Canicule : cinq questions sur l'îlot de chaleur urbain, ce phénomène qui réchauffe nos villes
A chaque canicule, nos villes se transforment en fournaises et les nuits y deviennent tropicales. Derrière ce thermomètre qui grimpe, le phénomène de l'îlot de chaleur urbain, que franceinfo a analysé grâce à des données inédites.
Il provoque des nuits tropicales mais n'a rien de paradisiaque. A mesure que le réchauffement climatique, fruit de nos émissions de dioxyde de carbone et de notre mode de vie, fait grimper le thermomètre, l'îlot de chaleur urbain (ICU), qui accentue les canicules et transforme nos villes en fournaises, devient un problème de plus en plus important, pour les habitants mais aussi pour les animaux et pour les équipements comme les câbles électriques ou les routes.
Après avoir publié des données inédites sur ce phénomène dans 42 métropoles françaises, franceinfo vous résume ce qu'il faut savoir sur les îlots de chaleur.
1Qu'est-ce qu'un îlot de chaleur ?
Ce phénomène désigne la différence de température entre une ville, plus chaude, et la campagne qui l'entoure, plus fraîche. C'est une mesure relative, exposée en degrés : on parle par exemple d'un îlot de chaleur de +3 °C. Son intensité est plus forte les nuits d'été. "Le vrai différentiel de température entre une ville et un champ va s'exprimer en fin de nuit parce que la ville va garder sa chaleur et avoir du mal à l'évacuer, explique Erwan Cordeau, chargé d'études sur le climat, l'air et l'énergie à l'Institut Paris Région. A l'inverse, le champ va se refroidir très facilement".
Il n'est cependant pas le seul déterminant de la température d'une ville, qui dépend d'abord de la température ambiante de la région. Un îlot de chaleur de +2 °C à Lille ou à Montpellier ne se traduit pas par la même température finale s'il fait 15 °C dans le Nord et 21 °C dans l'Hérault.
2Quelles sont les causes de ce phénomène ?
L'ICU est provoqué par un ensemble de perturbations liées à l'urbanisme et à notre mode de vie. Il y a d'abord la "rugosité urbaine", c'est-à-dire la hauteur des bâtiments. "Plus il y a des immeubles hauts, plus cela va perturber l'écoulement de de l'air", détaille Erwan Cordeau. Il y a ensuite les surfaces minérales – routes asphaltées, immeubles en béton – qui emmagasinent la chaleur et la restituent la nuit, le manque d'espaces verts et d'eau. "Vous avez ensuite toutes les sources de chaleur liées à l'activité humaine : les automobiles, les climatiseurs qui rejettent de la chaleur dans la rue, l'industrie", poursuit notre expert.
3Quelles conséquences pour la santé ?
L'ICU vient renforcer l'exposition à la chaleur : une personne qui vit dans un îlot peut se retrouver exposée à une température de 40 °C au lieu de 35 °C. Quelques degrés qui peuvent faire la différence. En 2020, Santé publique France a publié une étude sur la surmortalité liée à la chaleur dans les villes d'Ile-de-France. "De manière très nette, à la fois à Paris et en petite couronne, le risque de décès lié à la chaleur est plus faible dans les communes qui ont davantage de végétation ou des sols moins artificialisés", explique Mathilde Pascal, chargée de projet changement climatique et santé à Santé publique France.
Les effets de la chaleur sur la santé sont bien connus. "La température interne du corps doit rester dans une gamme de température qui est très restreinte, autour de 37,5 °C, rappelle l'épidémiologiste. Si on dépasse trop cette valeur, on a tout de suite des effets très graves sur l'organisme". Coups de chaleur, hyperthermie, déshydratation, malaises... "Ces effets sont très variés en nature et en gravité. Cela va du malaise passager sans besoin de prise en charge jusqu'aux soins d'urgence et aux décès", poursuit-elle, en insistant sur le fait qu'ils peuvent concerner "vraiment toute la population".
Cette menace pour la santé publique ne va qu'augmenter dans les prochaines années. Dans une étude publiée en mai (en anglais) et portant sur 43 pays, des chercheurs estimaient à 37% la part des morts de chaleur imputables au changement climatique déjà observé (+1,1 °C au niveau global). Selon les prévisions du Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC), le rythme actuel de nos émissions de gaz à effets de serre, produits de notre mode de vie (transports, alimentation), nous conduit à un réchauffement entre 2,7 et 4,4 °C à l'horizon 2100.
4Quelles sont les personnes les plus vulnérables ?
Tout le monde n'est pas égal face à la chaleur. "Certaines personnes sont particulièrement vulnérables, soit parce qu'elles ont un état de santé dégradé, soit parce que leur thermorégulation n'est pas maîtrisée. C'est le cas des personnes âgées et des enfants", développe Mathilde Pascal. Les travailleurs qui ont une activité physique importante ou les sportifs sont également à risque, avec "deux sources de chaleur qui s'additionnent". Enfin, les personnes ne pouvant pas se soustraire à la chaleur, comme les sans-abri, sont particulièrement vulnérables.
En croisant les données d'îlots de chaleur urbains avec des données socio-économiques, franceinfo a mis en évidence que les cadres et professions intellectuelles supérieures, nombreux à vivre en centre-ville, sont plus exposés à ce phénomène que les ouvriers ou les employés. Mais ils sont aussi ceux qui disposent de plus de moyens de s'adapter et de s'en protéger. "Qui peut se déplacer au mois d'août et quitter la zone chaude ? Qui reste chez soi à Paris ou en Seine-Saint-Denis ? Il y a cette question d'être captif d'un territoire", observe Erwan Cordeau, de l'Institut Paris région. Ce spécialiste de l'îlot de chaleur souligne également que les personnes à faibles revenus vivent souvent dans de vieux logements mal isolés, qu'elles n'ont pas les moyens de rénover, et sur-occupés.
5Comment s'en protéger ?
Chez vous. Pour limiter l'accumulation de chaleur dans votre logement, il faut fermer les fenêtres, volets et éventuels rideaux le jour, dès qu'il fait plus chaud à l'extérieur qu'à l'intérieur, et ne les rouvrir qu'à la nuit tombée, quand la température commence à redescendre. Cette méthode est bien plus efficace avec des volets ou des stores extérieurs qu'avec uniquement des rideaux intérieurs : dans ce dernier cas de figure, le soleil frappe directement sur les carreaux et chauffe l'intérieur.
La climatisation est une fausse bonne idée. "Elle crée une rétroaction qui n'est pas vertueuse, explique Julia Hidalgo Rodriguez, chercheuse en climatologie urbaine à l'université de Toulouse. Elle va réchauffer l'air extérieur de tous pour refroidir un seul appartement, provoquer une surconsommation d'énergie et, socialement, elle créé des inégalités entre ceux qui peuvent la payer et ceux qui ne le peuvent pas".
Dans la ville. Pour réduire efficacement l'îlot de chaleur urbain, il faut modifier la manière dont nos villes sont construites et organisées. "La référence, ce serait de reproduire la médina d'Alger, avec ses rues étroites qui apportent constamment de la fraîcheur le jour. Mais c'est compliqué de le faire sur des villes déjà construites au Nord", euphémise Erwan Cordeau. Cette réflexion met le doigt sur le problème urbanistique posé par le réchauffement climatique : des villes construites pendant des siècles pour un climat tempéré vont devoir désormais supporter un climat beaucoup plus chaud.
Différents outils permettent cependant de réduire l'ICU, sans aller jusqu'à reconstruire ces métropoles de fond en comble. Dans un rapport publié en mai, l'Agence de la transition écologique (Ademe) liste les solutions pour rafraîchir les villes : création de parcs, de toitures ou façades végétalisées, de plans d'eau ou d'ombrages, changement de matériaux pour les sols et les façades, isolation des bâtiments, réduction du trafic routier, limitation de la climatisation, etc.
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