au titre de l'indemnisation des victimes du Benfluorex [le principe actif du Mediator]" figure bien dans le projet de loi de finances 2013, pour un montant de 15 millions d'euros. En théorie, le fonds d'indemnisation semble donc armé pour avancer certaines sommes aux victimes.
Et, comme l'affirme Dominique Courtois, y a-t-il une pression de Servier pour durcir les critères d'indemnisation ? La thèse est "totalement farfelue et sans fondement", répond la porte-parole du laboratoire, Lucy Vincent. "Les critères n'ont pas été resserrés et Servier est dans une démarche d'indemnisation, puisque les premiers chèques ont été envoyés", pour un montant confidentiel. Erik Rance confirme cette impression, mais précise qu'il "faut attendre le positionnement du laboratoire sur un nombre significatif de dossiers" pour connaître réellement ses intentions.
Lucy Vincent fait valoir un argument financier. "Quel serait l’intérêt de Servier de contester les indemnisations décidées par l’Oniam, s’il doit payer 30% de pénalité quelques mois plus tard ?" Ce montant exceptionnel a été fixé en mai 2011, car les pénalités ne sont que de 15% dans le droit commun. Servier serait-il tenté de dénoncer cette exception juridique pour éviter de verser certaines indemnités ? "On ne peut jamais parler de l'avenir", élude Lucy Vincent.
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